Le Rôle Et La Signification Des Objets Dans Fin De Partie

« Fonction et place des objets dans FDP : I.

Les objets détournés de leur fonction : Au nombre des objets figurant dans le décor, Beckett, mentionne un tableau retourné.

Le tableau est donc dotéd'une fonction autre que celle qui est traditionnellement la sienne, à savoir représenter.

Ceci peut faire penser aucourant artistique du surréalisme puisqu'un grand nombre d'artistes y appartenant utilisaient des objets de la viequotidienne et usuels pour en faire des œuvres d'art, par leur simple et bonne volonté.

(ex : « Le Porte-bouteilles »ou « Hérisson » de Marcel Duchamp).

Cependant, Beckett opère ici l'opération inverse : il fait d'une œuvre d'art unobjet quelconque en lui ôtant son intérêt représentatif.

Ainsi, il veut peut-être nous indiquer que le véritable art nese fait pas dans la contemplation mais qu'il appelle à plus que l'attention du spectateur/public : c'est pour cela qu'ilfaut créer un spectacle totalLes poubelles font office de cercueil mais peuvent aussi faire référence à des maisons de retraite dont la critiqueapparaîtrait alors comme fortele réveil ne sert plus à indiquer l'heure, mais à signaler à Hamm le départ de Clov : ce sont les nombreusesrépétitions gestuelles ou oratoires qui ponctuent la pièce comme un tic tac (ex : la question du calmant de Hamm)la lunette sert à observer non plus l'univers, mais la terre et la mer, créant une distorsion d'échelle : où sont lespersonnages pour avoir besoin d'une lunette pour observer la terre ? Cet aspect introduit le fait que la maisonsemble dans un cadre spatial particulier, ni sur terre, ni dans l'espace puisque dehors il n'y a ni couleur ni noir :« gris », « noir clair »La gaffe sert non plus à son usage habituel, à accrocher, mais à diriger et manœuvrer le fauteuil + jeu de mot sur« faire une gaffe » ou « faire gaffe » qui insiste sur la dérision et le détournement de l'objetLes objets de Fin de Partie sont donc presque systématiquement détournés de leur fonction première.

De même quedans l'art moderne, ils sont utilisés comme des matériaux dont le sens est à réinventer. II.

Les objets et le théâtre : 1) Le jeu burlesque : Hamm et Clov avec leur teint très rouge peuvent être considérés comme des clowns.

La démarche de Clov, « raideet vacillante », peut rappeler celle des clowns, maladroite avec leurs énormes chaussuresEntrées et les sorties de Clov, qui va chercher un biscuit, la lunette, le chien, la gaffe.

Ils ordonnent la pantomimede Clov au début de la pièce, qui inspecte le décor comme un régisseur., un metteur en scène.

On dirait qu'ilmanque toujours quelque chose et que son rôle est d'aller le chercher.Le mouchoir tâché de sang de Hamm sert à essuyer ses lunettes noires : comique puisqu'il est aveugle et qu'il n'adonc besoin de rien voir à travers celles-ci, les saletés ne le gênent pasMais les objets donnent aussi lieu à du jeu burlesque.

Ainsi, quand Clov se prépare pour observer par la fenêtre etqu'il oublie systématiquement la lunette ou l'escabeau, ses mouvements désordonnés, non maitrisés rappellent lespantomimes de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton, toujours empêtrés avec les objets.Même chose quand Clov désire mettre de l'ordre dans les objets étalés par terre jusqu'au moment où Hamm lui dit delaisser tomber, ce que Clov prend au pied de la lettre, laissant tomber les objets qu'il prétendait vouloir ranger.

Lesobjets sont donc au service du jeu clownesque des personnages. 2) La théâtralité : A travers la pièce, les discussions entre Hamm et Clov sont très creuses et ne tournent autour de rien.

Les objetsmeublent ainsi les échanges oraux : ils sont le principal sujet de conversation des deux personnagesDans Fin de partie, les objets se présentent comme des signes qui disent la présence du théâtre.

Ainsi les draps etles poubelles, qui servent aux personnages à apparaitre et à disparaitre, sont comme des rideaux ou des coulissesprésents sur la scène.Le chien, quant à lui, sert à mettre à nu l'illusion théâtrale.

A travers lui, on voit le décalage entre ce qu'est l'objet,un vulgaire chien en peluche auquel il manque une patte, et ce qu'il devient pour Hamm et devrait devenir pour lespectateur : un chien à ses ordres, parfaitement soumis et affectueux.

Le théâtre a la capacité de transformer lesobjets, de les faire vivre et de les rendre signifiants, opération mise à nu par Fin de partie. »