Le roman social en France
Publié le 14/11/2018
Extrait du document
• Théoricien et chef de file du mouvement naturaliste, Émile Zola (1840-1902) est l'auteur d'une œuvre, celle des « Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire » (1871-1893).
• Dans les premiers volumes, il se fait le peintre d'une société qui broie les individus. Ainsi, dans l'Assommoir (1877), il décrit la déchéance d'une famille ouvrière : Gervaise et Coupeau, ménage modèle, sombrent dans la prostitution pour la première, dans l'alcoolisme pour le second, à la suite d'un accident du travail. Nana (1880), fille des précédents, devenue courtisane, achève d'illustrer la décomposition de la société de l'Empire. Mais, après avoir décrit la descente au fond de l'abîme, Zola se fait l'apôtre d'une montée des forces nouvelles.
LA FICTION « VRAIE »
Évoquer le roman social, c'est établir dans quelles conditions s’est faite l'entrée du peuple en général, et du monde du travail en particulier, dans le roman. La tendance s'amorce au xixe siècle, dans des oeuvres encore teintées de romantisme, puis progressivement plus réalistes. Il faut toutefois attendre Émile Zola pour voir le monde ouvrier devenir un sujet littéraire et le roman entrer en politique en prenant la défense du prolétariat naissant. Plusieurs écrivains engagés issus du peuple prennent le relais. Le développement des revendications sociales et l'effroyable bilan humain de la guerre 1914-1918 alimentent la littérature militante. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde du travail demeure au centre de la littérature engagée. Mais l'évolution économique dans la seconde moitié du xx' siècle, avec notamment la transformation de la classe ouvrière et l'apparition de nouveaux « exclus », chômeurs et « quart monde », modifie la donne du roman social.
Ce dernier se fait « noir » et emprunte souvent la voie du roman policier pour dénoncer les dysfonctionnements d'une société en crise.
LE PARADOXE DU « ROMAN SOCIAL »
Roman et société
• Le roman est une œuvre de fiction, alors que les phénomènes sociaux renvoient à la réalité la plus concrète : le « social », à l'époque où naît le genre littéraire du « roman social », c'est l'univers du prolétariat ouvrier naissant.
• C'est précisément cette association qui donne au genre toute sa force. Œuvre d'imagination, le roman permet de mettre en scène la vie d'un nouveau personnage - l'homme du peuple, l'ouvrier, le prolétaire - évoluant dans un nouveau décor - l'usine, la mine, l'atelier, la rue. Le roman donne à son auteur toute liberté de décrire avec réalisme un monde en pleine transformation économique et sociale.
Description et dénonciation
• En décrivant les mœurs, les conditions de vie, les aspirations du monde ouvrier, le roman social informe. Ce faisant, son auteur ne fait pas seulement œuvre de documentaliste. Ne se contentant pas de témoigner, il dénonce aussi les imperfections et les excès d'une évolution de la société qui se fait souvent au détriment de ces nombreux figurants qui constituent le peuple.
• Il met en lumière les nouveaux rapports de force entre les classes sociales en cours de formation. Dans la mesure où l'univers décrit sécrète injustice, inégalité et misère, le roman social appelle à un changement.
LES ÉLÉMENTS DU ROMAN SOCIAL
• Le roman social se présente généralement comme une peinture très réaliste du milieu qui constitue son décor ainsi que des conditions de vie des personnages.
Sur un autre plan, il décrit la révolte d’un personnage principal contre ses conditions de vie.
• La description est le plus souvent faite de l'intérieur du milieu concerné. Elle emprunte le vocabulaire et le style de langage propres à ce milieu.
• Dans sa manière de mettre en scène les problèmes auxquels ses personnages sont confrontés, le narrateur prend leur parti et leur défense. Il exprime de la compassion pour leur malheur et donc de la compréhension pour la révolte qui anime son personnage principal. Il communique ainsi au lecteur sa propre aspiration au changement.
L'ENTRÉE EN LITTÉRATURE DU MONDE DU TRAVAIL
• En France, c'est à partir de 18301840 qu'apparaît la veine du roman social. Plusieurs auteurs situent leurs intrigues dans les milieux qui subissent de plein fouet la révolution industrielle, dans les villes, les ouvriers, dans les campagnes, les paysans sans terre.
