Le roman a-t-il pour vocation de changer la société ? (Hugo)
Publié le 17/01/2022
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Quelle est la finalité d'un roman ? Doit-il seulement décrire le monde ou se proposer de le transformer ? Ici, il s'agit d'étudier les liens dialectiques entre la littérature et la politique.
"... des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles" dit Hugo dans la préface des Misérables...

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Pourtant, si le roman ne pouvait être utile qu'en se faisant le porte-parole des idées du romancier, il ne serait qu'unpiètre outil du progrès social.
L'expression d'un point de vue ne produit qu'un changement superficiel]
En effet, si le roman n'était qu'une oeuvre idéologique, il serait aliénant.
Il aurait pour conséquence de vider lelecteur de lui-même pour lui substituer une identité d'emprunt, fictive et stéréotypée.
Chaque lecturesusciterait une nouvelle pensée, une nouvelle conviction, éphémère et impersonnelle.
De plus, l'influence duroman sur les idées n'est parfois qu'une apparence.
En effet, quand on compare l'évolution du genreromanesque et l'histoire des mentalités, on conclut peut-être trop vite à l'influence de la première sur laseconde.
Est-ce parce que Céline et d'autres ont peint la noirceur de la banlieue dans Voyage au bout de la nuit que les lecteurs ont ouvert les yeux sur cette question qui est maintenant au coeur des préoccupations sociales ou est-ce parce la question devenait cruciale que Céline a écrit son roman et a rencontré un public ?Enfin, on ne peut pas confondre oeuvre romanesque et essai.
Si on réduit le roman à son contenu idéologique,il perd sa spécificité et peut être assimilé à n'importe quel autre écrit : la série des Rougon-Macquart de Zola,dans cette perspective, ne se distinguerait guère des textes d'Auguste Comte sur le positivisme ou de ceux deClaude Bernard sur l'hérédité.
On voit l'absurdité d'une telle proposition.
Ainsi, une modification directe,consciente, immédiate du lecteur par sa lecture romanesque est sujette à caution : aliénante ou illusoire, elleréduit dans tous les cas le roman à un texte d'idées.
Si la lecture d'un roman peut réellement transformer leslecteurs et servir la société, c'est donc par sa dimension littéraire.
A.
Apprendre à lire un roman et le monde] B.
Cherchons donc à analyser comment le roman en tant qu'oeuvre littéraire et non idéologique peut agir sur celui quis'en empare.
Tout d'abord, le roman nous propose un personnage de lecteur que nous incarnons dans la lecture.Ainsi, Victor Hugo, dans Les Misérables, suggère un lecteur courageux, que rien n'arrête (« même pour les plus forts », l.
18, « Nul ne marche seul », l.
18, « hardiesse », l.
31), un lecteur qui pourrait se mettre au service la sociétésans hésitation.
Ainsi, alors même que le narrateur ne s'adresse pas directement à un lecteur virtuel, il le façonne etle lecteur réel, qui s'y identifie, s'en trouve transformé.
Le roman engendre donc son lecteur.
De plus, la lecture d'unroman transforme son lecteur dans le sens où elle modifie ses habitudes de lecture.
Dès lors, les plus audacieux desromans sont ceux qui agissent le plus profondément sur leurs lecteurs.
En effet, lorsqu'un roman transgresse les normes établies par la tradition, il déçoit l'horizon d'attente du lecteur et crée en lui une autre attente.
Suggérerqu'il existe plusieurs manières d'écrire, que nos idées sur le roman ne sont que des a priori, des préjugés, que la réalité est beaucoup plus complexe, nous fait ouvrir les yeux sur le monde lui-même.
Déstabiliser le lecteur dans seshabitudes de lecteur, l'inviter à reconsidérer ce qui lui semblait établi une fois pour toutes, c'est aussi réveiller lecitoyen en lui, l'amener à interroger le monde qui l'entoure, à le remettre en cause si nécessaire.
Si la lecture deL'Enfant peut modifier la façon dont le lecteur perçoit le monde, ce n'est pas parce qu'elle impose un point de vue sur l'archaïsme de l'enseignement, mais plutôt parce qu'elle suggère que le langage quotidien (« Qu'est-ce que jevais donc bien dire ? », l.
8) peut être un langage romanesque et que l'on peut envisager sur le mode comique des situations révoltantes ou douloureuses (« il est Agrippinus, Aspasios, il n'est pas Aspasie, il n'est pas Agrippine, il setord les poils et les mord, désespéré », l.
24-25).
En ce sens, le roman modifie le lecteur de manière unique etspécifique car l'écriture romanesque ne se confond avec aucune autre.
[Conclusion partielle et transition] Ainsi, si le roman peut être utile dans un monde d'injustice sociale, ce n'est pas tant par la diffusion d'idées que par une écriture spécifique.
Le roman ne doit pas pour autant être cantonnédans ce rôle.
[III - Le roman n'a toutefois pas pour seule vocation d'agir sur la société]
Le roman en effet n'a pas pour unique but d'être utile.
Distraire et faire rêver]
Il peut tout d'abord distraire et faire rêver.
Il nous transporte alors dans un ailleurs spatial ou temporel.
Ainsi, siVictor Hugo a su peindre les vicissitudes de son temps, il a aussi décrit, dans Notre-Dame de Paris, le Moyen- Âge, sa dévotion, son carnaval et sa Cour des Miracles.
Le roman peut aussi faire rêver par ses personnages,héros sans faille.
Alexandre Dumas, que ce soit dans Les Trois Mousquetaires ou dans Le Comte de Monte- Cristo, s' est plu à peindre des personnages sans peur et sans reproche, prêts à tout pour leur honneur ou pour l'amour d'une femme.
On ne croit pas à ces personnages mais on leur fait confiance pour nous faire oubliernos bassesses et nos imperfections.
Lire un roman, ce n'est donc pas seulement agir sur le monde, c'est aussis'en détourner brièvement, avec volupté.
A.
B..
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