LE PREMIER CHEF-D'OEUVRE : Les Précieuses ridicules (1659) LE GOUT DE MOLIÈRE
Publié le 26/06/2011
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On a beaucoup écrit sur la Préciosité et sur les Précieuses ridicules. Mais on a souvent tout embrouillé et Ton a donné à la pièce de Molière des sens et une portée qui faussent gravement et l'histoire littéraire générale et celle de l'auteur. J'ai essayé par ailleurs de débrouiller la question. Résumons-la pour essayer de comprendre les intentions complexes des Précieuses et à travers elles les goûts littéraires de Molière, l'idée qu'il se fait de la bonne littérature. La préciosité est une mode qui ne date pas le moins du monde des salons, de la Chambre bleue d'Arthénice ou de la ruelle de Mlle de Scudéry. Elle naît avant les salons et hors d'eux et s'épanouit avec luxuriance dans toutes les formes de la littérature, dans les romans, dans l'éloquence, dans la poésie, dans la tragédie ou la comédie. C'est vers 1620-1640 quelle prend ses formes les plus extravagantes. Qu'il s'agisse des romans de Nervèze ou des Escuteaux, de tels poèmes de Théophile, de Saint-Amant ou des autres, des Marguerites françaises de Desrues, à l'usage des orateurs et de presque tous ces orateurs de la chaire et du barreau, des pièces de théâtre de Théophile ou de Rotrou, le bon goût consiste à n'exprimer que les sentiments les plus subtils et les plus vertigineux, à ne parler d'amour que pour des pâmoisons ou des agonies et à faire appel pour en parler à un répertoire de comparaisons, métaphores et allégories inattendues et démesurées que chacun s'efforce d'enrichir de trouvailles encore plus démesurées et plus inattendues.
«
bouche de Géron dans la Veuve et par celle de Lysandre dans la Galerie du Palais.
Claveret dans son Esprit fort(1637) se loue d'avoir renoncé aux pointes qui étaient en vogue sept ans plus tôt et qui d'ailleurs ne sont pasmortes puisque Molière et d'autres s'en moqueront dix, vingt ou trente ans plus tard.
Molière, Furetière ont fait rirede l'ancien précieux galant dans les propos amoureux qu'ils ont prêtés à Harpagon, à Thomas Diafoirus, à M.Thibaudier, dans les lettres et propos galants de Nicodème et de M.
Bedout à la naïve Javotte qui n'y comprendrien.
La raillerie n'était pas neuve.
On la trouve dans le Pédant joué de Cyrano : « Tout ainsi, déclare le Pédant,qu'un neigeux torrent, fier enfant de l'Olympe, quand son chenu coup eau arravanté d'orages et courbant sous lefaix des froidureux cotons, franc qu'il se voit de l'étroite conciergerie où le calme le tenait serf — qua data porta ruit— va ravager insolemment le sein fertile des pierreuses campagnes et déshonorant sans vergogne par le guéretchampêtre...
ainsi mes espérances...
».
Ou bien dans le Campagnard de Gillet de la Tessonerie (1657) où lecampagnard est un « baron de la campagne, peu fait à la cour, affectant le proverbe et la pointe » :
Cet amoureux captif, d'une ardeur singulière,Adore ses liens, sa geôle et sa geôlière,Ou, pour en mieux parler, dans son feu sans pareil,Il ressemble à ces fleurs qui suivent le soleilEt se trouve attiré par un secret mériteComme la paille court vers l'ambre qui l'excite...
Scarron discerne mal entre la juste expression d'un amour ardent et délicat et les conventions de la galanterieprécieuse.
Dans son Marquis ridicule nous ne verrions guère de différence de nature entre les déclarations qu'il prêteh dom Sanche, l'amoureux sympathique, et celles que file dom Blaize l'amoureux burlesque ; et ses contemporainsn'ont pas su mieux que lui fixer la limite entre la banalité et l'alambiqué.
Mais il a saisi toutes les occasions de semoquer de l'alambiqué.