Des peintures
ENCORE TEINTÉES DE ROMANTISME
• Eugène Sue (1804-1857) publie en feuilleton Les Mystères de Paris (1842-1843). L'œuvre connaît aussitôt un immense succès. Les bourgeois découvrent, avec une curiosité un peu malsaine, les « barbares » qui vivent au milieu d'eux. De leur côté, les gens du peuple se reconnaissent dans cet ouvrage écrit pour eux. Sue y expose avec réalisme le problème fondamental de la ségrégation entre les classes supérieures et les classes laborieuses. Le crime y est évoqué comme une conséquence de la misère, faisant apparaître les classes populaires comme des classes dangereuses.
«
Le
choix du titre est significatif :
Germinal est le nom du septième mois
du calendrier révolutionnaire, le mois
de la germination, de la renaissance de
la nature.
Écrire Germinal, quinze ans
après les événements de la Commune
(1871}, c'est tenter de réactiver
le processus de reconnaissance
de la classe ouvrière.
C'est appeler
à une société plus équitable à un
moment où les « prolétaires » s'unissent
et obtiennent le droit de grève, où
les mouvements sociaux se multiplient,
notamment dans les mines.
La graine
a germé, des hommes nouveaux
arrivent qui rétabliront la justice,
proclament Germinal et Zola.
UN ECRIVAIN CONTRE L'INJUSTICE
SUR TOUS LES FRONTS
• Epris de justice, Émile Zola s'engage
dans l'« affaire Dreyfus », du nom
d'un officier juif injustement condamné
aux travaux forcés à perpétuité (1894}
pour espionnage.
Publié dans l'Aurore
du 13 janvier 1898, son article intitulé
«J'accuse», dans lequel il met en cause
la hiérarchie militaire, fait scandale.
Condamné, Zola doit se réfugier
en Angleterre, mais son action n'est
pas étrangère à la grâce (1899} puis
à la réhabilitation (1906} de Dreyfus.
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AVANT LA GRANDE GUERRE
• Républicain, défenseur des valeurs
de la Révolution de 1789, Eugène
Leroy (1836-1907} décrit dans
Jacquou le Croquant (1899} la situation
que connaît sa province du Périgord.
Celle-ci lui semble constituer une fidèle
illustration de l'histoire sociale de son
époque.
Opprimés par une noblesse
qui les exploite, les paysans se rallient
à la rébellion de Jacquou et s'emparent
avec lui du château de Nansac.
Cette action prend le sens
d'une véritable émancipation.
• Libertaire et individualiste, Octave
Mirbeau (1848-1917} n'a cessé
de dénoncer les hypocrisies et les vices
de la bourgeoisie et les ravages de
l'économie capitaliste.
Dans le Journal
d'une femme de chambre (1900},
il stigmatise l'esclavage des temps
modernes qu'est la domesticité.
• Dans Marie-Claire (prix Femina 1910},
Marguerite Audoux (1863-1937}
raconte comment, orpheline et illettrée,
elle est parvenue à devenir couturière.
Divers écrivains, combattants ou non,
témoignent de la situation du peuple
1-------------_, au lendemain du conflit.
GERMINAL:
L'ENQUin PRÉALABLE
• Adepte de la transcription fidèle
de la réalité, Émile Zola s'immerge
totalement dans le milieu qu'il
s'apprête à décrire dans Germinal.
Pour nul autre de ses romans,
il ne poussera aussi loin le souci
de l'authenticité.
Il se livre à une
quete documentaire sans précédent :
il consulte les ouvrages sur la mine
de la Bibliothèque nationale, suit
les procès intentés aux grévistes
du Creusot en 1870.
L'écrivain va
jusqu'à séjourner dans le pays minier
de Valenciennes.
Il y est le témoin
de la grève d'Anzin, en février 1884,
suivie par douze mille mineurs.
Il arpente le carreau des mines
et partage l'univers des mineurs.
Il note, dessine, photographie,
se comportant comme un vrai
journaliste.
Zola revient transformé
de son séjour dans le Nord, avec une
autre vision de la population ouvrière
et de ses luttes.
C'est ce travail
préparatoire qui confère à Germi nal
toute sa puissance.
Le N• tk Ot�ude
Berry ( 1993} fait revivre
de façon saisissante les conditions
de travail inhumaines des mineurs.
•
Eugène Dabit (1898-1936}, auteur de
Train de vie {1936}, et Henri Poulaille
(1896-1980}, auteur des Damnés de
la terre (1935}, sont les représentants
d'un populisme teinté de naturalisme.
• Homme du peuple devenu écrivain,
Louis Guilloux (1899-1980} explore
l'univers social des artisans et des
employés dans des ouvrages où priment
la fraternité et la révolte des opprimés
(la Maison du peuple, 1927 ; le Pain des
rêves, 1942; le Jeu de patience, 1949).
