« L'encre, c'est de la bile noire. La mélancolie, à travers les âges, guide et inspire l'écrivain. Qu'on la considère comme une maladie — une folie même —, un péché ou une volupté, elle accompagne toujours le réflexe d'écrire. » Source : le texte cité a été publié, sans signature, dans le Magazine littéraire (juillet-août 1987). Votre expérience de la littérature vous incite-t-elle à souscrire à cette opinion ? Sans vous limiter à une période donnée, vous exposerez votre point de vue
Publié le 30/03/2011
Extrait du document
Ecrire ne semble pas un acte naturel. La souffrance de l'écrivain, qu'il soit artiste maudit ou non, est maintes fois observée. Qu'est-ce qui pousse l'homme à écrire ? Pour certains, la réponse est la « bile noire «, « la mélancolie « qui « à travers les âges, guide et inspire l'écrivain. Qu'on la considère comme une maladie — une folie même — un péché ou une volupté, elle accompagne toujours le réflexe d'écrire «. Qu'est-ce que la mélancolie : une maladie, la dépression, le spleen ? Comment peut-on expliquer cette fréquente association entre la mélancolie et l'écriture ? N'y a-t-il pas au contraire des écrivains pour qui le livre est célébration, chant, joie ?
La mélancolie, à l'origine selon son exacte étymologie, désigne la bile noire dans la théorie médicale des humeurs chère à l'Antiquité. C'est pourquoi la citation assimile l'encre à la bile noire. Elle fut ainsi « vapeurs du cerveau « ou maladie de langueur selon les idées médicales de l'époque. Elle prend des teintes plus littéraires à partir du XIXe siècle comme chez Musset : « Un petit air de doute et de mélancolie Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie. «
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Enfin certains thèmes de prédilection expliquent l'accent mélancolique d'un grand nombre de pages.
L'écriture est laplupart du temps une quête, une recherche.
Quête de l'enfance, de la mère, du bonheur.
Enquête sur soi-même, lacondition humaine, le sens de la vie, de la société.
Réflexion sur la fuite du temps et la mort.
Le traitement de cesthèmes correspond en effet avec les grands courants et les écrivains nostalgiques ou mélancoliques.
On y aurareconnu Rousseau et sa recherche de l'enfance, de l'innocence, de la figure maternelle à travers Madame deWarens.
Baudelaire et le spleen illustré par les poèmes des Fleurs du Mal dans « Spleen et Idéal », Verlaine et saconjonction avec Saturne que la rencontre avec Mathilde Mauté tente de conjurer un temps.
Sont-ils si éloigné d'unPascal interrogeant avec angoisse la condition humaine?...
La fuite du temps, les amours manquées, l'oubli et lamort constituent les grands thèmes du romantisme auxquels se joint la vague certitude d'un ailleurs dans leromantisme allemand.
Enfin les écrivains modernes, en éliminant le sacré, affrontent l'absurde avec Camus ou Sartre.
Quelle que soit la permanence de la mélancolie à travers les âges, le nombre d'écrivains qui la servent dansl'écriture, et les thèmes où elle s'exprime, la mélancolie n'épuise pas le champ littéraire et les auteurs.
Il existe au contraire des écrivains pour qui l'acte d'écrire est une thérapeutique, une délivrance, une célébration ouune forme de militantisme précisément contre les forces obscures.
L'écriture thérapeutique est la preuve que la mélancolie dans son sens strictement étymologique, médical, peut aucontraire être combattue par l'écriture.
Ecrire la mélancolie peut la débusquer, la vaincre au lieu de se noyer en elle.C'est la vertu de la catharsis ou de l'exorcisme.
Ainsi le Docteur Blanche conseille-t-il(elle) à Nerval d'écrire, demême Maupassant couche-t-il sur le papier ses fantasmes et ses hallucinations dans la nouvelle fantastique LeHorla.
L'écriture permet d'affirmer sa personnalité, de s'arracher à un environnement ressenti comme étouffant pourdiverses raisons : celui de la religion et de la famille pour les sœurs Brontë, celui de la réclusion forcée et du racismepour Anne Frank...
Ecrire est synonyme de liberté.
Tous les prisonniers ressentent le besoin d'écrire, à leursproches, à eux-mêmes, au monde pour s'évader, pour rire ou pour témoigner de leurs souffrances, de la privation deliberté, aussi différents qu'ils soient : Voltaire, Dostoïevski ou Soljenitsyne.
Le signe sur le papier est affirmation dela personnalité contre les gardiens, d'espace contre les quatre murs de la cellule.
L'écriture peut également, de manière encore plus opposée à l'écriture-mélancolique, être joie et célébration.
Lesécrivains de la nature comme Colette, Giono, Anna de Noailles en sont de lyriques exemples.
Colette célèbre leparadis de l'enfance, la maison aux deux jardins, les chats, les confitures et surtout la figure maternelle, Sidol'immortelle, sans jamais tomber dans le versant nostalgique.
Giono n'est jamais plus allègre qu'en narrant sur unrythme soutenu les aventures d'Angelo aux prises avec la terrible épidémie de choléra dans Le Hussard sur le toit.
Ilfaudrait, à côté des écrivains de la mélancolie, dresser la liste de ceux de la joie, de l'hymne à la vie.
Peut-êtresont-ils moins nombreux, moins connus car faire partager ses angoisses est plus aisé que donner ou redonner legoût de la vie?...
A l'écriture-mélancolie, on peut enfin opposer celle qui milite positivement contre toutes les formes d'angoisses.Citons par exemple la satire sociale, qui plus ou moins grinçante, dénonce les injustices, les iniquités, les abus et lescombat ainsi.
Les contes de Voltaire, qu'ils accumulent les désastres comme dans Candide ou les sourires mêmeteintés de gravité comme dans L'Ingénu, le montrent.
Les pamphlets de Swift, les plaisanteries de ^Rabelais, lesparoles mesurées d'un Montaigne pris dans la tourmente des guerres de religions sont autant de manières et detempéraments différents d'affirmer que la mélancolie et la morbidité ne satisfont ni tous les écrivains, ni tous leslecteurs.
La mélancolie est certainement inhérente à l'Homme par la conscience qu'il a de sa condition humaine et descontradictions qu'elle engendre.
Elle revêt des noms et des explications différentes mais elle est de tous les temps.Elle est particulièrement liée à l'homme d'écriture qui, conscient de son étrangeté au sein de la société, en fait sonalliée et sa source d'inspiration.
D'Ovide à Charles d'Orléans exilés, de du Bellay à Rousseau, des romantiques àProust et à Marguerite Duras, elle accompagne de nombreux écrivains.
La difficulté d'écrire et l'accueil réservé par lasociété à l'écrivain expliquent l'écriture mélancolie.
Cependant il ne faut pas négliger pour autant les écrivains pourqui le livre est une thérapeutique, une évasion, un hymne à la joie et à la vie ou un moyen de combattre lesdiverses forces de la nuit..
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