Le sentiment de l'absurde dans l'Etranger de Camus
Publié le 22/11/2012
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Meursault n'a pas lu Le Mythe de Sisyphe. Il est on
ne peut plus éloigné des questions philosophiques qui y
sont abordées. Et d'ailleurs, sur de nombreux points,
son visage diffère de celui de l'« homme absurde « tel
que le décrit Camus. Et pourtant, il suffit d'ouvrir
L'Etranger pour faire infailliblement l'expérience du
«sentiment de l'absurde«.
Comment Camus parvient-il avec tant de sûreté à ce
résultat alors qu'il fait volontairement l'économie de
toute réflexion, voire de toute abstraction? Tout est
affaire de technique, c'est-à-dire de style. Mais l'on
sait, ainsi que le notait Proust à propos de Flaubert,
qu'un style nouveau, en art, peut transformer plus profondément
notre vision du monde que les plus
complexes constructions de la pensée philosophique.
«
Analyses et synthèses 1 73
posée dès 1938 par Albert Camus.
L'occasion lui en
avait été donnée par la publication du premier roman
de Jean-Paul Sartre, La Nausée, dont Camus rendit
compte dans
Alger républicain, le 20 octobre 1938.
Avec beaucoup
de perspicacité et de jugement litté
raire, Camus saluait dans
La Nausée «le premier
roman d'un écrivain dont on peut tout attendre».
Il exprimait cependant quelques réserves à l'égard du
livre et notamment à propos de la manière dont la
thèse philosophique
de celui-ci constituait comme un
corps étranger
que le récit ne parvenait pas totalement
à assimiler.
Si le lecteur n'entre pas véritablement dans
le livre, c'est à cause de
«ce déséquilibre si sensible
entre la pensée de l'œuvre et les images où elle se
joue» qui caractérise La Nausée.
D'où ces quelques
critiques qui sont aussi des remarques très générales sur
la littérature
et la philosophie, par lesquelles débute
l'article de Camus :
«Un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en
images.
Et dans un bon roman, toute la philosophie est passée dans les images, mais ll suffit qu'eUe déborde les
personnages et les actions, qu'eUe apparaisse comme
une étiquette
sur l'œuvre, pour que l'intrigue perde son
authenticité et le roman sa vie.
Pourtant, une œuvre durable ne peut se passer de
pensée profonde.
Et cette fusion secrète de l'expérience
et de la pensée, de la vie et de la réflexion sur son sens,
c'est eUe qui fait le grand romancier (tel qu'il se mani
feste dans un livre comme la Condition humaine, par exemple).,.
La position de Camus, on le voit, est double.
D'un
côté, il affirme qu'il ne saurait y avoir de grand roman
sans véritable pensée qui le soutienne.
Mais de l'autre,
il précise que cette pensée doit «passer» dans le tissu
même
du roman, qu'elle ne doit pas y rester étrangère.
Un équilibre est nécessaire, une «fusion secrète de
l'expérience et de la pensée»..
»
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