Lecture méthodique de l’acte I, scène 8, p. 55-56 d'Electre de Jean Giraudoux
Publié le 06/01/2020
Extrait du document
Oreste. - J’ai tout à te dire.
Électre. - Tu me dis tout par ta présence. Tais-toi. Baisse les yeux. Ta parole et ton regard m’atteignent trop durement, me blessent. Souvent je souhaitais, si jamais un jour je te retrouvais, de te retrouver dans ton sommeil. Retrouver à la fois le regard, la voix, la vie d’Oreste, je n’en puis plus. E eût fallu que je m’entraîne sur une forme de toi, d’abord morte, peu à peu vivante. Mais mon frère est né comme le soleil, une brute d’or à son lever... Ou que je sois aveugle, et que je regagne mon frère sur le monde à tâtons... ô joie d’être aveugle, pour la sœur qui retrouve son frère. Vingt ans mes mains se sont égarées sur l’ignoble ou sur le médiocre, et voilà qu’elles touchent un frère. Un frère où tout est vrai, n pourrait y avoir, insérés dans cette tête, dans ce corps, des fragments suspects, des fragments faux. Par un merveilleux hasard, tout est fraternel dans Oreste, tout est Oreste !
Oreste. - Tu m’étouffes.
Électre. - Je ne t’étouffe pas... Je ne te tue pas... Je te caresse. Je t’appelle à la vie. De cette masse fraternelle que j’ai à peine vue dans mon éblouissement, je forme mon frère avec tous ses détails. Voilà que j ’ ai fait la main de mon frère, avec son beau pouce si net. Voilà que j’ai fait la poitrine de mon frère, et que je l’anime, et qu’elle se gonfle et expire, en donnant la vie à mon frère. Voilà que je fais son oreille. Je te la fais petite, n’est-ce pas, ourlée, diaphane comme l’aile de la chauve-souris ?... Un dernier modelage, etl’oreille estfmie. Je fais les deux semblables. Quelle réussite, ces oreilles ! Et voilà que je fais la bouche de mon frère, doucement sèche, et je la cloue toute palpitante sur son visage... Prends de moi ta vie, Oreste, et non de ta mère !
Extrait de l’acte I, scène 8, p. 55-56.
L'étranger a révélé à Électre son identité : il est Oreste, ce jeune frère qu'elle attend depuis si longtemps. Le congédiement du jardinier puis l'interruption de Clytemnestre intriguée par cet inconnu que, par défi, Électre prétend désormais épouser, ont perturbé leurs retrouvailles. La tombée du soir leur permet de donner libre cours à leur bonheur. Restés seuls avec le mendiant comme unique témoin, Oreste et Électre peuvent enfin se parler librement.
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INTRODUCTION
Situation de passage
L'étranger a révélé à Électre son identité: il est Oreste, ce jeune
frère qu'elle attend depuis si longtemps.
Le congédiement du
jardinier puis l'interruption de Clytemnestre intriguée par cet
inconnu que, par défi, Électre prétend désormais épouser, ont
perturbé leurs retrouvailles.
La tombée du soir leur permet de
donner libre cours à leur bonheur.
Restés seuls avec le mendiant
comme unique témoin, Oreste et Électre peuvent enfin se par
ler librement.
Justification des axes d'étude
Dans cette scène de retrouvailles, Électre se révèle une sœur
possessive, qui devient même une seconde mère enfantant
Oreste.
Le passage n'est donc pas exempt d'un certain trouble.
Il n'en demeure pas moins un texte somptueusement écrit où
le théâtre se fait poésie sans rien perdre de sa spécificité théâ
trale.
C'est l'exemple même de ce « théâtre littéraire » que Jean
Giraudoux appelait de ses vœux 1•
UNE SŒUR POSSESSIVE
Le frère et la sœur sont l'un vis-à-vis de l'autre non pas dans
une situation d'égalité, mais de dépendance.
Électre domine en
effet Oreste, devant lequel elle ressent un éblouissement dou
loureux.
La domination d'Électre
Électre impose d'emblée sa volonté à Oreste.
Jamais elle ne
l'interroge sur son passé ni ne se montre curieuse de ce qu'il a
pu faire et devenir durant ses vingt ans d'absence.
Sans doute
1.
Dans L'impromptu de Paris (1937).
Jean Giraudoux répond aux cri tiques qu'on lui adressait d'user d'une écriture théâtrale trop recherchée, trop précieuse et maniérée.
Mais pour lui, le théâtre ne pouvait être que «littéraire», selon sa formule, c'est-à-dire d'une grande beauté esthé tique..
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