Le roman devient "l'histoire morale contemporaine", il "s'impose les études et les devoirs de la science", affirment les frères Goncourt dans la préface de Germinie Lacerteux. Pensez-vous que cette conception s'applique au roman naturaliste que vous avez lu ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
I. Le roman étudié se fonde effectivement sur une méthode scientifique.
- Les lieux, le milieu sont décrits avec minutie et impartialité.
- Les personnages sont étudiés, « disséqués «.
- L'influence du milieu sur les tempéraments y est démontrée.
II. Toutefois, cette démarche est limitée, nuancée par le travail littéraire de l'écrivain.
- L'ambition initiale du romancier limite son objectivité.
- L'entreprise de montrer une « histoire morale « oriente le travail de l'auteur.
- Le roman naturaliste demeure de la littérature.
«
Cette volonté d'observation, cette démarche scientifique correspondent donc bien à (X).
Toutefois, ce désir derigueur et d'objectivité ne se heurte-t-il pas à un parti pris littéraire et idéologique initial ?
II.
Si le romancier naturaliste nous offre, selon l'expression de Zola dans Le Roman expérimental, des « lambeaux de la vie humaine », ne les intègre-t-il pas dans une démarche argumentative plus vaste ?
Tous, en effet, ont pour but de nous donner des oeuvres qui « viennent de la rue » comme le disaient lesGoncourt.
Mais, parallèlement, chaque texte a non seulement pour aboutissement mais aussi pour point dedépart, la volonté arrêtée de trouver, grâce à l'étude scientifique menée, la confirmation de théories mises surpied préalablement.
Zola se passionne pour les effets de l'hérédité, Maupassant pour les recherches médicalessur la folie, la psychologie.
Tous deux introduisent alors dans leurs livres ces intérêts en montrant commentces facteurs modifient, font évoluer des tempéraments.
À partir d'une observation et d'une description du réel,ils construisent des histoires qui démontrent, par des conséquences visibles, les effets de ces théories.
Ladémarche scientifique consiste, à partir de l'observation et de l'expérimentation, à trouver par induction les loisqui régissent le réel, celle des naturalistes les conduit à plaquer, par déduction, ces lois sur l'universromanesque qu'ils créent.
Tous les personnages de Zola, même s'ils ne sont pas des ivrognes, comme ÉtienneLantier, supportent le poids de l'hérédité alcoolique de leur famille (un verre suffit à le rendre différent), leshéros de Maupassant font découvrir sa vision pessimiste de la société et de la vie.
1.
Mais un écrivain pourrait-il, s'il veut avant tout proposer un univers littéraire personnel, s'en tenir àl'impartialité objective du savant ? Puisqu'ils désirent mettre en valeur leur époque, les naturalistes ne sont-ilspas conduits à choisir les éléments réalistes qui servent leur démonstration, qui s'intègrent dans leur création? Lorsque Zola choisit l'univers minier, ne doit-i I pas, pour en faire sentir tout le poids sur l'être humain, enamplifier l'influence ? Le Voreux devient ainsi logiquement plus qu'un puits de mine.
C'est un avaleur, undévoreur d'humains...
La tragédie qui s'abat sur les Maheu peut-elle être aussi totale, aussi importante pourune seule famille ? À l'évidence, ils deviennent les représentants de leurs congénères.
L'ambiguïté dunaturalisme apparaît ici clairement : la volonté scientifique les conduit à retenir des faits, des personnagesemblématiques et significatifs, qui cristallisent à eux seuls l'essentiel de la démonstration.
Ils dépassent alorsles simples caractères romanesques, deviennent des « types » de tempéraments.
Les devoirs de la sciencesont alors quelque peu oubliés.
2.
On le voit, la littérature naturaliste, parce qu'elle cherche à définir l'influence du milieu sur des êtres, parcequ'elle veut transformer la vie en objet littéraire, parce qu'elle veut faire d'une histoire individuelle celle d'uneépoque, d'une société, tend à sortir de l'enquête scientifique.
Si l'observation du réel en est le point de départ,le roman naturaliste tend à proposer une image orientée par un point de vue.
Même les rares personnages deZola qui échappent à la tare alcoolique servent sa démonstration.
Ils sont des contrepoints révélateurs.
Si cecourant littéraire a souvent été qualifié de « littérature putride », c'est parce que son ambition morale apoussé les auteurs à s'intéresser davantage au sordide, à la misère, à la rue qui lui offraient de bien meilleurslieux d'observation.
Leur ambition scientifique ne les a pas conduits à montrer le luxe, la richesse ; rien ne s'yopposait, sinon leur ambition littéraire et idéologique.
Leur objectivité est teintée de parti pris, leur enquêtesociale de quelques choix précis.
3.
Conclusion
Ainsi, il est possible de dire que (X), comme de nombreuses oeuvres naturalistes, nous propose bien une histoireconçue comme celle de la société contemporaine, étudiée avec la minutie et la rigueur scientifiques.
Cependant,force est de constater que, poussé par ses choix littéraires et idéologiques, son auteur (le nommer) a brossédavantage le portrait d'un monde vu sous un angle d'observation préalablement établi suivant un point de vue qui ena orienté l'analyse.
La conception des frères Goncourt correspond donc en partie seulement à cette œuvre.
Enfin, sila littérature naturaliste a fini, comme l'écrivit Huysmans, « par rabâcher, par piétiner sur place », ne serait-ce pas,finalement, parce que cette volonté forcenée de présenter une histoire morale contemporaine l'a conduite à négligerles exceptions, les éléments originaux, à trop vouloir généraliser ?.
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