L'écrivain Paul Nizan a écrit de Céline que dans Voyage au bout de la nuit « il arrache tous les masques, tous les camouflages, il abat les décors des illusions, il accroît la conscience de la déchéance actuelle de l'homme ». Dans quelle mesure cette réflexion éclaire-t-elle l'oeuvre ?
Publié le 24/04/2013
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Paul Nizan est un auteur français contemporain de Louis Ferdinand Céline. Lorsqu’il déclare que ce dernier, dans son roman Voyage au bout de la nuit « arrache tous les masques, tous les camouflages, […] abat les décors des illusions [et] accroît la conscience de la déchéance actuelle de l’homme «, son point de vue fait référence pour partie à un ancrage temporel dont il est judicieux de tenir compte. En effet, cela permet de mettre en tension deux aspects de l’œuvre la plus connue de Céline. Car d’une part, Voyage au bout de la nuit innove en révélant ce qu’il considère comme les absurdités d’une pensée dominante toujours en vigueur dans les années trente. Mais d’autre part, il s’agit d’une œuvre littéraire, une « œuvre d’art « qui dépasse largement le cadre de son temps pour nous toucher encore au vingt et unième siècle. Les propos élogieux de Paul Nizan sur Voyage au bout de la nuit rendent compte, pour une part, de la réalité de l’œuvre de Céline. Cependant, la terminologie à laquelle il recourt peut être sujette à caution. D’autant plus que l’œuvre de Céline n’est pas un manifeste, une œuvre politique, mais avant tout un roman, ce dont nous mesurerons les enjeux au terme de notre réflexion. D`abord, nous verrons comment la société et l`homme sont misent à nu. Ensuite nous analyserons en quoi le roman induit une réflexion sur la terminologie à laquelle recourt Paul Nizan. Et pour finir, nous étudierons comment le style de langage employé par Céline, fait tomber les masques et les camouflages. Le point de vue de Paul Nizan rend compte de certaines réalités du roman de Céline. Non seulement il met en évidence le travail de sape que conduit son contemporain sur la pensée courante, mais il rend compte également de la violence avec laquelle il procède dans le fond comme dans la forme. Céline, dans Voyage au bout de la nuit s’attaque en effet aux « masques «, aux « camouflages «, et aux « décors des illusions «. Certains personnages, qui se présentent en premier lieu comme avenants, sont ainsi littéralement « démasqués «. Ainsi, Lola, dans le deuxième chapitre de l’œuvre, apparaît en premier lieu avec son masque de jeune américaine se faisant un devoir d’aider « la France «. Mais les qualificatifs rongent le masque dès cette présentation. Son cœur est décrit comme « enthousiaste « et « faible «, et, au fil des pages, elle se révèle en fait capable d’un engagement tout relatif. Par « relations « interposées, elle se retrouve investie de la « mission « de confectionner des beignets aux pommes. L’ironie de l’auteur révèle le visage réel d’une jeune-femme dont l’héroïsme n’a de réalité que dans les mots et non dans les actes. Quant aux « camouflages «, ils sont également révélés. A l’arrière, les jeunes veuves du roman s’efforcent de séduire sous leur « camouflages « de vêtements noirs, par exemple. Céline s’attaque également aux trompe-l’œil, comme celui de « l’accompagnement « des soldats aux combats, applaudis, encouragés par des cris et des fanfares, véritable « décor des illusions « dont Bardamu va rapidement revenir. La révélation des vrais visages et des motivations réelles que cachent masques et décor se fait parfois avec violence dans Voyage au bout de la nuit, de telle sorte que les verbes employés par Paul Nizan – arracher et abattre – sont dans certains cas de figure tout à fait en adéquation avec la prose cé...
«
également de la violence avec laquelle il procède dans le fond comme dans la forme.
Céline, dans Voyage au bout de la nuit s'attaque en effet aux « masques », aux « camouflages », et aux « décors
des illusions ».
Certains personnages, qui se présentent en premier lieu comme avenants, sont ainsi
littéralement « démasqués ».
Ainsi, Lola, dans le deuxième chapitre de l'oeuvre, apparaît en premier lieu avec
son masque de jeune américaine se faisant un devoir d'aider « la France ».
Mais les qualificatifs rongent le
masque dès cette présentation.
Son coeur est décrit comme « enthousiaste » et « faible », et, au fil des pages,
elle se révèle en fait capable d'un engagement tout relatif.
Par « relations » interposées, elle se retrouve investie
de la « mission » de confectionner des beignets aux pommes.
L'ironie de l'auteur révèle le visage réel d'une
jeune-femme dont l'héroïsme n'a de réalité que dans les mots et non dans les actes.
Quant aux
« camouflages », ils sont également révélés.
A l'arrière, les jeunes veuves du roman s'efforcent de séduire sous
leur « camouflages » de vêtements noirs, par exemple.
Céline s'attaque également aux trompe-l'oeil, comme
celui de « l'accompagnement » des soldats aux combats, applaudis, encouragés par des cris et des fanfares,
véritable « décor des illusions » dont Bardamu va rapidement revenir.
La révélation des vrais visages et des motivations réelles que cachent masques et décor se fait parfois avec
violence dans Voyage au bout de la nuit, de telle sorte que les verbes employés par Paul Nizan - arracher et
abattre - sont dans certains cas de figure tout à fait en adéquation avec la prose célinienne.
Ainsi, « nos
concierges à nous, fournissent [...] de la haine assez pour faire sauter un monde » (p.212).
Musyne et Lola,
appréciées dans un premier temps, sont, une fois leur masque arraché, qualifiées respectivement de « garce »
et de « fiente ».
Quant au décor d'héroïsme de la guerre, il est effectivement « arraché » plutôt que démonté ou
effacé.
Arraché par une prose violente, comme en témoigne l'expression inversée « bas les coeurs ! » (p.
19)
que Bardamu emploie à la vue des réalités de la guerre.
Par ces dénonciations multiples, qui vont de la réalité prosaïque du « coeur de la concierge » à des entreprises
de propagande de grande ampleur comme la guerre ou le monde colonial, Bardamu, accroît-il « la conscience
de la déchéance actuelle de l'homme », comme le pense Paul Nizan ? Pour une part, le point de vue de Paul
Nizan peut facilement être illustré.
Céline permet une prise de conscience des fils douloureux qui tissent le.
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