Le Père Goriot: la pension Vauquer (commentaire)
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
jeune malheur ressemblait à un arbuste aux feuilles jaunies, fraîchement planté dans un terrain contraire » (p.
18).Elle sera d'ailleurs la première à quitter la pension.
La pension comme lieu à partLa pension tout entière part pour une aventure romanesque.
À elle seule, elle constitue d'ailleurs un monde avec sonétagement de fortunes, une société avec ses trois générations.
La conformation pyramidale de la pension laisse déjàvoir l'importance de l'argent dans Le Père Goriot.
Les plus hauts perchés sont les plus démunis.La pension est un lieu à part et, comme tel, possède son langage.
propre, son code argotique.
Elle parle en « rama».
Le passage du dîner est l'occasion d'un brillant exercice de style sur l'argot et les tics parisiens.
Dans ce mondedans le monde, un être encore se détache, plus isolé que les autres : le père Goriot, qui fait l'objet d'agressionslinguistiques et de persécutions de la part de l'ensemble de la pension.
La pension, lieu à fuirDès le début, la pension Vauquer sent la misère, l'usure, la mort et la prison.
Balzac compare significativement lapension et son quartier aux catacombes de Paris.
La pension est une prison dont chacun, en fait, d'une manière oud'une autre aspire à s'échapper.
Les pensionnaires sont d'ailleurs comparés à des forçats : « Elle [madame Vauquer]nourrissait ces forçats acquis à des peines perpétuelles, en exerçant sur eux une autorité respectée » (p.
23).
Lapension Vauquer est un « lieu-monde » exclu du monde.
Eobjet même du livre va être de révéler la vraie nature dechacun des personnages de cette maison, de les réinsérer dans la société ou de les exclure temporairement(Vautrin) ou définitivement (Goriot).
La pension, lieu de mystèresL'écriteau apposé sur la pension Vauquer, « Pension bourgeoise des deux sexes et autres » , a plusieurs objectifs : ils'agit certainement pour la tenancière de proposer un « plus » à sa clientèle, mais il s'agit aussi pour le romancier dese moquer de l'ignorance de madame Vauquer et d'annoncer ironiquement l'identité ambiguë de Vautrin.
Enfin, lepanneau révèle également le côté mystérieux de la pension.La pension Vauquer est constituée uniquement de mystères.
La nuit, des activités louches s'y déroulent, dontRastignac est témoin : « Voilà bien des mystères dans une pension bourgeoise ! » (p.
46).
La narration chez Balzacest souvent omnisciente.
Or, ici, le narrateur, lorsqu'il présente les personnages, se montre parfois, dans le cas demademoiselle Michonneau par exemple, comme ignorant de leur passé ou de leur histoire.
Les points d'interrogationmultipliés montrent bien une information qui relève plus de l'hypothèse, du potin, que de l'omniscience.
À partEugène, peu des occupants de la maison sont ce qu'ils paraissent être vraiment, et, à l'entrée du livre, le mystèreplane sur tous les personnages.
Sur le portrait de Vautrin, surtout, le narrateur attire notre attention.
Il est conçucomme une énigme : Vautrin se masque physiquement et moralement.
Quelquefois, le narrateur semble même déléguer la fonction de narration.
En ce qui concerne le père Goriot, le pointde vue présenté est incontestablement celui de madame Vauquer qui nous fait vivre en accéléré et de manièrefrappante la déchéance du père Goriot.
Comme le souligne Françoise van Rossum-Guyon : « Non seulement lelecteur est impliqué dans l'action, parce qu'il est lié à celui ou à celle qui voit, mais celui qui voit n'est plus, commele narrateur, un observateur anonyme et (relativement) désintéressé, mais il est, comme acteur, particularisé etdésirant.
Ceci est très net dans le cas de madame Vauquer, à qui "le mollet charnu" du bel homme donne "des idées"[...] et dont les "yeux s'allument" [...1 à la vision des pièces d'argenterie de son nouveau pensionnaire » (préface del'édition du « Livre de Poche », p.
XXIII).À la fin de cette partie, une série de questions se pose déjà au lecteur dont les plus marquantes sont :— Quelle est la véritable identité de Vautrin sur lequel autant la description de Balzac que les actions laissent planerle doute ? La conversation entre Christophe et Sylvie révèle d'ailleurs que Vautrin provoque les interrogations lesplus saugrenues en apparence : « Eh ! bien, à moi, au marché, on a voulu m'englauder aussi pour me faire dire si jelui voyais passer sa chemise ? » (p.
48).— Quel est le lien entre le père Goriot et les deux femmes du monde qui régulièrement viennent le visiter ?
La « main blanche » du lecteurBalzac met le lecteur en miroir dans son roman : « [ ...] vous qui tenez ce livre d'une main blanche [...I » .
Cettemain a donné lieu à bien des gloses : il semble évident que c'est une main féminine.
Sans doute appartient-elle àune dame de ce fameux faubourg Saint-Germain, comme l'atteste la blancheur de sa main et le moelleux fauteuildans lequel elle peut s'installer.
Pierre Barbéris suggère même que la lectrice à la blanche main pourrait être madameHanska, la maîtresse de Balzac..
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