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L’énonciation polyphonique dans les Châtiments de Hugo

Publié le 05/10/2018

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S’il est vrai que l’intérêt des Châtiments réside essentiellement dans « l’énonciation comme puissance » (Henri Meschonnic), dans la croyance aux pouvoirs de la parole (contre la parole du pouvoir), il convient d’envisager aussi la diversité des voix qui est à l’œuvre dans le recueil.

 

► I - La situation d’énonciation

 

Destinataire et destinateur

 

Il s’agit d’abord de considérer quels sont les personnages en présence qui s’adressent la parole : le poète peut s’adresser au peuple, aux proscrits (« Vous serez satisfaits, je vous le certifie,/Bannis, qui de l’exil portez le triste faix » Livre III, 16) ; on retrouvera aussi dans les notes III et IV qui accompagnent Les Châtiments les divers discours prononcés effectivement par Hugo au milieu de la communauté des proscrits de Jersey, tandis que sa note I est un extrait de son discours à l’Assemblée nationale contre la révision de la Constitution. Le poète s’adresse naturellement à son adversaire Napoléon III et à ses complices, sur les tons les plus variés (ton satirique, ton comminatoire, ton ironique, ton d’exhortation attristée dans « La fin »....). De façon ironique, on entend aussi « les vainqueurs et les maîtres » (Livre I, 8).

 

La voix impersonnelle

 

Parfois destinateur et destinataire ne sont pas clairement identifiables. Il s’agit d’une voix impersonnelle qui est à l’œuvre, voix du mythe ou de l’Histoire que

 

certes on peut identifier en dernier ressort au poète, mais qui cependant ne se donne pas pour telle à un premier regard : c’est par exemple la voix qui parle dans « Sonnez, sonnez toujours clairons de la pensée» (VII, 1) et qui, parce qu’elle est intemporelle, semble s’adresser à tous les tyrans de l’Histoire. Seule la place du poème au sein des Châtiments permet d’en préciser la stratégie d’énonciation.

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« collective qui vient relayer ou précéder la parole du poète.

En revanche, la confu­ sion des voix est le signe d'une confusion des valeurs et d'un dévoiement de la parole, comme le montrent ces capitans qui tous, « Dans les Louvres et les châ­ teaux/Disent : mangeons la France et le peuple en famille » (Livre VII, 2).

Le dispositif théâtral Le poète a recours aussi, quoique rarement, à une forme théâtrale qui dispose clairement le texte en dialogue comme dans « Le bord de la mer » (III, 15).

Même dispositif dans« Tout s'en va» (Livre V, 4) où il n'y a pas de véritable progression dramatique mais des effets d'accumulation et de variation sur le thème.

L'ordre dramatique En revanche ce qui appartient bien à l'ordre dramatique et qui montre le sens dramaturgique de Hugo, ce sont les termes qui forment pointes ou chutes, qui condensent toute une situation en lui donnant un retentissement quasi symbo­ lique: c'est la réponse de Pauline Roland(« Reniez votre foi; sinon, pas de clé­ mence, Lambessa ! choisissez.

-Elle dit : Lambessa ».

Ailleurs, on entend le cri des martyres:« Celle-ci qu'on amène un bâillon dans la bouche,/ Cria: -(c'est là son crime) - à bas la trahison ! »(Livre VI, 2).

On peut enfin citer l'exemple le plus travaillé de ces mots dramatiques et qui se trouve à la fin de « L'Expiation » (V, 13) ; mot dramatique qui se dédouble d'ailleurs en paroles entendues(« je suis ton crime, dit la voix) et révélation lue : « Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère,/leva sa face pâle et lut: DIX-HUIT-BRUMAIRE!».

~ Ill -LA PUISSANCE DE L'ÉNONCIATION La tribune des Châtiments Les Châtiments viennent de la tribune française, celle de la Révolution : « là, il est arrivé à la vérité de devenir violente et au mensonge de devenir furieux ; là, tous les extrêmes ont surgi » (Napoléon le Petit).

Or on sait que pour Hugo la tribune a trouvé son fondement dans Mirabeau, à la fois monstre et géant par qui la Vérité s'énonça.

Il fallut donc que la parole s'exprimât dans la violence pour qu'elle tourne autour de la Vérité.

Car la tribune était le lieu de la métamor­ phose du mensonge en Vérité: «que sortait-il du choc? toujours l'étincelle; que sortait-il du nuage ? toujours la clarté » (ibid.).

Le ressassement infini Dans la mesure où le coup d'État du 2 décembre signifie à la fois la désertion de Dieu et le mutisme du peuple, il faut qu'en face de l'imposture il reste« celui-là», qui peut maintenir la vérité de la parole, non pas en proposant forcément une alter­ native politique, mais simplement en se contentant de parler.

Il faut donc combler un vide par la parole.

« Et le poète des Châtiments se constitue ( ...

)comme une conscience dilatée, tendue sur un trou, tendue dans son effort pour recouvrir le trou central, qu'elle désigne en le niant, qu'elle nie en le désignant» (P.

Albouy).

Conclusion.

La polyphonie des voix dans Les Châtiments confirme le pou­ voir de la parole poétique qui n'existe ici que pour proférer la Vérité obs­ curcie par )'Histoire.. »

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