Lecture méthodique de l’acte II, scène 9 d'Electre de Giraudoux
Publié le 07/01/2020
Extrait du document
Le mendiant, -[...] Et il plongea l’épée. Et le roi des rois n’était pas ce bloc d’airain et de fer qu’il imaginait, c’était une douce chair, facile à transpercer comme l’agneau; il y alla trop fort, l’épée entailla la dalle. Les assassins ont tort de blesser le marbre, il a sa rancune : c’est à cette entaille que moi j’ai deviné le crime. Alors il cessa de lutter; entre cette femme de plus en plus laide et cet homme de plus en plus beau, il se laissa aller; la mort a ceci de bon qu’on peut se confier à elle ; c’était sa seule amie dans ce guet-apens, la mort; elle avait d’ailleurs un air de famille, un air qu’il reconnaissait, et il appela ses enfants, le garçon d’abord, Oreste, pour le remercier de le venger un jour, puis la fille, Électre, pour la remercier de prêter ainsi pour une minute son visage et ses mains à la mort. Et Clytemnestre ne le lâchait pas, une mousse à ses lèvres, et Agamemnon voulait bien mourir, mais pas que cette femme crachât sur son visage, sur sa barbe. Et elle ne cracha pas, tout occupée à tourner autour du corps, à cause du sang qu’elle évitait aux sandales, elle tournait dans sa robe rouge, et lui déjà agonisait, et il croyait voir tourner autour de lui le soleil. Puis vint l’ombre. C’est que soudain, chacun d’eux par un bras l’avait retourné contre le sol. À la main droite quatre doigts déjà ne bougeaient plus. Et puis, comme Égisthe avait retiré l’épée sans y penser, ils le retournèrent à nouveau, et lui la remit bien doucement, bien posément dans la plaie. Et ce jeune Égisthe éprouvait de la gratitude pour ce mort qui la seconde fois se laissait tuer si doucement, si doucement On en tuerait des douzaines, de rois des rois, si c’était cela le meurtre. Mais la haine de Clytemnestre grandissait pour celui qui s’était débattu si bêtement, si férocement car elle savait que chaque nuit elle verrait dans un cauchemar ce massacre. Et c’est bien ce qui arriva. Et c’est bien là le compte de son crime. Voilà sept ans qu’elle l’a tué : elle l’a tué trois mille fois.
Extrait de l’acte II, scène 9, p. 127-128.
Ce que raconte le mendiant est en soi tragique : tout assassinat constitue une scène d'horreur, d'autant plus grande, dans le cas présent, que le mendiant accumule les détails horribles.
«
massacre.
Et c'est bien cè qui arnva.
Et c'est bien là le
compte de son crime.
Voilà sept ans qu'elle l'a tué: elle l'a
tué trois mille fois.
Extrait de l'acte II, scène 9, p.
127-128.
--· INTRODUCTION
Situation du passage
Tout est dit : Clytemnestre vient indirectement d'avouer qu'elle
a tué Agamemnon 1.
Égisthe refuse de la tuer à son tour, comme
le lui demande Électre.
Il a regagné son palais, en compagnie de
Clytemnestre.
Aussitôt, Oreste s'est précipité sur leurs pas.
Le mendiant raconte alors à la foule des infirmes qui s'est
assemblée autour de lui comment Clytemnestre et Égisthe ont
naguère assassiné Agamemnon.
Ils avaient savonné la marche
de la piscine; le roi des rois avait glissé; il ne pouvait se relever
seul à cause du poids de sa cuirasse.
Clytemnestre s'était appro
chée de lui.
Et il s'était étonné qu'au lieu de l'aider à se relever,
elle le maintînt à terre et qu'elle déliât le lacet de sa cuirasse pour
lui découvrir la poitrine.
Agamemnon avait alors compris qu'elle
cherchait à l'assassiner.
li s'était débattu, lui avait donné de grands
coups de pied dans le dos.
Le« visage rigide>> et dans d'immenses« éclats de rires )),
Égisthe était accouru, une épée à la main .
..Justification des axes d'étude
Le récit du meurtre d'Agamemnon se place sous le signe de
l'effroi.
Jean Giraudoux met tout en œuvre pour susciter un sen
timent de terreur chez le spectateur: par la nature même du récit
qui, consacré à un assassinat, devient tragique; mais aussi par
une habile écriture des faits rapportés.
En variant les points de
vue 2, le dramaturge fait ressortir les réactions de la victime et de
l'assassin.
En jouant enfin sur les temps verbaux, il donne l'impres
sion d'une fatalité à jamais en marche.
1.
Voir lecture méthodique 12, p.
178.
2.
L'expression du point de vue consiste, pour un auteur, dans sa manière de raconter en se mettant à la place du personnage..
»
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