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Le sacre (sur l'air de Malbrouck) Jersey, juillet 1853 - Victor HUGO

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

hugo

Dans l'affreux cimetière,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Dans l'affreux cimetière  Frémit le nénuphar.    Castaing lève sa pierre,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Castaing lève sa pierre  Dans l'herbe de Clamar,    Et crie et vocifère,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Et crie et vocifère :  - Je veux être César !    Cartouche en son suaire,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Cartouche en son suaire  S'écrie ensanglanté :    - Je veux aller sur terre,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Je veux aller sur terre,  Pour être majesté !    Mingrat monte à sa chaire,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Mingrat monte à sa chaire,  Et dit, sonnant le glas :    - Je veux, dans l'ombre où j'erre,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Je veux, dans l'ombre où j'erre  Avec mon coutelas,    Être appelé : mon frère,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Être appelé : mon frère,  Par le czar Nicolas !    Poulmann dans l'ossuaire,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Poulmann dans l'ossuaire  S'éveillant en fureur,    Dit à Mandrin : - compère,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Dit à Mandrin : - compère,  Je veux être empereur !    - Je veux, dit Lacenaire,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Je veux, dit Lacenaire,  Être empereur et roi !    Et Soufflard déblatère,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Et Soufflard déblatère,  Hurlant comme un beffroi :    - Au lieu de cette bière,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Au lieu de cette bière,  Je veux le Louvre, moi !    Ainsi, dans leur poussière,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Ainsi, dans leur poussière,  Parlent les chenapans.    - Ça, dit Robert Macaire,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  - Ça, dit Robert Macaire,  Pourquoi ces cris de paons ?    Pourquoi cette colère ?  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Pourquoi cette colère ?  Ne sommes-nous pas rois ?    Regardez, le saint-père,  Paris tremble, ô douleur, ô misère !  Regardez, le saint-père,  Portant sa grande croix,    Nous sacre tous ensemble,  Ô misère, ô douleur, Paris tremble !  Nous sacre tous ensemble  Dans Napoléon-trois !

Dans le même temps, Hugo ridiculise ces personnages en soulignant l'excès de leur présomption. Le refrain exprimant la prétention de chacun d'eux à devenir empereur («je veux«) envahit littéralement le texte: en créant un phénomène d'écho, il finit par en souligner le ridicule. L'insistance de chaque personnage souligne sa crainte de ne pas être entendu : Castaing «Et crie et vocifère « (la répétition de la conjonction ridiculise l'image), Mingrat, pour se faire entendre, «monte à sa chaire«. Le concert des spectres s'achève en « cris de paons«. L'image du paon, symbole de vanité, préfigure l'allusion ultime à Napoléon III.

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« Paris tremble, ô douleur, ô misère !Ainsi, dans leur poussière,Parlent les chenapans. - Ça, dit Robert Macaire,Paris tremble, ô douleur, ô misère !- Ça, dit Robert Macaire,Pourquoi ces cris de paons ? Pourquoi cette colère ?Paris tremble, ô douleur, ô misère !Pourquoi cette colère ?Ne sommes-nous pas rois ? Regardez, le saint-père,Paris tremble, ô douleur, ô misère !Regardez, le saint-père,Portant sa grande croix, Nous sacre tous ensemble,Ô misère, ô douleur, Paris tremble !Nous sacre tous ensembleDans Napoléon-trois ! Enjeu du texte: une danse macabre Ce poème est l'une des douze chansons que comporte le recueil.

En empruntant cette forme, Hugo utilise un moded'information ou de propagande très populaire au XIXe siècle.

Il s'adresse donc ici tout particulièrement au peuple,qu'il entend réveiller par ses vers.

Les strophes peuvent être chantées, comme le précise le titre, «sur l'air de Malbrouck » — mélodie qui fut notamment utilisée par Beaumarchais dans son Mariage de Figaro, oeuvre prérévolutionnaire dirigée contre l'ordre établi. Véritable danse macabre, le poème décrit une sorte de sacre à l'envers : la première strophe situe la scène dans un cimetière ;les treize strophes suivantes font entendre la voix de sept bandits morts qui sortent l'un après l'autre de leurstombeaux pour exprimer leur voeu le plus cher: devenir empereur;les quatre dernières strophes sont prononcées par un personnages de mélodrame, le bandit Robert Macaire : ilrépond à ses camarades que leur voeu est réalisé, car le sacre de Napoléon III est aussi le leur. Le ballet de la mort Pour décrire la ronde des assassins sortant de leurs tombeaux, Hugo donne à ses vers un rythme lancinant. L'insupportable reprise obsessionnelle.

Sur 72 vers, seulement 37 sont différents.

Ce phénomène de répétition netouche pas seulement le refrain : «Paris tremble, ô douleur; ô misère ! », mais l'ensemble des couplets.

Le sens même du texte se dégage de ce phénomène de répétition.

Ce n'est pas le raisonnement qui se trouve ici convoqué,mais l'émotion, le sentiment, d'autant plus forts qu'ils s'éveillent insensiblement, comme inconsciemment, et visent àproduire une sorte de transe, un tremblement bien mis en valeur par l'inversion finale du refrain ( « Ô misère, ô douleur Paris tremble »). L'horrible musique des mots.

La reprise lancinante des mêmes sonorités vise au même effet.

Hugo parfait ainsi unetechnique inaugurée dans Les Orientales, où « les Djinns» évoquaient un ballet de démons.

C'est la consonne r qui domine : sur 72 vers, 56 ont des rimes en r, et dans 5 autres vers, le mot à la rime comporte un r en consonne d'appui du (« roi», « beffroi », «rois », « croix», « trois»).

Cette chaîne sonore organise en profondeur le poème et permet le rapprochement des termes du sacre et de la mort.

Les verbes utilisés insistent aussi par leur sens sur levacarme : «crie », « vocifère », « s'écrie», « déblatère», « hurlant».

La scène, qui déroule dans le cimetière de « Clamar», évoque en outre la formule célèbre de la Bible : «Vox clamans in deserto » (« La voix qui crie dans le désert»). La dramatisation.

La chanson suit une progression dramatique qui retrace les différentes étapes de la sortie des morts-vivants. Ainsi, dans la première strophe, nous sommes à la surface, une surface perméable puisque aquatique oumarécageuse : «Le nénuphar» y «frémit», annonçant par ce mouvement imperceptible le réveil des enterrés. Ensuite apparaissent, dans l'ordre, la «pierre» et le « suaire », c'est-à-dire l'enterrement et la préparation du mort,. »

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