" Le Petit Jehan de Saintré " - Histoire de la littérature
Publié le 12/02/2018
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une illustration précise et amusante du monde féodal et des mœurs courtoises. - Il faut, il est vrai, une curiosité un peu enfantine pour lire autrement que comme des documents les chapitres où la Dame des Belles Cousines se fait, avec citations et références, professeur de droit, de morale, de théologie, de bonnes manières et même d'art militaire pour son jeune et secret amoureux, et lui développe le catéchisme du parfait chevalier chrétien, ou bien ceux dans lesquels l'auteur, qui avait pris part comme acteur puis comme juge aux joutes organisées en Flandre, en Anjou ou en Lorraine, ancien combattant des expéditions menées en Italie par ses maîtres les ducs d'Anjou, grand héraldiste, grand généalogiste, dénombre les compagnies de chevaliers et décrit avec application les blasons, les armes, le cérémonial des tournois, le déroulement des batailles; que l'action soit un jeu rituel et un sport, comme lorsque Saintré voyage à l'étranger précédé de son héraut d'armes qui porte pour lui le défi aux meilleurs chevaliers, ou qu'elle soit sérieuse comme dans la campagne de Prusse contre les Turcs, où Saintré commande le détachement français et abat lui-même le grand Turc, ce qui décide de la victoire, elle a toujours un caractère exemplaire et décoratif, même lorsqu'elle n'est pas sans réalité historique. On compare régulièrement ce roman d'éducation à Télémaque : comme Fénelon, Antoine de La Sale veut former l'esprit, le cœur et le caractère d'un jeune homme et l'instruire des devoirs de sa condition; mais l'éthique qu'il lui enseigne n'est trop souvent qu'une étiquette. L'idéal chevaleresque et courtois que La Sale défend est dépassé; aussi bien l'action se déroule presque un siècle avant l'époque où le roman est écrit, sous le règne de Jean II le Bon, un des plus mauvais rois que la France ait eus, au temps duquel la chevalerie française essuya les plus lourdes défaites, et les graves problèmes nationaux et internationaux d'alors sont ignorés des personnages : leur plus grand souci est la vie de cour, ses intrigues, ses divertissements, ses bavardages, ses cérémonies; l'activité la plus importante des chevaliers est le combat d'apparat, avec ses règles minutieuses dont La Sale s'est fait le conservateur. Il décrit pourtant avec une telle foi et un tel plaisir qu'il arrive à communiquer au lecteur un certain intérêt pour tous ces beaux usages, ces beaux costumes dont il indique la façon et le prix, ces exploits brillants et inutiles. Comme ses prédécesseurs de la grande époque courtoise, il pense qu'un romancier a le devoir de donner à ses lecteurs une image richement détaillée du faste et du luxe dans lequel ils aiment vivre.

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une illustration précise et amusante du monde féodal et des mœurs courtoises.
- Il faut, il est vrai, une curiosité un peu enfantine pour lire autrement que comme
des documents les chapitres où la Dame des Belles Cousines se fait, avec citati ons
et références, professeur de droit, de morale, de théologie, de bonnes manières
et même d'art militaire pour son jeune et secret amoureux, et lui dévelo ppe le
catéchis me du parfait chevalier chrétien, ou bien ceux dans lesquels l'auteur,
qui avait pris part comme acteur puis comme juge aux joutes organisées en Flandre,
en Anj ou ou en Lorraine, ancien combattant des expéditions menées en Italie
par ses maîtres les ducs d'Anjou, grand héraldiste, grand généalogiste, dénombre
les compagnies de chevaliers et décrit avec application les blasons, les armes,
le cérémonial des tournois, le déroulement des bataill es; que l'action soit un jeu
rituel et un sport, comme lorsque Saintré voyage à l'é tranger précédé de son héraut
d'armes qui porte pour lui le défi aux meilleurs chevaliers, ou qu'elle soit sérieuse
comme dans la campagne de Prusse contre les Turcs, où Saintré commande le
détachement français et abat lui-même le grand Turc, ce qui décide de la victoire,
elle a toujours un caractère exemplaire et décor atif, même lorsqu'elle n'est pas
sans réalité historique.
On compare régulièrement ce roman d'éducation à Télé
maque : comme Fénelon, Antoine de La Sale veut former l'esprit, le cœur et le
caractère d'un jeune homme et l'instruire des devoirs de sa condition ; mais
l'éthique qu'il lui enseigne n'est trop souvent qu'une étiquette.
L'idéal cheva
leresque et courtois que La Sale défend est dépa ssé; aussi bien l'action se déroule
presque un siècle avant l'époque où le roman est écrit, sous le règne de Jean II
le Bon, un des plus mauvais rois que la France ait eus, au temps duquel la cheva
lerie française essuya les plus lourdes défaites, et les graves problèmes nationaux
et internationaux d'alors sont ignorés des personnages : leur plus grand souci est la
vie de cour, ses intrigues, ses divertis sements, ses bavardages, ses cérémonies ;
l'activité la plus importante des chevaliers est le combat d'apparat, avec ses
règles minutieuses dont La Sale s'est fait le conservateur.
Il décrit pourtant avec
une telle foi et un tel plaisir qu'il arrive à communiquer au lecteur un certain
intérêt pour tous ces beaux usages, ces beaux costumes dont il indique la façon
et le prix, ces exploits brillants et inuti les.
Comme ses prédécesseurs de la grande
époque courtoise, il pense qu'un romancier a le devoir de donner à ses lecteurs
une image richement détaillée du faste et du luxe dans lequel ils aiment vivre.
Nostalgie subjective
Ce n'est pas de sa faute si une telle vie nous
et ironie objective
parait oisive et puérile : ce « réactionnaire »,
comme l'appelle F.
Desonay 1, est le témoin indigné, mais fidèle et sincère, de la
décadence des valeurs médiévales et de leur remplacement par de nouvelles valeurs.
Autres temps, autres mœurs.
Les chapitres du roman les plus intéressants sont ceux
où est dépeinte l'initiation de Saintré à l'id éal courtois, désormais dangereusement
altéré, et ceux où le champion de la chevalerie prend sa revanche sur la Dame
des Belles Cousines ralliée à l'épicurisme grossier et sur Damp Abbé, son amant à la
fo is monacal et bourgeoi s.
Le contraste des derniers chapitres avec les chapitres
didactiques ou descripti fs est si fort que certains critiques ont supposé deux auteurs
I.
F.
DESONAY, Antoine de La Sale, aventureux et pédago gue, Essai de biographie, Liège
Paris, 1940, p.
170..
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