LE ROMAN AU XVIIIe SIÈCLE TROISIÈME ÉPOQUE : DE 1760 A LA RÉVOLUTION - Histoire de la littérature
Publié le 25/01/2018
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Tous les romanciers, même Laclos, étaient d'accord : ils prétendaient seulement émouvoir et instruire; pour beaucoup (le cas de Laclos est différent) cela revenait à entretenir les lecteurs dans leur bonne conscience à l'abri de conventions que ni les uns ni les autres n'apercevaient. L'époque où le roman peut enfin exprimer la vérité sociale, qui est alors celle de la bourgeoisie, est aussi l'époque où il laisse le plus l'impression de la fausseté. Seul Diderot élève des doutes sur l'authenticité de l'image que le roman donne de la vie, et, en même temps que Sterne en Angleterre, dénonce comme un malentendu le langage commun aux romanciers et à leurs lecteurs, et essaie d'écrire des romans fidèles au réel et insolents envers le public. Le roman sentimental bourgeois lui semblait aussi faux que le roman héroïque baroque; admirateur de Greuze et auteur de drames sensibles, il versait et faisait verser des larmes sur de pathétiques scènes de la vie privée, mais n'était pas dupe comme romancier du romanesque qu'il aimait dans un tableau ou sur le théâtre. La philosophie, s'appuyant chez lui sur une critique de la connaissance et une critique de la morale, l'obligeait à réviser les cadres de jugement et les procédés de description reçus : mais le roman s'opposait maintenant à la philosophie, dont il avait frayé le chemin quelque trente ans plus tôt. Les romanciers, qui ignoraient les essais romanesques de Diderot non répandus dans le public, étaient volontiers disciples de Rousseau dont la religiosité et le moralisme étaient plus émouvants que la sécheresse voltairienne : Candide détruisait le roman, et Jacques le Fataliste, s'il eût été rédigé plus vite et publié, ne l'aurait pas reconstruit; La Nouvelle Héloïse, au contraire, fournissait à des imitateurs superficiels, mais non absolument infidèles, une rhétorique et une thématique du roman sentimental.
Richardson dans la préface de Pamela, Rousseau dans les deux préfaces de La Nouvelle Héloïse évoquent le cercle de leurs lecteurs : ce sont à peu près les mêmes, honnêtes gens de situation aisée (plus aisée pour Richardson), aimant vivre dans leur famille et profondément moraux; mais au contraire de Richardson qui se promettait la faveur d'un public nombreux, Rousseau pensait ne toucher que quelques campagnards solitaires : << Ce livre [ ... ) convient à très peu de lecteurs »; il fut surpris des applaudissements du grand monde, dont il n'avait pas besoin; à son tour Laclos, dénombrant ses lecteurs possibles, assure : « ce Recueil doit plaire à peu de monde R >>; Baculard d'Arnaud, dans la préface de ses Nouvelles historiques, se dit << convaincu >> qu'il n'ira pas << à la célébrité >> et qu'il demeurera << dans une obscurité profonde >>, goûté seulement des gens vertueux, << ce public sensible et estimable, qui seul (l') intéresse2 >>; Loaisel de Tréogate reconnaît que ses Soirées de mélancolie sont d' << une monotonie abondante, fastidieuse pour bien des gens », sauf pour les âmes sensibles s• Il est clair que désormais l'auteur de romans écrit pour un groupe de lecteurs et refuse le jugement d'un autre groupe : le premier groupe est celui des bourgeois vertueux et sentimentaux; le second, celui des aristocrates oisifs et libertins et de leur entourage de parasites. Jusqu'alors les bourgeois parvenus s'étaient assimilé la culture aristocratique et le roman avait pu exprimer leurs idées et leurs sentiments sans rompre avec la littérature consacrée; genre encore marginal, il avait plutôt à se défendre contre le mépris d'une critique étroite qu'à répudier le public des autres genres; maintenant, écrire un roman sérieux implique qu'on est l'interprète d'un état d'esprit, d'un goût, d'une sensibilité, d'un genre de vie qui ne sont pas infailliblement
«
définition du genre romanesque : il n'en est rien, le genre triomphe mais se dissout.
L'époq ue, qui connaît les dernières années de Louis XV, le règne de Louis XVI,
la réaction nobiliaire, les débuts de la Révolution, n'a pas plus d'unité politique :
l' anticomanie succède au rococo et au goût du Moyen Age, le conte galant voisine
avec l'épopée en prose.
Caractères généraux
La date de 1760 n'a évidemment rien d'absolu, pas plus que les critères selon
lesquels sont répartis les auteurs : Voltaire et Mme Riccoboni, rangés dans la
période antérieure, ont écrit la plus grande partie de leurs romans après 1760 ;
Baculard d'Arnaud, créateur du genre sombre, a commencé son œuvre dès 1745.;
Rousseau ouvre cette période finale tout aussi bien qu'il couronne la période
précédente ; enfin, les catégories du genre romanesque qui existaient auparavant
sont toujours pratiquées, l'exemple de Gil Bias, de La Vie de Marianne et surtout
de Cleveland est loin d'avoir épuisé sa vertu.
Mais aux environs de 1760, le roman
traverse une crise grave et complexe.
Richa rdson dans la préface de Pamela, Rousseau dans les deux préfaces de
La Nouvelle Héloïse évoquent le cercle de leurs lecteurs : ce sont à peu près les
mêmes, honnêtes gens de situation aisée (plus aisée pour Richardson), aimant
vivre dans leur famille et prof ondément moraux; mais au contraire de Richar dson
qui se promettait la faveur d'un public nombreux, Rousseau pensait ne toucher
que quelques campagnards solitaires : qu'il n'ira pas > et
qu'il demeurera >, goûté seulement des gens ver
tueux,.
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