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Le sentiment de la patrie dans « Cinna ». Faire comprendre, tout en blâmant les moyens dont ils se sont servis, qu'Emilie, Cinna et Maxime se sont attachés à la tradition de Rome.

Publié le 13/02/2012

Extrait du document

Balzac écrivant à Corneille, après la représentation de Cinna, le félicitait d'avoir traduit avec fidélité les données de Sénèque et d'avoir heureusement transformé Rome, c'est-à-dire usé à propos des latitudes permises pour modifier les circonstances secondaires d'un poème. Corneille est surtout un traducteur scrupuleux des faits historiques admis de son temps; Comme on l'a démontré (1), il a un sens profond de ce que fut l'âme romaine aux différentes époques de la Ville; il la fait revivre, cette âme, dans Horace, Polyeucte, Pompée, Nicomède et dans Cinna proposé à notre étude....

« Scipion, les Galba, les Flaminius : leurs efforts sont impuissants, du moins prouvent-ils la constance de l'amour de la liberte dans Rome.

Apres les Gracques et la destruction de Carthage, le gouvernement modere dont parle Salluste (1) cede a la reaction aristocratique de Marius et Sylla, de ces joueurs politiques dont la patrie est l'enjeu (2). Cesar parait, qui joint toutes les gloires toutes les fonctions pu- bliques (3); mais dans Rome la fierte des republicains survit aux mceurs republicaines et la douceur de Cesar ne pent excuser a leurs yeux son omnipotence.

Its s'irritent des honneurs decernes a l'imperator et les sena- teurs precipitent eux-memes dans sa gloire le vainqueur de Pompee.

« C'est toi, dit Ciceron a Antoine, dans l'une 'de ses Philippiques, qui as tue Cesar quand, aux fetes des Lupercales, to lui as offert le bandeau royal.

) Les penseurs, « gens au visage maigre et bleme 20, s'agitent; ils rappellent au second Brutus le souvenir du premier, et Cesar tombe aux ides de Mars (44).

Rome n'etait affranchie d'un grand homme que pour se trouver a la merci d'ambitieux plus mesquins.

Apres les horreurs du triurnvirat, Auguste organise le despotisme, et l'empire tente par Marius, dedaigne par Sylla, remplace les vieilles institutions romaines.

A Actium (31), s'etait done accomplie l'une des plus importantes revolutions : e'en etait fait a Rome de la ponderation des pouvoirs.

Les empereurs auront beau conserver, sur les enseignes des legions, l'antique formule : Senatus populusque ro- manus, et donner la volonte nationale pour sanction a leur pouvoir, c'est bien le systeme des monarchies orientales qui envahit un monde qui ne le connaissait pas (4).

) Toutefois, et parce qu'il sent combien etait vivace le souvenir des antiques libertes, Auguste, .t ce grand trompeur >, maintient l'ancienne force de l'administration; it songe tous les dix ans a descendre du trone, et tous les dix ans, it se fait renouveler ses pouvoirs (5). C'est a l'un de ces acces de desinteressement dont parle Suetone que nous fait assister le premier acte de Cinna.

- II importe assez peu que la cons- piration organisee par Emilie, Cinna et Maxime, ait eu ou non, dans l'his- toire, l'importance qu'elle prend avec Corneille, et que, par sa date, elle ait ou non rendu plus facile le pardon d'une tentative impuissante a ren- verser un pouvoir bien etabli.

Ce qui nous interesse, et qui ressort des paroles des conjures, c'est qu'ils sont bien, par leur haine reelle ou simulee du despotisme, dans la tradition romaine. Ce sont des descendants des complices de Brutus, que les factieux harangues par Giulia : Au seul nom de Cesar, d'Auguste et d'EmpereurVous eussiez vu leurs yeux s'enflammer de fureur (I, 3), dit-il a Emilie.

En Maxime, meme repulsion pour la tyrannie.

Il paHe sincerement Auguste et a Cinna quand it leur rappelle qu' -à Rome on halt la monarchie; et que ...le seul consulat est bon pour les Romains. Je veux voir Rome libre ) s'ecrie-t-il avec enthousiasme; et ses vceux, loin de demeurer steriles, le font entrer dans la conspiration contre le tyran : pour s'en affranchir, tout s'appelle vertu. Jamais la liberte ne cesse d'être aimable Et c'est toujours pour Rome un bien inestimable. Emilie et Cinna sont beaucoup moins sinceres dans leurs revendications; mais, pour demontrer notre these, -- a savoir la persistance, dans toutes (1) Salluste : Jugurtha, 5. (2) Lettres de Ciceron, edit.

Panckouke, XIX, pages 135, 157, 267, 395; edit.

Nisard, pages 155, 372, 378.

(3) Plutarque, Cesar.

- a Cesar est tout ».

dit Lucain (Pharsale, III, 108). (4) V.

Duruy : Histoire des Romains, IV, 268.

