LE THÉÂTRE de Montherlant
Publié le 24/11/2018
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LE THÉÂTRE
Montherlant ne vint que tardivement au théâtre représenté, mais on ne peut pas pour lui, comme pour Giraudoux, parler de la vocation tardive d’un romancier. En effet, Montherlant a constamment été sollicité par le théâtre; sa première œuvre, l’Exil (1929), fait déjà apparaître quelques thèmes essentiels : incommunicabilité; amitié virile; tentation de l’héroïsme et de l’esthétisme.
« Pour moi, il n’y a qu’une seule forme de théâtre digne de ce nom, le théâtre psychologique »
Passionné par l’expression dramatique, Montherlant n’est pourtant pas un homme de scène, et il aurait pu dire de presque toutes ses pièces ce qu’il disait de la Ville dont le prince est un enfant : « Il n’est pas dans les intentions présentes de l’auteur que cette pièce soit représentée ». Il affecte une certaine indifférence pour la mise en espace de ses œuvres : « Je m’en remets au metteur en scène pour les places et les mouvements (je serais incapable de les indiquer, et je ne me préoccupe pas de l’agencement scénique tandis que j’écris) ». Point d’aboutissement de cette tendance, la Guerre civile (1965) cache au spectateur son prologue et son épilogue, qui se déroulent rideau baissé.
C’est que, de son propre aveu, Montherlant se situe non sur le plan de la théâtralité, mais sur celui de la morale. Sans chercher à « construire mécaniquement une intrigue », il opte résolument pour un « théâtre tout intérieur », qui, « débarrassé de la mécanique foraine », serait « un prétexte à l’exploration de l’homme ».
Montherlant se réclame donc clairement de la tradition classique, cherchant à « exprimer avec le maximum de vérité, d’intensité et de profondeur un certain nombre de mouvements de l’âme humaine ». L’influence de Corneille (le thème de la Grâce permet de rapprocher Polyeucte et le Maître de Santiago} et même celle de Molière (les apparitions grotesques de Péréfixe dans Port-Royal et, bien sûr, l’inévitable comparaison entre Dom Juan et la Mort qui fait le trottoir) sont parfois sensibles. Mais c’est Racine qui est son maître. Par-delà sa constante référence au théâtre grec, et notamment à Sophocle et à Euripide, Montherlant sait faire « un monde avec rien » (Marcel Jouhandeau) et puise chez Racine nombre de thèmes et de structures : reprise du thème de Phèdre dans Pasiphaé; reproduction, dans Celles qu'on prend dans ses bras, d’une chaîne d’amour infernale; relations explicites entre certaines scènes de la Ville... et Andromaque. Ainsi s’expliquent les exigences dramatiques de Montherlant : unité et simplicité de l’action, rigueur de la construction et aussi, dans ce théâtre du discours, goût des créations verbales.

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serais incapable de les indiquer, et je ne me préoccupe
pas de l'agencement scénique tandis que j'écris) ».
Point
d'aboutissement de cette tendance, la Guerre civile
(1965) cache au spectateur son prologue et son épilogue,
qui se déroulent rideau baissé.
C'est que, de son propre aveu, Montherlant se situe
non sur le plan de la théâtralité, mais sur celui de la
morale.
Sans chercher à « construire mécaniquement une
intrigue», il opte résolument pour un « théâtre tout inté
rieur», qui, «débarrassé de la mécanique foraine»,
serait « un prétexte à l'exploration de l'homme ».
Montherlant se réclame donc clairement de la tradi
tion classique, cherchant à « exprimer avec le maximum
de vérité, d'intensité et de profondeur un certain nombre
de mouvements de l'âme humaine ».
L'influence de Cor
neille (le thème de la Grâce permet de rapprocher
Polyeucte et le Maître de Santiago) et même celle de
Molière (les apparitions grotesques de Péréfixe dans
Port-Royal et, bien sOr, l'inévitable comparaison entre
Dom Juan et la Mort qui fait le trottoir) sont parfois
sensibles.
Mais c'est Racine qui est son maître.
Par-delà
sa constante référence au théâtre grec, et notamment à
Sophocle et à Euripide, Montherlant sait faire « un
monde avec rien» (Marcel Jouhandeau) et puise chez
Racine nombre de thèmes et de structures : reprise du
thème de Phèdre dans Pasiphaé; reproduction, dans Cel
les qu'on prend dans ses bras, d'une chaîne d'amour
infernale; relations explicites entre certaines scènes de la
Ville ...
et Andromaque.
Ainsi s'expliquent les exigences
dramatiques de Montherlant : unité et simplicité de l'ac
tion, rigueur de la construction et aussi, dans ce théâtre
du discours, goOt des créations verbales.
« Le style gentilhomme »
Le théâtre de Montherlant peut paraître bavard et
affecté.
De fait, ses personnages semblent toujours en
« représentation », se donnant par leurs discours le spec
tacle de leur « hautainerie ».
Ils se jouent à eux-mêmes
le théâtre du langage.
Mais le flamboiement du langage n'est pas artificiel.
Il procède d'une nécessité interne aux œuvres, du double
point de vue des thèmes et de la psychologie.
D'abord,
Montherlant ne craint pas de manier divers registres du
discours, de l'argot des légionnaires (la Guerre civile)
aux petits potins des religieuses (Port-Royal).
De plus,
quand il se produit, le choc des mots renvoie au duel
des personnalités exceptionnelles mises en scène, et le
rebondissement des formules témoigne des contradic
tions tragiques qui écartèlent les héros.
