Le Nouveau Roman ou la contestation du roman traditionnel
Publié le 25/03/2019
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La publication du roman Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet marque l'avènement d'une nouvelle fiction romanesque. Avec le Nouveau Roman - groupe réellement soudé par une critique acerbe - le récit narratif se voit remis en cause.
Alain Robbe-Grillet lors d'une conférence donnée en 1967
En reprenant les Éditions de Minuit, un jeune éditeur, Jérôme Lindon, a décidé de ne publier que des ouvrages qui tranchent par leur originalité. En 1953 il publie Les Gommes, le premier roman d'un ingénieur agronome, Alain Robbe-Grillet. La critique ne s'y trompe pas, il y a dans ce roman un bouleversement des procédés romanesques appelé à une évidente postérité. L'année suivante paraît, toujours aux Éditions de Minuit, Passage de Milan de Michel Butor, un récit construit suivant le temps qui s'écoule, de 7 heures à 19 heures, dans un immeuble de sept étages.
L'expression Nouveau Roman s'impose alors, sans pour autant que ceux qui se réclament, sinon de cette étiquette, du moins de ces nouveaux procédés narratifs, ne forment école. Ni manifeste ni théorie ne président à l'avènement d'un genre qui semble l'expression d'une crise du récit, comme le surréalisme était né d'une crise de la poésie.
Les éléments traditionnels du roman sont battus en brèche, à commencer par le personnage qui s'efface et disparaît presque totalement, et avec lui le narrateur. Le Nouveau Roman donne la part belle aux pronoms, lesquels renvoient plus à des consciences (celle de l'auteur ? celle du lecteur ?) comme dans La Modification (1957) de Michel Butor, entièrement écrite à la 2' personne. Les objets par contre, comme pour pallier l'absence de personnage, prennent une importance considérable, accentuant le regard porté sur eux, et partant, les modifiant. Dans Le Voyeur (1955) et La Jalousie (1957) de Robbe-Grillet, dans Le Planétarium (1959) de Nathalie Sarraute, une multitude d'objets ou de lieux sont décrits minutieusement, transformant la perception conventionnelle pour les faire accéder à une nouvelle existence.
Enfin la construction romanesque,
avec sa temporalité, est elle aussi remise en cause. La durée du récit n'excède parfois pas quelques heures, et les mêmes thèmes reviennent sans cesse, distribués au hasard ou suivant des modalités très précises. Le roman manifeste alors combien il contient dans un seul récit un grand nombre de récits possibles. Chez Claude Simon (Le Vent, 1957 ; L'Herbe, 1958), on assiste à une
1954
«
Alain
Robbe-Grillet
lors d'une
conférence donnée
en 1967 Le
Nouveau Roman ou
la contest ation du roman traditionnel
La publ ication du roman Les Gommes d'Alain Robbe
Gril let marque l'avènement d'une nouvelle fiction
romanesque.
Avec le Nouveau Roman -grou pe
ré ellement soudé par une critique acerbe -le récit
narratif se voit remis en cause.
E n reprenant les Éditions de
Minui
t, un jeune éditeur ,
Jérôme Lindon, a décidé de
ne publier que des ouvrages qui tran
chent par leur original ité.
En 1953 il
publie Les Gommes, le premier
roman d'un ingénieur agronome,
Alain Robbe-Grillet.
La critique ne s'y
trompe pas, il y a dans ce roman un
bouleversement des procédés roma
nesques appelé à une évidente
postérité.
L'année suivante paraît,
tou jour s aux Éditions de Minui t,
Passa ge de Milan de Michel Butor,
un récit construit suivant le temps qui
s'éco ule, de 7 heur es à 19 heur es,
dans un immeuble de sept étages.
L'expression Nouveau Roman
s'imp ose alors, sans pour autant que
ceux qui se réclame nt, sinon de cette
étique tte, du moins de ces nouveaux
procédés narratifs, ne forment école.
Ni man ifeste ni théorie ne président à
l'avènement d'un genre qui semble
l'expr ession d'une crise du récit,
comme le surréalisme était né d'une
crise de la poésie.
Les élém ents traditionnels du
roman sont battus en brèche, à
commencer par le person nage qui
s'efface et dispa raît presque totale
ment , et avec lui le narrat eur.
Le
Nouveau Roman donne la part belle
aux pronoms, lesquels renvoient plus
à des consciences (celle de l'aute ur?
ce lle du lect eur ?) comme dans La
Modif ication (1957) de Michel Butor,
entièrement écrite à la 2• personne.
