« Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible ; le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le génie du roman fait vivre le possible : il ne fait pas revivre le réel. » En vous appuyant sur des exemples précis, vous commenterez ce jugement d’Albert Thibaudet.
Publié le 02/11/2016
Extrait du document
INTRODUCTION
La personnalité d’un romancier est toujours présente dans son œuvre, et ses personnages sont nourris de sa propre substance. Tantôt il choisit de revivre, à travers le cheminement de son livre, un épisode essentiel ou accessoire de sa propre existence. Tantôt il incarne dans un de ses héros tel aspect profond de lui-même dont il porte le regret de n’avoir pu le laisser s’épanouir librement et victorieusement dans le champ de la vie. Bien plus, même les personnages qui sembleraient de prime abord lui être les plus étrangers empruntent l’étincelle de vie qu’il leur transmet, aux infinies richesses des personnalités multiples qu’il recelait en lui, en puissance. Ainsi s’éclaire ce jugement de Thibaudet : « Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible. » Mais faut-il admettre avec lui qu’un roman autobiographique ne saurait être l’œuvre d’un véritable romancier?
LE ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE
Sans doute, sous sa forme la plus simple, le roman peut-il emprunter sa matière aux souvenirs vécus : sous l'impersonnalité de la forme, les confidences affleurent à chaque page ; l’auteur y retrace des événements auxquels il a été intimement mêlé, il se campe lui-même sous les traits de l’un de ses héros, et les autres personnages qui figurent dans le roman offrent pour la plupart l’image fidèle d’autres êtres qui furent ses proches ou ses familiers. En un certain sens Thibaudet n’a pas tort de ne voir dans cette sorte d’écrits qu’une forme inférieure du roman, quand il s’agit de certains ouvrages où le mérite de l’écrivain au moins se réduit à la simple faculté d’évoquer des souvenirs. Tel est le cas, par exemple, de deux romans dont il est heureux sans doute pour la renommée de leurs auteurs qu’ils soient
«
restés inachev és : Patrice, de R ena n, et Étienne Mayran, de
Taine .
Au reste, Taine lui -m êm e ne se faisa it guè re d'illusions
s u r ce point et, avec une lucidi té qu i n'alla it pas sans quelque
mé lancolie, il rendait un jour hommage à un romancier authen
tique, en ces termes: «Vo us avez le don essent iel que nous admi rons tant, nous autres découpeurs et an al ystes, jus temen t parce
qu'il nous ma nq ue et qu'il indique un espr it const ruit s ur un patron opposé au n ôtre ».
Bref n'est pas romancier qui veut et le roman autobiographiq ue peut être en effet le refuge de l'éc riva in à q ui manque, de toute évidence, ce do n créateur.
Po urta nt, parm i les rom ans qu i s'inspiren t étro itement d'u ne
réa lité vécue par leu rs auteurs, il en est qui méritent pleinemen t
l 'in térêt et l 'esti me q u'ils o nt suscités .
Dans Dominique, Fromentin
a trans posé une passion qu 'i l avait éprouvée, dés l'enf ance, et à laquelle il reste ra fidèle toute sa vie.
Dominique de Bray,
l e nar rateur et le héros du roman , n'est au tre que Froment in lui
même, et sous les traits de Madeleine il a dépeint Jenny Chessé ,
cette jeune créole q u'il a pro fon dém ent aimée.
Les événeme nts
vécus se
retro u vent également dans certains éléments essentiels
de l'intrigue.
Dans le roman, com me dans la vie, le mariage de
ce lle qu'il aim e plonge le jeu ne homme dans le désespoir et pour apaiser sa douleur il s'en va à Pari s cherc her l 'oub li dans le travail.
En outre, l'aut eur situe son roman dans un cadre qui évoque
irrésis tiblement celui où il a longtemps vécu.
Les paysages de
l'A unis si chers à son cœur servent de toi le de fond au récit, et le château des Trembles où Dominiq ue a passé son enfance
e t où il mène une vie de gentilhomme campag nar d au mo m en t où il ég rène ses confidences, n'est au tre que cette propriété de
f am ille de Sa int-M aurice, tout proche de La Rochelle, où
Fromentin grandit au près de s on père médecin et où, au retour
de ses voya~es, il se retirera pour mou rir .
Enfin L'E ducation Sentimentale, l'un des plus beaux romans
de Flaube rt, q ue cer tain s considèren t même comme son chef
d'œuv re, re
trace, comme l'a montré Gérard Gailly et, à sa suit e,
R en é Dum esnil, l'hi stoire de la longue passion qu'il épro uva
pour ma dame Schlésinger.
Cette jeune femme qu 'il rencontra pour la première fo is à l'âge de quinze an s s ur la plage de Trouv ille revit dans le roman sous les traits de Madame Arnoux
comme l'auteur lu i- mê me y est dépeint sous les t raits de Frédé
ri c Moreau.
Selon le témoignage de Maxi me Du Camp qui fut '.l'1 f~m ilier de F lau be rt , il n'est pas un des acteurs qu'il ne pu isse nomm er.
Il les a «tous connu s et cotoyés ».
Sans doute l'éc rivain.
»
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