« Le tragique de
mon théâtre est bien moins un tragique de situation qu'un
tragique provenant de ce qu'un être contient de lui
même>> .
Seul le langage peut alors manifester la prise
de conscience de ces déchirements.
Plus qu'une marque
d'élection des êtres forts, il est 1' essence même de la
dramaturgie de Montherlant.
Enfin, le choix de sujets
politiques favorise l'usage de la maxime, qui donne aux
«pièces en pourpoint» leur « atmosphère florentine».
Mais le langage scénique de Montherlant n'est pas figé
dans une suite de formules cornéliennes; il laisse la place
à des images ou à des figures, emblématiques de pièces
entières : le Maître de Santiago se structure autour d'une
antithèse (la colombe poignardée et la colombe ardente)
qui est modulée dans le décor, les êtres et les discours.
L'antithèse est d'ailleurs au cœur des pièces de l'affron
tement, de la Reine morte à Demain il fera jour.
Et la
litote indique à elle seule le couvent (Port-Royal) et le
collège aux amitiés particulières de la Ville.
Ainsi se
retrouve, au-delà des recherches de «poésie pure»,
quand la prose rejoint les mètres réguliers (cf.
la fin du
Maître), l'exigence classique, puisque «le théâtre n'est
bon que dans la litote».
«
iEdificabo et destruam » : construction dramatique
et dérision
En allant au-delà des clivages commodes ( « pièces
en veston »!« pièces en pourpoint »; veine profane/veine
sacrée), on discerne dans le théâtre de Montherlant une
continuité thématique, dans la psychologie (rapports
père/fils), dans la géographie (la péninsule Ibérique) ou
dans la politique (complexité des rapports au pouvoir).
En même temps on peut mesurer la distance qu'a prise
vis-à-vis de son théâtre un auteur décidément paradoxal.
Malgré la grande diversité des pièces, Montherlant
adopte un schéma dramatique différent de l'archétype
«classique» défini par Jacques Schérer: «L'action se
définit par les démarches des personnages mis en pré
sence des obstacles qui forment le nœud et qui ne sont
éliminés qu'au dénouement».
En effet, Montherlant
passe sous silence les démarches préalables des person
nages, car« l'action agitée est aimée du vulgaire ».
Ainsi
sont souvent mis en scène des héros âgés et désenchan
tés, dont les actions d'éclat sont loin dans le passé:
Cisneros, Malatesta, voire don Juan ne peuvent ou ne
veulent plus créer l'événement qui lancerait la pièce.
Tout commence donc à l'obstacle, au sommet de la crise
classique : opposition d'Alvaro au mariage de sa fille
Mariana, refus des religieuses concernant le « formu
laire » ou volonté exprimée par Christine de ne pas se
donner à Ravier.
Comme aucune péripétie décisive ne
vient débloquer une situation rendue ainsi inextricable,
les pièces évoquent ensuite l'attente.
L'action progresse
peu et grâce à de lentes évolutions que n'affectent guère
les événements extérieurs.
Par exemple, dans le Cardinal
d'Espagne, les jeux sont faits dès l'avant-dernier acte.
Ainsi peut s'expliquer le laps de temps souvent considé
rable qui s'écoule d'un acte à l'autre: trois semaines
entre le premier et le deuxième acte de Brocéliande, par
exemple.
Puis, de façon inattendue, survient le dénoue
ment, c'est-à-dire la dissolution de l'obstacle: renonce
ment de Mariana, expulsion de sœur Angélique...
Ce
dénouement, loin d'être une concession à la« mécanique
foraine », est la manifestation scénique des paradoxes et
des contradictions qui pétrissent les héros : paradoxal
refus de partir, chez Gillou (Fils de personne); trahison
et course à la mort inattendues chez don Juan (la Mort
qui fait le trottoir) ...
Mais généralement la pièce ne s'ar
rête pas là : elle se prolonge en un tableau final, scène
muette, lourde de significations, où se manifeste ce
« pouvoir du silence , que Montherlant apprécie chez
Racine : dernière cruauté de Porcellio, qui brûle les apo
logies de Malatesta; sanglots de l'abbé de Pradts ...
Or, cette forme visuelle de «théâtre pur», en même
temps qu'apothéose, est invitation implicite à la relec
ture, à la réinterprétation de pièces alors placées sous le
signe de la vision rétrospective.
Ainsi les constructions
en doublon abondent : parallélisme des actes IV et 1, Ill
et II dans Malatesta, des scènes III et VIl de 1' acte III dans
la Ville; motif du rêve prémonitoire dans Malatesta ou
dans Demain il fera jour, qui pousse à la réinterprétatin
d'indices anodins et favorise le «second regard».
Il
arrive même que celui-ci soit intégré dans la dramatur
gie, créant un effet de distanciation.
Tel est le rôle du
«Penseur-qui-a-des-idées-sur-don-Juan», de l'allégorie
de la guerre civile ou du chœur antique.
De la vision
critique à l'ironie il n'y a qu'un pas, et Montherlant en
vient à sourire de son propre théâtre.
Ainsi, la femme
du commandeur tué par Don Juan tourne en dérision
l'apothéose du Maître de Santiago: « Unidos! siempre
unidos! (Au public :) Ça, naturellement, ça veut dire:
Unis! unis à jamais! » De même, la grotesque pantomime
à laquelle elle se livre fonctionne comme une parodie de
la gestuelle propre aux tableaux finaux.
C'est enfin le
«style élevé >> lui-même qui est attaqué, dans Brocé
liande.
Au-delà de l'ironie sur la mentalité petite-.
»
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