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Le personnage du jardinier dans Electre de Jean Giraudoux

Publié le 06/01/2020

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Forme de paradis, le jardin devient le lieu d'une révélation presque miraculeuse, celle de la grande loi de l'existence. En observant les plantes et les bêtes « divagu [er] un peu la nuit » (Entracte, p. 72), le jardinier comprend que les hommes sont eux aussi dans l'ignorance et les ténèbres. À l'image de la « chouette » qui, aveuglée par la lune, confond l'« allée de ciment » avec le ruban clair du « ruisseau », ils jugent sur les apparences sans discerner l'essentiel.

 

Le jardinier a, devant ce spectacle nocturne, l'intuition fulgurante que tout est « Joie et Amour » (p. 73), que le malheur, si grand soit-il, accroît « le désir d'aimer, le pouvoir d'aimer tout et tous » (p. 72) et que de la solitude naît une soif de plénitude1. Du sein de son douloureux abandon, il peut dès lors mieux comprendre Électre que pourtant il n'épousera jamais. Comme les autres êtres vivants, Électre est faite pour aimer, et pour aimer sa mère. L'excuse à l'implacable haine qu'elle lui voue est qu'elle n'a jamais trouvé en Clytemnestre la mère attentive qu'elle attendait. Sa haine n'est que l'envers d'un amour déçu, même si Électre ne le sait pas elle-même. Celle-ci prend la conséquence pour la cause, l'apparence pour l'essentiel.

 

Ce qui est vrai pour Électre l'est tout autant pour l'ensemble de l'humanité, comme l'atteste le pronom personnel « vous » par lequel le jardinier interpelle le public : « Vous auriez compris le jour où vos parents mouraient, que vos parents naissaient; le jour où vous êtes ruiné, que vous étiez riche » (p. 72). C'est sur cette révélation du jardin que le plus humble des Théocathoclès quitte la scène.

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« Le jardinier ne s'en offusque pas.

ll se sait petit devant la reine.

Sa maison est une masure qu'il vient de repasser« à la chaux de manière qu'aucune trace n'y demeure des mulots et des ser­ pillières )) (1, 4, p.

47).

Son inculture, dont il a le premier conscience, le rend inapte à l'analyse et au débat d'idées.

Son langage offre les familiarités et les naïvetés de la langue populaire : « Moi, je suis un peu de l'avis d'Électre » (1, 2, p.

24), dit-il par exemple.

Aussi ne comprend-il pas les raisonnements que le président lui tient (1, 2, p.

21 ), pas plus qu'il ne saisit les discours d'Égisthe (l,3,p.32).

Lui-même n'aurait d'ailleurs jamais eu l'idée ni l'audace de pré­ tendre à la main d'Électre, mais puisque Égisthe lui ordonne de l'épouser, il se soumet volontiers (1, 2, p.

21 ).

L'homme n'a rien d'un arriviste que fascinerait un mariage flatteur, ni d'un révolté qu'indignerait la bassesse de sa condition.

Son jardin est son royaume.

Les« dix arpents 1 >>de colline et les« six de vallée)> (1, 4, p.

46) qu'il cultive, lui suffisent.

Un homme bon De son contact avec la nature, le jardinier tire une forme d'inno­ cence.

Sa bonté éclate quand il avoue ne pas « beaucoup )) aimer « les méchants )) et préférer en toutes circonstances la « vérité >> (1, 2, p.

24).

Il a beau affirmer ne pas connaître les « êtres » (1, 4, p.

47), il se révèle d'une attention et d'une délicatesse touchantes à l'égard d'Électre.

Son souci de l'apaiser se manifeste dans ses répliques certes simplistes, mais sincères : « Électre adore mon jardin.

Les fleurs, si elle est un peu nerveuse, lui feront du bien » (!, 2, p.

25).

Depuis longtemps, il a observé que la jeune fille ne souriait jamais et que ce qui pourrait ressembler à un sourire, Électre l'esquisse quand elle se trouve seule avec lui dans son jardin (!, 4, p.

46).

Comment enfin ne pas être ému par sa réelle souffrance de ne pas épouser Électre qu'il aime sincèrement? « Jamais, dit-il, je ne me résoudrai à épouser une autre qu'Électre, et jamais je n'aurai Électre.

Je suis créé pour vivre jour et nuit avec une femme, et toujours je vivrai seul >> (Entracte, p.

71 ).

Le jardinier se plaint à peine, en des termes dignes.

C'est en sacrifié résigné qu'il dis­ paraît de la pièce, puisque« la Tragédie est affaire de rois)), 1.

Un« arpent» est une ancienne mesure de superficie, de trois mille mètres carrés environ.. »

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