• Dans sa série des « Hommes de bonne
volonté », Jules Romt1ins (1885-1972 }
propose une histoire des relations
sociales pendant la guerre de 1914-1918.
Il n'hés�e pas, dans Verdun (1938},
à critiquer le matérialisme des ouvriers
de « l'arrière " qui, pacifistes avant
guerre, travaillent à la fabrication
d'armes.
• Écrivain combattant et socialiste,
Henri Barbusse (1873-1935}
est l'auteur du Feu (Goncourt 1916},
épopée réaliste du peuple en guerre
qui sent naître en lui un nouvel espoir
et une nouvelle conscience morale.
• Roger Martin du Gard (1881-1958}
fait traverser la guerre à sa saga familiale
des Thibault.
Illustrant la tentation du
pacifisme, il met en scène, dans l'Été 14
{1936}, un personnage qui aspire à
changer le cours de l'histoire en appelant
les belligérants à la fraternisation.
LA
LITTÉRATURE ENCAGÉE
L'engagement des intellectuels,
et notamment des écrivains, contre
le nazisme durant l'avant-guerre et
le second conflit mondial laisse la place,
dans la période suivante, à une lutte
politique entre les forces de gauche
et celles de droite.
Après la parenthèse
de la guerre, les revendications sociales
refont surface.
à œuvrer à l'avènement d'un monde
moins inhumain.
On peut à ce titre
considérer les Cloches de Bâle (1934},
les Beaux Quartiers (1936} et
les Communistes {1949-1951)
comme des romans sociaux.
• Communiste convaincu puis
spectateur désabusé de la politique,
Roger Vailland (1907-1965} écrit
plusieurs romans engagés construits
comme des tragédies : Beau Masque
(1953) se déroule dans une usine
textile où les ouvriers manifestent ;
325 000 Francs (1955} raconte
le destin tragique d'un ouvrier, victime
de l'aliénation du travail mécanisé,
qui essaie de fuir sa condition.
LES REMISES EN CAUSE DE MAl 1968
• Après Mai 1968, il est plus difficile
de repérer des courants représentatifs
du roman social.
La contestation
vise toutes les formes traditionnelles
de l'autorité, y compris celles
qui affirment représenter le peuple.
• D ur ant la période qui sui� de profondes
mutations s'opèrent: la modernisation
des usines, l'allongement de la
scolarisation et la rupture entre les
générations qu'elle induit, la disparition
des bastions ouvriers « historiques "
- mines, chantiers navals, industrie
textile, sidérurgie -, l'importance
croissante des ouvriers immigrés font
perdre à la classe ouvrière ses marques
traditionnelles.
Celle-ci finit de se
dissoudre dans les années 1980, alors
que le libéralisme économique assure
le triomphe de l'entreprise et du
marché au prix d'une mobilité du travail
et d'un chômage croissants.
Dès lors,
les écrivains « sociaux » se contentent
de témoigner de leur propre expérience.
L'INDIVIDU BRISÉ PAR LE TRAVAIL
• Robert Linhart (né en 1946},
jeune maoïste, décide de se faire
embaucher comme ouvrier spécialisé
pour mettre son militantisme au service
de la classe ouvrière.
Dans l'Établi
{1978}, il témoigne des conditions
de travail dans les usines Citroën.
•
Leslie Kaplan (née en 1948}
témoigne dans l'Excès-Usine (1982}
des contraintes imposées aux corps
des ouvriers et de leurs souffrances.
• Dans Sortie d'usine (1982}, Fran�ois
Bon (né en 1953} dit ce qu'est la vie
des êtres dépossédés d'eux-mêmes
par le travail.
Dans Paysage de fer
(2 000}, il dresse un état des bâtiments
et des objets délaissés qui prouvent
la fin de l'âge industriel.
lES DIFFICULTÉS DE L'ASCENSION SOCIALE
• La difficulté d'être immigré est
magnifiquement exprimée dans Élise
ou la vraie vie (1967} de Claire
Etcherelli (née en 1937}.
• Fille de petits commerçants devenue
agrégée de lettres, Annie Emaux
(née en 1940} témoigne dans la Place
(1983} des difficultés de l'ascension
sociale (prix Renaudot en 1984).
• Dans le Gone du Chaôba (1986}, Azouz
Begag (né en 1957} écrit un hymne
à l'école, indispensable instrument
d'épanouissement des individus.
