L'ÉLOQUENCE RÉVOLUTIONNAIRE
Publié le 06/12/2018
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ÉLOQUENCE RÉVOLUTIONNAIRE. «L’éloquence révolutionnaire sera aussi célèbre que la tribune d’Athènes et celle de Rome » : l’affirmation de Louis-Sébastien Mercier, l'auteur de l'An 2440 et du Tableau de Paris, lui-même député à la Convention, est sans doute discutable, mais il est certain que, sous la Révolution, l’éloquence, cantonnée jusque-là, en France, dans les limites de la chaire et du tribunal, a retrouvé sa vocation première, qui est politique. De 1789 à 1795, le verbe a régné en maître dans les assemblées nationales, les clubs, les tribunaux, la rue, à Paris comme dans la moindre bourgade. Tous les grands moments de la Révolution trouvèrent leur origine ou leur sanction dans la parole éloquente, persuasive ou brutale, de quelques-uns qui surent entraîner les autres. Ce n’est pas un hasard si toutes les grandes figures politiques de cette époque, les Mirabeau, Brissot, Vergniaud, Danton, Robespierre, Saint-Just, furent de grands orateurs, et si leur chute fut entraînée par l’impossibilité où les mirent leurs adversaires de prononcer le discours qui aurait pu tout changer. Lire le compte rendu des débats des États généraux, de la Constituante, de la Législative, de la Convention, des clubs des Jacobins et des Cordeliers, c’est déchiffrer, derrière une rhétorique sublime ou ridicule, les affrontements où s’est joué en dernière analyse le destin de la France en ces années capitales.
Les sources de la rhétorique révolutionnaire
Dès les premières séances des États généraux, les orateurs firent preuve d’une aisance oratoire et d’une expérience des choses parlementaires qui ne peuvent étonner que ceux qui ignorent ce qu’étaient l'éducation et la culture d’un homme du xvme siècle. Dans les collèges, chez les jésuites en particulier, les études culminaient avec la classe de rhétorique, où les élèves s’exerçaient à la « dilatation, amplification et composition des discours » et apprenaient à imiter les grands modèles classiques dans les recueils de Contiones. On retrouve dans
«
tous
les discours de la période révolutionnaire une réfé
rence constante, obsédante, à la forme et au contenu des
sources oratoires antiques -latines, en particulier -,
et Marx a bien montré, au début du lB-Brumaire de Louis
Bonaparte, comment les hommes de 1789 empruntèrent
leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes aux
Romains de la République.
Taine, qui était très hostile
à la Révolution, cite, dans les Origines de la France
contemporaine, des exemples de ce qu'il appelle des
« gentillesses de cuistre», des « prosopopées de rhé
teur >>.
« Conçoit-on, écrit-il, que le rapporteur d'une loi
qui va exiler ou emprisonner quarante mille prêtres
apporte en manière d'argument des niaiseries aussi bour
souflées que celle-ci? "J'ai vu dans les campagnes les
flambeaux de l'hyménée ne jeter plus qu'une lueur pâle
et sombre, ou changer en torches des furies, le squelette
hideux de la superstition s'asseoir jusque dans la couche
nuptiale, se placer entre la nature et les �poux, et arrêter
le plus impérieux des penchants...
0 Rome, es-tu
contente? Es-tu donc comme Saturne, à qui il faut tous
les jours des holocaustes nouveaux? ...
Partez, artisans de
discordes; le sol de la liberté est fatigué de vous porter.
Voulez-vous aller respirer l'air du mont Aventin? Le
vaisseau de la patrie est déjà prêt; j'entends sur le rivage
les cris impatients des matelots, le vent de la liberté
enflera les voiles; vous irez, comme Télémaque, cher
cher votre père sur les mers; mais vous n'aurez pas à
redouter les écueils de Sicile ni les séductions d'une
Eucharis" >>.
A des hommes entraînés dès leur enfance aux joutes
oratoires et qui, pour une bonne part, étaient des avocats
(le comte de Saint-Simon a vu, dans cette prééminence
des hommes de loi bavards et « métaphysiciens», la
cause principale de l'échec de la Révolution), les œuvres
des «philosophes » du xvm< siècle fournirent à la fois
des idées et des modèles de style : le Contrat social,
l'Émile et la Profession de foi du vicaire savoyard >
(Aulard).
Avec Rousseau, Montesquieu (surtout chez les
Constituants), Diderot, Mably, Raynal furent les grands
pourvoyeurs des orateurs révolutionnaires en thèmes et
arguments politiques, sociaux, religieux et moraux.
Nous connaissons les discours des intervenants par un
certain nombre de publications : le Moniteur ou Gazette
nationale, de Maret, qui reproduit tous les discours écrits
et analyse les discours improvisés; le Journal des États
généraux, de Le Hodey, qui deviendra le Journal logo
graphique; le Républicain universel (plus tard le Répu
blicain français), le Journal des débats et des décrets.
Plusieurs journaux publiaient aussi les comptes rendus
des séances du club des Jacobins.
Les discours, dans les
débuts de la Constituante surtout, étaient entièrement
écrits, puis lus ou déclamés, et les séances ressemblaient
plus à des concours de déclamation qu'à des débats par
lementaires comme les Anglais les pratiquaient depuis
longtemps.
