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LE SEMINAIRE - - LE ROUGE ET LE NOIR DE STENDHAL (Analyse du roman)

Publié le 14/03/2011

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stendhal

     Julien l'a aimée ardemment, il l'aime encore. Mais ne s'était-il jamais dit, même auprès d'elle, que ces années de bonheur à Verrières ou à Vergy étaient du temps perdu pour son ambition ? Il est jeune, et dans une tête de vingt ans les impressions se succèdent vite, s'effacent l'une l'autre. Se souvient-il seulement, en approchant de Besançon, qu'il y vient chercher dans la religion un moyen de faire fortune? Il se laisse distraire par la nouveauté des spectacles qui s'offrent à sa vue. Dès que sur une hauteur lointaine il aperçoit les murs noirs de la citadelle : « Quelle différence, soupire-t-il, si j'arrivais dans cette noble ville de guerre pour être sous-lieutenant dans un des régiments chargés de la défendre ! « Besançon lui semble « une capitale «; tout l'y émerveille, tout l'y enchante, jusqu'au grand café du boulevard devant lequel il s'arrête, immobile d'admiration. Faisant un effort sur sa timidité il y entre, mais n'ose pas même demander une tasse de café. La demoiselle du comptoir, grande Franc-Comtoise fort bien faite, qui a remarqué son charmant visage, a pitié de son embarras, et le fait asseoir près d'elle à une table que le comptoir masque en partie. Il est de ceux qui plaisent tout de suite aux femmes et qui s'enflamment non moins vite. Voici le futur séminariste en conversation avec la belle fille; elle lui dit s'appeler Amanda Binet et lui donne son adresse sur une carte. Il en est déjà, quant à lui, à lui dire : « Je sens que je vous aime de l'amour le plus violent. « Pour un peu, il se ferait une affaire avec un grand diable qui semble du dernier bien avec elle, et qui, en passant, a jeté sur lui un regard dédaigneux. Mais il se laisse apaiser par un mot tendre qu'elle lui dit tout bas. Il sort du café; la brève excitation s'éteint ; il s'achemine vers le séminaire comme s'il allait à la prison.

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« — Votre nom ? — Julien Sorel. — Vous avez bien tardé, lui dit-on en attachant de nouveau sur lui un œil terrible. Julien ne put supporter ce regard ; étendant la main comme pour se soutenir, il tomba tout de son long sur leplancher. L'homme sonna.

Julien n'avait perdu que l'usage des yeux et la force de se mouvoir; il entendit des pas quis'approchaient. On le releva, on le plaça sur le petit fauteuil de bois blanc; il entendit l'homme terrible qui disait au portier : — Il tombe du haut mal apparemment ; il ne manquait plus que cela. Quand Julien put ouvrir les yeux, l'homme à la figure rouge continuait à écrire; le portier avait disparu.

Il faut avoirdu courage, se dit notre héros, et surtout cacher ce que je sens : il éprouvait un violent mal de cœur; s'il m'arriveun accident, Dieu sait ce qu'on pensera de moi.

Enfin l'homme cessa d'écrire, et regardant Julien de côté : — Etes-vous en état de me répondre ? — Oui, monsieur, dit Julien d'une voix affaiblie. — Ah ! c'est heureux. L'homme noir s'était levé à demi et cherchait avec impatience une lettre dans le tiroir de sa table de sapin quis'ouvrit en criant.

Il la trouva, s'assit lentement, et regardant de nouveau Julien, d'un air à lui arracher le peu de viequi lui restait : — Vous m'êtes recommandé par M.

Chélan, c'était le meilleur curé du diocèse, homme vertueux, s'il en fut, et monami depuis trente ans. — Ah ! c'est à M.

Pirard que j'ai l'honneur de parler, dit Julien d'une voix mourante.

— Apparemment, répliqua le directeur du séminaire en le regardant avec humeur. Sous ses dehors bourrus, l'abbé Pirard est un prêtre intègre, un homme droit et bon.

Après avoir longuementconversé en latin avec Julien, assez pour pouvoir apprécier sa vive intelligence, il promet de lui faire obtenir unebourse entière, lui accorde un logement séparé et, en l'appelant « mon très cher fils », le fait conduire à sachambrette qui donne sur la jolie vallée du Doubs.

Mais dès le lendemain, Julien se rend compte qu'il vient depénétrer dans un monde inconnu et redoutable.

En vain il redouble d'hypocrisie et, suivant les maximes qu'il s'estfaites, considère tous ceux qui l'entourent comme des ennemis dont il doit constamment se défier.

Il ne fait aucunpas qui ne soit un faux pas.

Mis en demeure de se choisir un confesseur, il croit se montrer habile en choisissantl'abbé Pirard, sans se douter que le sous-directeur, l'abbé Castanède, jouit d'un tout autre crédit auprès de laCongrégation et par conséquent de l'évêché.

Et d'autre part, il ne parvient pas à surmonter du premier coupl'instinctif dégoût que lui inspirent ses nouveaux camarades. Huit ou dix séminaristes vivaient en odeur de sainteté, et avaient des visions comme sainte Thérèse et saintFrançois, lorsqu'il reçut les stigmates sur le mont Vernia, dans l'Apennin.

Mais c'était un grand secret, leurs amis lecachaient.

Ces pauvres jeunes gens étaient presque toujours à l'infirmerie.

Une centaine d'autres travaillaient aupoint de se rendre malades, mais sans apprendre grand-chose.

Deux ou trois se distinguaient par un talent réel et,entre autres, un nommé Chazel; mais Julien se sentait de l'aversion pour eux, et eux pour lui. Le reste des trois cent vingt et un séminaristes ne se composait que d'êtres grossiers qui n'étaient pas bien sûrs decomprendre les mots latins qu'ils répétaient tout le long de la journée.

Presque tous étaient des fils de paysans, etils aimaient mieux gagner leur pain en récitant quelques mots latins qu'en piochant la terre... Julien ne lisait jamais dans leur œil morne que le besoin physique satisfait après le dîner, et le plaisir physiqueattendu avant le repas... Les jours de grande fête, on donnait des saucisses avec de la choucroute.

Les voisins de table de Julienobservèrent qu'il était insensible à ce bonheur ; ce fut là un de ses premiers crimes...

Voyez ce bourgeois, voyez cedédaigneux, disaient-ils, qui fait semblant de mépriser la meilleure pitance, des saucisses avec de la choucroute î fi,le vilain ! l'orgueilleux ! le damné ! Le bonheur pour eux, comme pour les héros des romans de Voltaire, consistait surtout à bien dîner.

Julien découvraitchez presque tous un respect inné pour l'homme qui porte un habit de drap fin.

Ce sentiment apprécie la justice. »

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