- Nous reprouvons les paroles suivantes du meme auteur faisant l'apologie du cesarisme, et disant que, l'empire romain maintenu triomphant, a c'eat etc l'invasion contenue, le moyen age supprime, et, pour l'esprit humain, dix siecles de lumiere au lieu de dix siecles de tenebres et de servitude pendant lesquels la civilisation recula.

» Ouvr.

cite, IV, 270.

(5) Parlant de Pheredite, Ciceron dit : a Les Romains etaient tout prets a accepter le monarque, mais non la monarchie.

» Philipp., II, 34. Scipion, les Galba, les Flaminius : leurs efforts sont impuissants, du moins prouvent-ils la constance de l'amour de la liberté dans Rome.

Après les Gracques et la destruction de Carthage, le gouvernement modéré dont parle Salluste (1) cède à la réaction aristocratique de Marius et Sylla, de ces joueurs politiques dont la patrie est l'enjeu (2).

César paraît, qui joint toutes les gloires à toutes les fonctions pu­ bliques (3); mais dans Rome la fierté des républicains survit aux mœurs républicaines et la douceur ..

de César ne peut excuser à leurs yeux son omnipotence.

Ils s'irritent des honneurs décernés à l'imperator et les séna­ teurs préciJ?itent eux-mêmes dans sa gloire le vainqueur de Pompée.

« C'est toi, dit Ciceron à Antoine, dans l'une ·de ses Philippiques, qui as tué César quand, aux fêtes des Lupercales, tu lui as offert le bandeau royal.

» Les penseurs, « gens au visage maigre et blême », s'agitent; ils rappellent au second Brutus le souvenir du premier, et César tombe aux ides de Mars (44).

Rome n'était affranchie d'un grand homme que pour se trouver à la merci d'ambitieux plus mesquins.

Après les horreurs du triumvirat, Auguste organise le despotisme, et l'empire tenté par Marius, dédaigné par Sylla, remplace les vieilles institutions romaines.

A Actium (31), s'était donc accomplie l'une des plus importantes révolutions : c'en était fait à Rome de la pondération des pouvoirs.

«Les empereurs auront beau conserver, sur les enseignes des légions, l'antique formule : Senatus populusque ra­ manus, et donner la volonté nationale pour sanction à leur pouvoir, c'est bien le système des monarchies orientales qui envahit un monde qui ne le connaissait pas (4).

» Toutefois, et parce qu'il sent combien était vivace le souvenir des antiques libertés, Auguste, « ce grand trompeur », maintient l'ancienne force de l'administration; il songe tous les dix ans à descendre du trône, et tous les dix ans, il se fait renouveler ses pouvoirs (5).

C'est à l'un de ces accès de désintéressement dont parle Suétone que nous fait assister le premier acte de Cinna.

- Il importe assez peu que la cons­ piration organisée par Emilie, Cinna et Maxime, ait eu ou non, dans l'his­ toire, l'importance qu'elle prend avec Corneille, et que, par sa date, elle ait ou non rendu plus facile le pardon d'une tentative impuissante à ren­ verser un pouvoir bien établi.

Ce qui nous intéresse, et qui ressort des paroles des conjurés, c'est qu'ils sont bien, par leur haine réelle ou simulée du despotisme, dans la tradition romaine.

Ce sont des descendants des complices de Brutus, que les factieux harangués par Cinna : Au seul nom de César, d'Auguste et d'Empereur Vous eussiez vu leurs yeux s'enflammer de fureur (I, 3), dit-il à Emilie.

En Maxime, même répulsion pour la tyrannie.

II parle sincèrement à Auguste et à Cinna quand il leur rappelle qu' ...

à Rome on hait la monarchie; et que ...

le seul consulat est bon pour les Romains.

« Je veux voir Rome libre! » s'écrie-t-il avec enthousiasme; et ses vœux, loin de demeurer stériles, le font entrer dans la conspiration contre le tyran: ...

pou·r s'en affranchir, tout s'appelle vertu.

Jamais la liberté ne cesse d'être aimable Et c'est toujours pour Rome un bien inestimable.

Emilie et Cinna sont beaucoup moins sincères dans leurs revendications; mais, pour démontrer notre thèse, --' à savoir la persistance, dans toutes (1) Salluste : Jugurtha, 5.

(2) Lettres de Cicéron, édit.

Panckouke, XIX, pages 135, 157, 267, 395; édit.

Nisard, pages 155, 372, 378.

(3) Plutarque, César.- «César est tout».

dit Lucain (Pharsale, III, 108).

(4) V.

Duruy : Histoiu des Romains, IV, 268.

- Nous réprouvons les paroles suivantes du même auteur faisant l'apologie du césarisme, et disant que, l'empire romain maintenu triomphant, « c'eût été l'invasion contenue, le moyen âge supprimé, et, pour l'esprit humain, dix siècles de lumière au lieu de dix siècles de ténèbres et de servitude pendant lesquels la civilisation recula.

» Ouvr.

cité, IV, 270.

(5) Parlant de l'hérédité, Cicéron dit : « Les Romains étaient tout prêts à accepter le monarque, mais non la monarchie.» Philipp., II, 34.. »

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