« L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer
Publié le 15/04/2011
Extrait du document
L'homme est cet étrange vivant qui réfléchit sur sa vie et cela d'ailleurs d'autant plus fortement qu'il a conscience de sa mort. Exister ne se ramène pas simplement à la seule notion d'être, davantage même que de l'existence, c'est alors en tant qu'existant que le penseur doit avoir conscience. L'existence ne saurait prendre son sens sans l'existant, soit l'Homme comme être capable de se laisser porter à l'expérience originelle du simple fait d'être là. Si bien que le sens fort du terme existence doit lui être réservé, puisqu'exister ce n'est pas seulement vivre mais examiner la valeur de notre vie confrontée au problème de la mort. Or s'il y a justement un problème de la mort c'est parce qu'elle apparaît à première vue comme la négation radicale de la vie, ce qui la fait sombrer dans le néant. L'existence, rattachée à l'être est liée à sa conscience, au néant, à la mort, et est déchirée entre les paradoxes du finis et de l'infini, de l'éphémère et de l'éternité, et enfin de la vie et de la mort. Car si sans mort toute existence n'en serait pas une, elle caractérise la condition humaine : je nais, je vis, pour finalement mourir.
«
situations, et qui sait par ailleurs opérer ce calcul rationnel quant aux conséquences des plaisirs.
L'homme ne peutdonc parvenir au bonheur qu'en s'élevant à une sagesse pratique qui allie la connaissance des principes et la priseen considération des circonstances toujours particulières.
Et cette sagesse pratique requiert indissociablement d'agirde façon opportune, au bon moment, en saisissant l'occasion.
Ainsi donc comprendre que nous sommes bien mortels, que notre vie n'a qu'une durée limitée et en même tempsnous libérer de la peur de la mort rend à notre vie toute sa valeur.
Si « la mort n'est rien pour nous » alors il n'y aque cette vie, et vivre est bien tout.
C'est pourquoi la philosophie doit s'efforcer de penser ce qui est, doit laisserles chimères, ne pas se perdre dans des spéculations sans objet et par là même se concentre exclusivement sur lavie.
Comme l'écrira SPINOZA, « La philosophie est une méditation de la vie et non de la mort.
»
C'est donc parce que nous allons mourir que la vie infiniment précieuse.
Si nous pouvions vivre toujours nous nenous interrogerions pas sur le sens et la valeur de notre vie.
Nous n'en mesurerions pas non plus son importancepuisqu'il n'y aurait qu'à poursuivre indéfiniment l'entreprise d'être.
Toutefois nous devons aussi nous demander si unetelle valorisation est systématique ou si elle implique au contraire certaines conditions.
Car il ne suffit peut-être pasde savoir superficiellement que nous sommes mortels pour rendre notre vie estimable.
S'il nous suffisait de penser à la mort pour que notre vie ait de la valeur, soit estimable, nous aurions une belle vieet chaque moment en elle serait vécu comme précieux.
Or nous sommes bien obligés de constater que toutesexistences humaines ne sont pas également accomplies, que certaines paraissent incontestablement plus intensesque d'autres.
Comme nous percevons avec non moins d'évidence qu'à certaines périodes et parfois d'ailleurs assezdurablement nous n'existons nous mêmes que très peu.
Pourtant chacun d'entre nous se sait bien mortel au tout aumoins prétend le savoir, croit le savoir.
Comme homme, en effet chacun a bien conscience – parce que d'unepart il considère ses semblables et d'autre part est capable de se projeter au-delà du présent pour envisager l'avenir– qu'il mourra un jour.
Tout homme peut donc savoir qu'il est mortel.
Alors pourquoi n'avons nous pas toujours le sentiment d'exister vraiment, c'est-à-dire non seulement de vivre, maisaussi et surtout de vivre à la hauteur d'une réflexion sur notre vie mortelle et par conséquent d'une manière intenseet authentique ?
La réponse pourrait être la suivante : d'un tel savoir de notre mort , la plupart du temps nous ne faisons rien et celad'abord parce qu'il reste trop abstrait, insuffisamment approprié, fait notre.
Cette façon de savoir superficiellementque nous sommes mortels constitue à la fois la façon la plus répandue et ce que chacun doit aussi dépasser s'il veuttransfigurer sa vie.
D'où cette urgence de la philosophie que rappelait EPICURE : « Quand on est jeune il ne faut pasremettre à philosopher.
» Il y a bien urgence parce que précisément nous sommes mortels.
Or si nous neréfléchissons pas le plus tôt possible à notre condition, nous allons laisser passer des années sans les vivrevraiment.
Et nécessairement après nous le regretterons, ce qui nous empêchera alors de tirer de notre passé laforce pour vivre bien au présent, quand celui-ci pourra avec les douleurs liées à l'âge être plus difficile.
Mais s'il y a une réelle urgence à philosopher, c'est précisément parce-que c'est par la pratique de la réflexionphilosophique que l'on peut passer d'un savoir superficiel à un savoir sérieux de notre condition mortelle.
Or un telpassage, une telle mutation est la condition sine qua non d'une transfiguration d'une vie malheureuse en une vieheureuse ou pour le dire autrement d'une vie sans valeur à une existence accomplie.
Qu'EPICURE demande à son lecteur de « mettre en pratique et de méditer ses enseignements » signifie bien qu'il estindispensable de passer d'un savoir superficiel de notre condition à une compréhension réelle.
Comme le notera JANKELEVITCH il existe un savoir, ou un prétendu savoir, qui n'est qu'en fait que méconnaissance.Certes tous les hommes savent qu'ils vont mourir.
Ils ne l'ignorent pas et pourtant ils le méconnaissent aussi dans lamesure où un tel savoir abstrait de la mort est surtout rassurant et utile à tous les divertissements.
Ledivertissement selon PASCAL consiste à s'agiter en tous sens pour ne pas penser sérieusement à notre mort, pournous détourner de sa considération.
Or quand nous croyons savoir que nous sommes mortels, la mort devienttellement banale, anodine, qu'elle ne signifie rien vraiment pour nous.
L'abstraction d'un tel savoir, sa généralité, lerend « inoffensif », selon l'expression de JANKELEVITCH.
Comprenons qu'elles le rendent totalement vain, futile,frivole.
Parce que dans cette perspective abstraite et superficielle tous meurent, alors la finitude ne me concerneplus personnellement et je puis ainsi vaquer à mes préoccupations quotidiennes sans m'en soucier d'avantage.
Face à cette méconnaissance, ce savoir abstrait et futile de la mort, il y a la réflexion philosophique et la méditationrépétée jamais relâchée de notre condition mortelle.
Celles-ci supposent d'envisager avec sérieux notre finitude etd'en faire à proprement parler notre affaire personnelle.
C'est à la condition de réaliser que c'est Moi et passeulement les hommes en général, qui vais mourir, qu'une telle compréhension de ma finitude pourra devenirconséquente, utile à ma vie.
Nous distinguons ici toute la différence entre les sciences et la philosophie.
Si les unescomme l'autre requièrent la raison, les premières ont pour ambition de découvrir des vérités générales , la seconderecherche une vérité qui éclaire ma vie, qui soit mienne.
Et c'est pourquoi la réflexion sur l'existence et la mort estproprement philosophique car si elle porte bien sur la condition humaine, elle ne vaut aussi que par ma façon de lamener et d'en tirer des conséquences pour ma vie..
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