LÉRY Jean de : sa vie et son oeuvre
Publié le 15/01/2019
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LÉRY Jean de (1534-1613). Né à La Margelle, en Bourgogne, il est tôt gagné à la Réforme. Son premier voyage le conduit, à dix-huit ans, à Genève, où il suit la prédication de Calvin. En 1556, Villegagnon, ami de Calvin et « roi » du Brésil, ayant demandé le renfort de colons instruits dans la nouvelle religion, Léry embarque avec quelques autres volontaires pour ce qu’on nommait alors la « France Antarctique ». Après une entrevue avec l’amiral de Coligny, qui, depuis le début, parraine l’entreprise du Brésil français, Léry et ses compagnons gagnent leur second « refuge », la terre d’asile de Guana-bara — Factuelle Rio de Janeiro.
Bien vite, cependant, les dissensions éclatent entre les nouveaux venus et le chef de la colonie, lequel, malgré les apparences, est resté catholique. Le différend porte sur la Cène : aux yeux de Léry et des Genevois, Villegagnon, qui croit en la présence réelle et corporelle du Christ dans l’Eucharistie, fait figure de théophage et d’authentique cannibale. C’est pour fuir une pareille anthropophagie symbolique qu’au bout de huit mois d’une cohabitation difficile sur l’étroite « île aux Français », les calvinistes se rendent en terre ferme, où ils sont accueillis à bras ouverts par les Tupinambas, mangeurs d’hommes! De l’expérience que, «conversant» avec les Brésiliens et observant leurs rites, il acquiert alors de la vie sauvage, Léry tirera la matière de son Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, d’abord publiée en 1578 et cinq fois rééditée du vivant de î’auteur.
La conclusion de l’aventure brésilienne est mouvementée : en janvier 1558, trois des Genevois qui s’en étaient retournés vers Villegagnon sont exécutés. Jean de Léry fera le récit de leur martyrologe pour l’Histoire des martyrs de Jean Crespin (Genève, 1564). Le retour par mer multiplie les souffrances : tempêtes incessantes; famine, dont Léry subit pour la première fois l’épreuve. Le navire accoste en Bretagne au moment où l’un des matelots allait être immolé à l’appétit de ses camarades!
«
La
carrière militante
et le siège de Sancerre
Rentré à Genève, Léry achève ses études de théologie,
se marie et est reçu bourgeois de sa ville d'adoption
( 1560).
Commence alors son ministère pastoral, à l'épo
que des premières guerres de Religion : pasteur à Belle
ville-sur-Saône (1562), puis à Nevers (1564) et à La
Charité-sur-Loire (1569), Léry, tout en déployant un zèle
infatigable au service de la Réforme, joue un rôle modé
rateur au travers des troubles successifs.
Il s'oppose à la
destruction des images et au pillage des églises, s'efforce
de limiter l'étendue des représailles sanglantes exercées
contre les catholiques.
Au lendemain de la Saint
Barthélemy (24 août 1572), il se réfugie à Sancerre, seule
place forte encore aux mains des huguenots « au nord
des provinces où la Réforme est prépondérante» (G.
Nakam).
Géographiquement isolée, la ville, où les réfu
giés ont afflué par centaines, est bientôt assiégée par les
troupes de Claude de La Châtre.
De janvier à août 1573,
les combats puis la famine viennent à bout de la résis
tance opiniâtre des protestants, qui luttent à un contre
dix.
Au cours des négociations qui précèdent la reddition
de la cité (25 août), Léry apparaît comme le plénipoten
tiaire désigné par le consistoire de Sancerre pour traiter
seul à seul avec La Châtre.
Dès l'année suivante paraît l'Histoire mémorable du
Siège de Sancerre, premier ouvrage que Jean de Léry
publie sous son nom.
Rédigé dans une langue claire et
sèche, le récit culmine avec l'épisode de la famine,
rejeté, par une entorse faite à la chronologie des événe
ments, au chapitre x, avant la conclusion de 1 'Histoire.
Ce chapitre lui-même obéit à une composition très
concertée.
La disette qui s'aggrave amène les assiégés à
recourir à des nourritures toujours plus éloignées des
pratiques alimentaires normales.
Après la chair des
chevaux et des ânes, celle des chats et des rats remplace
la viande de bœuf manquante.
Puis l'on s'attaque aux
cuirs et aux parchemins «où les caracteres imprimez et
escripts en main apparoissoyent encores.
et pouvoit-on
lire dans les morceaux qui estoyem au plat tous prests à
manger >>.
Enfin, quand il ne reste plus que les herbes et
les excréments que l'on ramasse dans les rues, se produit
le crime redouté, dont la présence obsédante était jus
qu'alors inscrite en filigrane dans le récit de Léry :
l'anthropophagie.
Une petite fille.
âgée de trois ans et
morte de faim, est dévorée par sa mère et sa grand-mère.
C'est ici, après le séjour chez les cannibales de Guana
bara et la famine en mer, la troisième occurrence du fait
- réel ou fantasmé -dans la vie de Jean de Léry.
L'anthropophagie, qui constitue dès lors un leitmotiv
dans l'œuvre -et Léry est le premier à souligner cette
répétition -, représente ce point de transgression où
l'harmonie universelle se rompt, où l'alliance entre Dieu
et le peuple élu se défait par la faute des hommes
pécheurs.