• Marie Ndiaye (née en 1967}
dénonce l'esclavage et la séquestration
dont elle a été victime comme femme
de ménage (Hilda, 1999}.
L'IMPOSSIBLE ÉPANOUISSEMENT
DANS DES SOCIÉTÉS EN CRISE
• Dans Extension du domaine de
la lutte (1994}, Michel Houellebecq
(né en 1958) campe un technicien
en informatique qui va de déceptions
en déceptions et qui fait l'apprentissage
du dégoût.
Dans les Particules
él émentaires (1998}, c'est le déclin
de notre civilisation qui cause
la débâcle de ses personnages.
• Dans l'lmprécateur (1974},
René-Vidor Pilhes (né en 1934}
pourfend les hypocrisies sociales
et dénonce l'affairisme.
·Amélie Nothomb (née en 1967}
dans Stupeur et tremblements (1999}
donne vie à une héroïne qui est
incapable de se plier à la culture
d'entreprise japonaise.
L'AVÈNEMENT DU ROMAN
POLICIER « SOCIAL n
b NOUVEAU ROMAN cc NOIR n
• Certains auteurs de romans policiers,
dont les premiers, comme Léo Malet
ou Georges Simenon, ont débuté
leur carrière avant guerre, mettent
en scène avec réalisme la société
contemporaine afin d'en dénoncer
les dysfonctionnements.
On parle
de « roman policier social » au sujet
de ces romans souvent plus « noirs »
que « policiers » qui font aujourd'hui
ligure de littérature engagée, qu'ils
choisissent de dénoncer le racisme,
les inégalités sociales ou les
« magouilles » des hommes politiques.
• Fidèle à ses origines, mais
particulièrement en phase avec
l'époque, un certain roman policier
contemporain renvoie ainsi l'image
d'une société qui sécrète de l'injustice.
chaque
arrondissement de la capitale.
Apparu dans 120 , rue de la Gare (1943),
son personnage récurrent, le détective
Nestor Burma, plonge un regard
humoristique sur son époque
à travers toute la série des
« Nouveaux Mystères de Paris ».
• La même veine anarchisante
et désabusée alimente les romans
de Claude Aveline (1901-1992)
comme la Double Mort de Frédéric
Belot {1932}, l'Abonné de la ligne U
{1940} ou l'Œil-de-chat (1970}.
LE RETOUR DU ROMAN POPULAIRE
• Ecrivain libertaire,
Jean-Bernard
Pouy (né en 1946} est le créateur
de la série « le Poulpe "• entreprise
littéraire et éditoriale originale pour
laquelle il propose à divers auteurs
d'écrire une aventure de son héros,
le détective Gabriel Lecouvreur,
dit « le Poulpe », qu'il a créé dans
La petite écuyère a cafté (1995}.
Les divers épisodes de cette série sont
en phase avec l'actualité politique ou
sociale dont ils dénoncent les scandales.
Jean-Bernard Pouy est également
l'auteur de romans policiers « sociaux»
comme la Belle de Fontenay {1992}.
• Jean Vautrin (né en 1933} se livre
également avec humour à la critique
d'une société en crise dans Billy-le-Kick
(1974} ou Bloody-Mary {1979}.
• Didier Daeninckx (né en 1949}
est un autre adepte du roman policier
social (En marge, 1994 ; Mort au
premier tour, 1997}, tout comme
Thierry Jonquet (né en 1954}
(les Orpailleurs, 1993; Moloch, 1998).
LE PHÉNOMÈNE SIMENON
• Le Belge GHtyft s--.
(1903-1989) est sans conteste un
des plus fameux représentants
contemporains du roman social.
A partir des années 1930, cet auteur
prolifique a rénové le style du roman
policier en y introduisant notamment
une forte dose de réalisme social.
• Georges Simenon a écr�
quelque 400 romans qu'il a vendus
à 700 millions d'exemplaires à travers
le monde.
La série des « Maigre! »
a été inaugurée en 1931 avec Pietr
le Letton.
De nombreux titres ont été
adaptés pour le cinéma et la télévision.
• Chaque enquête de son célèbre
commissaire Maigre! est l'occasion
de pénétrer une ville, une activité
professionnelle, un milieu social.
Une
certaine forme de fatalité sociale est
d'ailleurs souvent à l'œuvre dans ses
romans.
Le style inim�able de Georges
Simenon, qui fut aussi grand reporter,
fait de Jules Maigre! un « passeur »
qui nous introduit de manière unique
dans la fourmilière humaine..
»
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