Le VOL D'ICARE de BREUGHEL
Publié le 11/09/2014
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Le VOL D'ICARE de BREUGHEL, plein de soleil, est l'expression même de la solitude, non pas de l'égoïsme, mais de l'indifférence qui isole les hommes les uns des autres. Il a sans doute raison, ce laboureur, de tracer son sillon pendant qu'Icare se tue. Il faut que la vie continue, que le grain soit semé ou récolté pendant que d'autres meurent. Mais on souhaiterait qu'il lâche sa charrue et aille au secours de son prochain. Je me trompe peut-être et sans doute ignore-t-il qu'un homme se tue. Il en est aussi inconscient que la mer et le ciel, que les collines et les rochers. Icare meurt, non pas abandonné mais ignoré. Chacun de nous est comme ce laboureur. Chaque fois que l'on sort, on passe à côté d'un désespoir, d'une souffrance ignorée. On ne voit pas les regards implorants ni les misères de l'âme ou du corps. Je suis loin de mon prochain. Si j'en étais vraiment proche, j'abandonnerais toujours, sans même y réfléchir, ce que je suis occupée à faire, pour aller vers lui.
Anne PHILIPE, Le temps d'un soupir, Julliard.
Tout témoignage sincère se méfie des mots. La simplicité, le dépouillement auxquels s'efforce de parvenir Anne Philipe visent à peindre l'homme dans son émouvante nudité. Breughel n'agissait pas autrement, qui peignait inlassablement les scènes les plus quotidiennes de la vie, les travaux et les fêtes. La poésie et la vie quotidienne fusionnent. C'est là encore un des grands enseignements de l'humanisme : le banal est extraordinaire et pour atteindre l'homme, il faut s'adresser à lui dans sa vie immédiate. Rien n'est plus mystérieux que son cheminement vers la mort. L'image, volontairement classique, du grain, de la récolte et de la mort, qu'utilise l'auteur, n'a pas d'autre signification.
«
120 TEXTES ABSTRAITS
tout homme, la solitude qui naît, non de la mauvaise volonté des
êtres, mais des barrières invisibles entre lesquelles ils sont, de
gré ou de force, enfermés ? Le texte littéraire, dépouillé de tout
artifice, épouse ici la sérénité de la méditation.
1.
L'ÉLÉMENT TRAGIQUE DANS TOUTE SA PURETÉ
C'est une œuvre picturale flamande : le Vol d'Icare de
Breughel, qui offre à Anne Philipe l'occasion de sa réflexion.
Le tableau évoque un mythe : l'aventure d 'Icare, son dénoue ment n'affectent en rien la routine pesante et paisible du paysan
qui laboure au premier plan.
L'image est trop riche, trop pleine ;
le risque est grand que la méditation qui
s'en inspire ne perde
cette densité poétique qui résiste à toute décomposition.
Il
n'en est rien chez Anne Philipe.
C'est bien une correspon dance qu'elle établit entre l'image et l'idée, c'est la richesse de
sa personnalité qu'elle nous livre à travers son interprétation.
Le titre du tableau est en effet déconcertant, et
il faut un réel
effort d'attention pour discerner les deux jambes d'Icare qui
disparaissent, au loin, dans la mer : « Icare meurt, non pas aban donné mais ignoré».
Il n'est pas ) 'innocent sur lequel s'acharnerait un coupable.
Le paysan aussi est innocent, bien qu'il ne se porte pas à son secours.
Et comment accuser la passivité des
choses, la splendeur indifférente du matin? Nous sommes bien
au cœur du tragique : tous sont innocents, ou tous sont coupables.
Quel que soit le verdict de l'impossible procès, le destin impose
son impénétrable logique.
Comme bien souvent, la tragédie
éclate dans
un décor qui appelle au bonheur, entre des hommes
qui n'aspirent qu'à la paix.
Si la solitude d'Icare n'était due qu'à la méchanceté des
hommes, nous serions en plein « pathétique », nous pourrions
espérer un heureux dénouement.
Mais l'homme est seul malgré
lui, et l'indifférence qu'il porte à la souffrance d'autrui n'est
pas le fruit d'un repli volontaire mais d'une myopie liée à sa
condition.
La mort est l'instant de la solitude absolue, celui qu'on ne saurait partager avec autrui, qu'on ne parvient pas
seulement à imaginer : lorsqu'on pense à sa propre mort, on
s'imagine paradoxalement au pied de son cadavre.
Celui qui disparaît, involontairement négligé
par l'inconscience
des choses et des hommes, est irrémédiablement seul.
Et chacun
de nous joue le rôle du laboureur jusqu'au jour où il tiendra
celui d'lcare.
Le tableau et son interprétation littéraire nous
restituent ) 'élément tragique dans toute sa pureté..
»
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