Une telle perspective théologique est encore
accentuée par le modèle littéraire que Léry a suivi de
point en point dans sa relation.
La Guerre des Juifs, où
Flavius Josèphe narre le siège de Jérusalem par Titus en
l'an 70 apr.
J.-C., culminait déjà dans la scène cannibale,
comprise, là aussi, comme transgression extrême de la
loi divine.
L'Histoire mémorable dépasse donc de très loin la
simple chronique d'un siège, pour s'affirmer en tant que
leçon morale et religieuse adressée à la postérité aussi
bien qu'aux contemporains.
Après Sancerre, Léry va continuer sa carrière pasto
rale en Bourgogne, au bourg de Couches, puis, à partir
de 1589, au pays de Vaud, dans la république de Berne.
De 1595 à sa mort, survenue lors de la peste de 1613, il
sera pasteur de l'Isle, près de Montricher, dans le pays
de Vaud.
1378 Le
cc bréviaire de l'ethnologue ,
En fait, à partir de 1578, la vie de Jean de Léry semble
surtout consacrée à la publication des six éditions suc
cessives de 1 'Histoire d'un.
voyage, sans cesse augmentée
et remaniée jusqu'à la mort de son auteur.
Conçue
comme une riposte aux mensonges du cosmographe
André Thevet décrivant un Brésil où il n'avait résidé que
dix semaines, la relation de Jean de Léry se veut, en
même temps qu'un pamphlet dirigé contre la science
officielle incarnée par son adversaire, la narration fidèle
de son séjour à Guanabara.
Après la mort de Thevet, en 1592, Léry élargira la
portée polémique de son œuvre en y intégrant des frag
ments empruntés à 1' Histoire ecclésiastique de Théodore
de Bèze (Genève, 1580) ou bien aux Tyrannies et Cruau
tez des Espagnols de Bartholomé de Las Casas (édition
française de 1582), ouvrages qui stigmatisent les atroci
tés commises par les catholiques, français ou étrangers,
en terre d'Europe ou d'Amérique.
Ainsi, dans l'édition
de 1600, le chapitre traitant du rituel anthropophage chez
les Tupinambas devient-il prétexte à dresser le catalogue
universel des supplices infligés par intolérance reli
gieuse.
Désormais, r Histoire d'un voyage apparaît
moins comme le récit autobiographique qu'il se voulait
à l'origine que comme une somme historique et théologi
que, où Léry propose des désordres de l'univers une
interprétation pessimiste inspirée par sa foi calvinienne.
La faute de l'homme, depuis la Chute, aussi bien chez
les Tupinambas, dont l'apparence édénique ne saurait
faire illusion, que dans les sociétés d'Europe, est la cause
véritable, en même temps que le signe, de la rupture de
l'alliance de la créature au Créateur.
Par là, le pasteur de
Montricher se pose comme le porte-parole de la Réforme
elle-même.
La leçon du Voyage prolongeait ainsi celle
du Sièg e de Sancerre, en l'étendant à l'universalité du
monde connu.
Le cannibalisme, illustré cette fois par les
faits de l'ethnographie américaine, y remplissait la même
fonction critique.
Cependant, en dépit de ce pessimisme fondamental,
l'impression produite à la lecture est toute différente.
Et
si ce livre a pu être qualifié par Claude Lévi-Strauss de
« bréviaire de l'ethnologue », ce n'est évidemment pas à
ce substrat théologique qu'ille doit.
Mis à part les chapi
tres VI et XXI, où la polémique religieuse occupe la pre
mière place, l'ensemble du texte, dans la version initiale,
est dominé par le tableau des sauvages de la Briqueterie,
que Léry a côtoyés pendant les deux derniers mois de
son séjour au Brésil et pour qui il éprouve une sympathie
grandissante : «Je regrette souvent que je ne suis parmi
les sauvages», soupire-t-il bien des années après, à
l'époque des guerres civile en France.
Le Brésilien, d'emblée, est présenté en corps, « ny
monstrueux ny prodigieux à nostre égard >> et bien moins
sujet à maladies et à malformations que 1 'Européen de la
Renaissance.
Malgré certaines réticences touchant à sa
nudité, qui n'est, selon le christianisme puritain de l'épo
que, nullement conforme au commandement de Dieu,
Léry ne peut s'empêcher d'admirer la santé édénique de
ces «Sauvages>> qui parviennent sans encombre «jus
ques à l'aage de cent ou six vingt ans».
L'air tempéré
de Guanabara est pour ses habitants primitifs une vraie
« fontaine de Jovence ».
Léry analyse ensuite minutieu-
ement, selon une méthode qui préfigure celle de l'ethno
logue moderne, l'alimentation, l'outillage, les croyances
religieuses, le régime matrimonial et l'organisation poli
tique des « sauvages ameriquains >>.
Ce tableau détaillé
est sans cesse émaillé d'anecdotes personnelles, qui en
rompent la monotonie, ou de réflexions empreintes d'un
humour bienveillant.
Ainsi, la description des peintures
corporelles que les Tupinambas arborent lors de leurs
cérémonies religieuses donne-t-elle lieu à une comparai-.
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