Le personnage de CITIZEN KANE (Orson Welles)

« Persuadé qu'il est le modèle de Kane, Hearst met tout en oeuvre pour empêcher la sortie du film.

Ses journaux ontpour consigne de n'accepter aucune publicité ni de publier la moindre critique pour des films produits par la RKO.Lorsque Citizen Kane est projeté, il déchaîne l'enthousiasme de la critique et des professionnels.

C'est une oeuvreunique, qui ouvre des voies nouvelles par la richesse des idées et l'originalité des procédés utilisés.

L'emploi du flash-back comme système narratif, les angles de prise de vue inédits réalisés par le chef opérateur Gregg Toland,l'interprétation magistrale de Welles font du film un chef-d'oeuvre.

Mais le grand public ne suit pas et Citizen Kaneest un échec commercial.Par la suite, Orson Welles ne sera guère plus heureux avec ses autres films.

La Splendeur des Amberson (1942) etLe Criminel (1946) ne connaîtront aucun succès.

Pire, La Dame de Shangai (1948) ruinera la carrière de sa femme, lastar Rita Hayworth.S'il réalisera ensuite quelques films en Europe ou aux Etats-Unis, jamais Welles n'atteindra la consécration.

Il resterajusqu'à sa mort, en 1985, un artiste admiré des professionnels et boudé par le grand public. Citizen Kane est considéré, par sa qualité et les innovations qu'il a introduites, comme l'un des films les plusimportants de l'histoire du cinéma.Mais au-delà de l'aspect technique, Citizen Kane est une oeuvre exemplaire par sa rigueur et sa cohérence.

OrsonWelles a dit que c'était le seul film qu'il ait jamais « écrit du premier au dernier mot et pu mener à bien ».

De fait, lescénario de Citizen Kane reflète une personnalité puissante, exigeante et multiple.Fondamentalement, le film affirme qu'une vie ne peut se résumer en quelques mots.

La quête du journalisteThompson est d'avance vouée à l'échec car Kane, comme chacun d'entre nous, est un être aux mille facettes.Welles nous montre son héros changeant d'aspect au cours du temps, mais aussi adoptant des discourscontradictoires ou, à la fin du film, passant entre deux miroirs qui multiplient à l'infini son reflet.

Les différentstémoignages se font écho, se contredisent aussi parfois, et nous revoyons le même incident sous différents anglesqui en changent la signification.De ce point de vue, on a pu rapprocher Orson Welles de Marcel Proust.

Il est vrai que la technique narrative, lacapacité à « faire sortir » le passé d'un objet insignifiant (tasse de thé ou boule de verre), la primauté du vécusubjectif sur le réel, sont des caractéristiques communes aux deux auteurs.

Mais on pourra aussi comparerl'approche de Welles et celle de Pirandello (1867-1936) dans des oeuvres comme Feu Mathias Pascal ou Un,personne et cent mille.Un autre aspect particulier de Citizen Kane et, au-delà, de tous les films de Welles est le rapport du personnage à lapuissance et à l'échec.Que ce soit dans La Splendeur des Amberson, Macbeth, Le Procès, Othello ou d'autres, les films d'Orson Welles sontmarqués par les thèmes de la puissance imméritée et de la déchéance.

Charles Foster Kane n'a rien fait pour méritersa fortune; il en joue comme un enfant irresponsable et capricieux, et ne comprend pas ce qui lui arrive lorsque lemonde ne se plie pas à sa fantaisie.Constamment en quête d'affection, Kane veut imposer sa loi à ses proches et se retrouve démuni devant leurs refuscomme il l'est lorsque son adversaire politique l'élimine grâce à des procédés « d'adulte »...

En réalité, tout CitizenKane est placé sous le signe de l'enfance; comme le fut peut-être, dans sa démesure obstinée, la vie d'Orson Welleslui-même.. »