Peu à peu, le ton devint plus libre, et de
véritables discussions s'instaurèrent, exigeant des ora
teurs une grande capacité d'improvisation et de réplique.
Les luttes oratoires atteignirent leur sommet de septem
bre 1792 à juin 1793, avec l'affrontement entre Giron
dins et Montagnards.
C'est le moment où le goût de
l'éloquence politique se répand dans le peuple et tourne
à la manie : « Qui n'est pas orateur? Qui ne songe pas à
être orateur? ...
Aussi c'est à qui s'exercera à l'art de la
parole dans les clubs, dans les sociétés patriotiques et
jusque dans les tripots littéraires : on y imite en petit la
formation du corps législatif; on y crée un président, une
sonnette et des secrétaires; on y demande la parole; on y
fait des motions, des amendements; on consulte la majo
rité; et, comme dans les grandes assemblées, la minorité,
toujours plus active, plus opiniâtre et touj ours mieux
liée, l'emporte le lendemain >> (L.-S.
Mercier).
Après
le 2 juin 1793, les Montagnards régnèrent sans
partage, les opposants se turent, et les luttes intestines
entre les chefs de la Montagne n'eurent plus la tribune
pour théâtre.
Elles se dénouèrent devant le Tribunal
révolutionnaire, où l'éloquence militante fit entendre,
avec Vergniaud et Danton, ses derniers accents.
La dicta
ture de Robespierre mit à la mode les sermons politiques,
prononcés devant des députés muets qui manquaient
défaillir si Robespierre, ajustant ses besicles, les regar
dait trop longuement.
Un nouveau genre se développa
alors, le rapport, dans lequel un responsable, au nom
d'un comité, annonçait ses intentions ou commentait ses
résultats.
Il exigeait une éloquence plus sèche et plus
précise (Saint-Just y excellait) et préfigurait les procla
mations de l'Empire.
Les orateurs de la Constituante
Le plus grand est sans conteste Mirabeau dont les
discours étaient souvent écrits par des secrétaires, mais
qui les transfigurait par son génie de la déclamation et
par une action calme et grave, bien éloignée de la gesti
culation furieuse qu'on lui prête parfois.
Mais Mirabeau
ne manque pas de rivaux de qualité.
A droite, il y a
1' abbé Maury, prédicateur célèbre, auteur d'un Traité sur
l'éloquence de la chaire, au style violent et populaire, et
Cazalis.
Au centre droit, dans les rangs des monarchiens,
il faut citer Ma louet et Clermont-Tonnerre, et au centre
gauche, chez les Constitutionnels, Thouret, dialecticien
subtil, Sieyès, éloquent pamphlétaire mais orateur déce
vant, 1:abbé Grégoire, simple et direct, le pasteur Rabaut
Saint-Etienne, calme et solide, La Fayette, orateur
médiocre à l'Assemblée mais capable de galvaniser les
foules au milieu d'une émeute, et surtout Barnave, un
avocat, le seul capable d'improviser un discours, presque
aussi admiré que Mirabeau.
A gauche, un autre avocat,
venu d'Arras, se distingue par des discours à l'éloquence
d'apparat qui provoquent la moquerie de ses collègues.
«Il ira loin, il croit tout ce qu'il dit>), prophétise Mira
beau.
Il s'appelle Robespierre, on le retrouvera à la
Convention.
Les orateurs de la Législative et de la Convention
La Gironde, dit Michelet, « était propre à la presse,
aux discours, et rien de plus >>.
Le fait est qu'elle produi
sit de grands orateurs.
De Warville, dit Brissot, le «pen
seur de la Gironde)), qui a été un des fondateurs de la
Société des amis des Noirs, en 1788, est un orateur popu
laire aux Jacobins et à 1' Assemblée.
Son long discours
de janvier 1792 p01u justifier l'entrée en guerre de la
France restera célèbre, mais son chef-d'œuvre est sans
doute sa défense devant le Tribunal révolutionnaire, dont
on ne possède qu'un compte rendu tronqué.
Vergniaud
est le plus grand orateur de la Gironde, un des plus
admirés de toute la période révolutionnaire.
Ses discours,
soigneusement construits selon les règles classiques et
non dépourvus d'une certaine complaisance («un vain
batelage >>, dira Marat), ont volontiers recours à des répé
titions obsédantes : « Nous, modérés! » ou bien encore
«Vous êtes des imposteurs!)) C'est Vergniaud qui a
parlé de la Révolution comme d'un «Saturne dévorant
successivement tous ses enfants».
Condorcet, ami des
Girondins sans faire partie de leur groupe, orateur timide
et froid, se défie de l'éloquence, en quoi il voit «le
germe d'une corruption destructive>>.
L'écrit, la presse,
qui donnent le temps de la réflexion, lui semblent de
meilleurs moyens d'« éclairer» le peuple que des dis
cours enflammés, propres seulement à l'émouvoir.
La
Gironde compte encore d'autres talents : Buzot, tumul
tueux; Louvet, l'auteur de Faublas, au style sobre et
élégant; Pétion, très écouté bien que verbeux et.
»
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