Les objets par contre, comme pour
pallier l'absence de person nage,
prennent une importance considé
rable, accentuant le regard porté sur
eux, et par tant, les modifiant.
Dans
Le Voye ur (1955) et La Jalousie (1957)
de Robbe-Gril let, dans Le Planétarium
(1 959 ) de Natha lie Sarrau te, une
mu ltitude d'objets ou de lieux sont
décrits minutieusement, transformant
la perception conventionnelle pour
les fair e accéd er à une nouv elle
existence.
Enfin la construction romanesque, avec
sa temporal ité, est elle aussi
remise en cause.
La dur ée du récit
n' excède parfois pas quelqu es
heu res, et les mêmes thèmes revien
nent sans cesse, distribués au hasard
ou suivant des modal ités très pré
cises.
Le roman manifeste alors
combien il contient dans un seul récit
un grand nombre de récits possibles.
Chez Claude Simon (Le Vent, 1957 ;
L' Herbe, 1958), on assiste à une
Michel Butor, dédicaçant son ouvrage La
Modification ·
tentativ e très person nelle de
déconstruction de la durée narrative
au profit d'une autre durée, plus
intime, celle des émotions, fragmen
tair es et inégales.
Le Nouveau Roman manifeste une
autre rupture, idéologique celle-ci.
Au refus de l'illusion réaliste s'ajoute
le rejet de la littérature engagée de
l'a près-guerre et dont les existen
tialis tes, avec à leur tête Jean-P aul
Sartre, comme les Hussards (Roger
Ni mier , Jacque s Laur ent, Roger
Va illand ...
) sont les tena nts.
Avec le
Nou veau Roman, la 1 ittérat ure
n'entend plus être au service d'une
cause, sinon de sa propre cause.
Bien sûr le Nouveau Roman n'a
pas fait dispar aître le roman tradi
tionnel, du moins a-t-il permis de
re vivifier un genr e sécu laire aux
in novations timides et dont aucune
avant-garde ne s'était encore jamais
vraiment emparé.
Les principaux
« nouveaux romanciers »
Née en 1900
Nathalie Sarraute
Après un premîer roman,
Tropi smes (1939), qui passe
inaperçu, Portrait d'un incon
nu (1948) puis Martereau
(1 953) la font connaî tre du
grand public.
Son essai L'Ère
du Soupçon (1956) et Le
Pla nétarium (1959) apparais
sent comme de véritables ma
nifestes du Nouveau Roman.
Sarraute y plie le langage à la
difficile expression de l'anodin,
donnant la parole à ce qui est 19
54
d'ordinaire silencieux.
Nathalie
Sarraute
.
1906-1989
Samuel Beckett
L'œuvre du dramaturge et
romancier irlandais préfigure
avec Mollo y (1951) et Ma/one
meurt (1951) les préoccupa
tions du Nouveau Roman.
La
difficulté d'exister qui conduit
à l'effacement de l'être
humain s'y écrit dans un
langage qui tente d'exprimer
la perte de la parole.
Beckett
reçoit le prix Nobel en 1969.
Né en 1913
Claude Simon
En marge du Nouveau Roman,
il a contribué toutefois à en
ét ablir les enjeux.
Dès Le Sacre
du printemps (1954) il dislo
que la narration convention
nelle pour tenter de traduire
la discontinuité des émotions.
Dans La Route des Flandres
(1 960), La Bataille de Pharsale
(1 969) et Les Géorgiques
(1981), l'Histoire sert de toile
de fond à ses expérimen
tations narratives que le prix
Nobel récompense en 1985.
Né en 1919
Robert Pinget
Son premier roman, Mahu ou
le matériau (1952), se veut un
contre-roman où l'auteur
réfute le sens au profit de la
parole.
Ce que l'écriture per
met de dire ne l'intéresse pas,
seul compte comment elle
parvient à dir e quelque chose.
Né en 1926
Michel Butor
L'œuvre de ce professeur de
philo sophie mêle l'écriture du
voyage et le voyage dans
l'écriture en proposant une
méditation sur l'espace et le
temps.
L'Emploi du temps
(1 956), La Modifi cation (1957),
entraînent le lecteur dans un
savant exercice de recomposi
tion de ces données fonda
mentales de l'existence.
Samuel
Beckett
Claude Simon
91.
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