Ses amoureux grotesques, dom Blaize, dom Japhet d'Arménie, Jodelet à l'occasion, donnentdans les métaphores et les contournements de l'ancienne préciosité.On raille même ce qui est toujours à la mode chez les nouveaux précieux, les stances, sonnets, madrigaux, où l'onchante, avec des grâces appliquées, des sentiments qui doivent toujours être des feux incendiaires, ou des agonies.Alidor, le « poète extravagant » des Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, énumère les richesses de son trésorlyrique :
J'en ai sur un refus.
J'en ai sur une absence ;J'en ai sur un mépris, sur une médisance ;J'en ai sur un courroux, sur des yeux, sur un ris,Un retour de Silvie, un adieu pour Cloris,Un songe à Bérénice, une plainte à Cassandre...
Dans la Folle gageure de Boisrobert la scène 2 de l'acte I est une réunion dans le salon précieux et plus ou moinsridicule de la comtesse de Pembroc.
On y savoure les plaisirs dont on raffole aussi bien dans la ruelle d'Arthénice oudans celle de la divine Sapho : on y chante des stances ; Acaste y lit d'autres stances ; on y propose une énigme ;on y admire encore des stances sur une belle insensible ; on y discute un problème subtil : « quelle est la chose laplus impossible ?» Il y a trois réponses dont celle de Lidamant (« une femme belle ne peut être insensible à une courd'amour ») est le point de départ de la folle gageure.Ces ironies n'atteignaient plus seulement la vieille préciosité ; elles égratignaient celles que l'on appelait désormaiscommunément les Précieuses et qu'il aurait fallu nommer plus exactement les nouvelles Précieuses.
Ces nouvellesPrécieuses étaient pourtant d'accord, sur l'essentiel, avec les railleurs.
Elles avaient réagi de toutes leurs forcescontre l'ancienne préciosité, contre le goût du bizarre et de l'extravagant, contre les outrances de la satirecaricaturale et du genre burlesque, contre le style alambiqué et démesuré.
Nulle part chez elles on ne parle nicomme Granger, ni comme Harpagon ou Thomas Diafoirus, ni même comme « le baron de la campagne » ou commeCathos et Madelon.
Elles réclament du goût, de la clarté, de la raison.
Les aventures du Grand Cyrus ou de Clélie etles sentiments pour lesquels ils vivent ne sont certes pas de la vie commune.
Ils nous semblent bien romanesques etconventionnels.
Mais ils ne sont que platitudes et banalités si on les compare aux élucubrations de Nervèze et desEscuteaux ou même à l'Astrée ; ou si l'on songe aux sujets des comédies d'intrigue dont nous avons parlé.
Même,ces aventures n'étaient pas ce qui intéressait les lecteurs ; on ne peut guère se passionner pour l'issued'événements qui se succèdent pendant dix volumes dont le dernier paraît 4 ou 7 ans après le premier.
Ce quiimportait était d'apprendre à sentir et à parler comme d'« honnêtes gens », comme des héros « délicats » quimettaient, au moins pour une part, l'honnêteté et la délicatesse dans la sincérité, la « justesse » et le « bon goût ».Assurément, la justesse et le bon goût exigent encore, chez ces nouvelles précieuses, des raffinements qui noussemblent manquer de naturel et de bon sens.
On s'y nomme Arthénice, Sapho ou Parthénice ; on trace la carte duTendre ; on a le goût des allégories qui est d'ailleurs et restera le goût de toute la littérature jusqu'à la fin du siècle.On y cultive assidûment des petits genres ou des genres minuscules où la délicatesse devient trop souvent del'afféterie : épigrammes, madrigaux, sonnets, impromptus, bouts-rimés, énigmes.
De surcroît, cette préciositénouvelle s'efforce d'assagir non seulement le goût littéraire mais encore les mœurs.
Elle se dresse énergiquementcontre la grossièreté qui emplissait le théâtre, la satire, la poésie, de facéties ordurières et indécentes.
Et dans sondésir de bonne tenue et de décence elle va jusqu'au bout et beaucoup trop loin.
La préciosité prude s'est bienproposé de proscrire non seulement les mots inconvenants mais encore, comme s'en amusera Molière, des « syllabes.
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