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LE MONOLOGUE DE FIGARO: commentaire composé - (ACTE V, scène 3) - Beaumarchais

Publié le 30/06/2015

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figaro

SUJET TRAITÉ

LE MONOLOGUE DE FIGARO

Le désespoir m'allait saisir ; on pense à moi pour une place, mais

par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un

danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler ; je me fais

banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur mai¬son, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien

pu me remonter ; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais, comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer lorsqu'un Dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nour¬rissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me reconnaît, je le marie ; et pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut inter¬cepter la mienne ! Intrigue, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme au moment d'épouser ma mère, mes parents m'arri¬vent à la file. (Il se lève en s'échauffant.) On se débat ; c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi ; non ce n'est pas nous : eh ! mais qui donc ? (Il retombe assis.) O bizarre suite d'événements ! Comment cela m'est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d'autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaieté me l'a permis ; encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni quel est ce moi dont je m'occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre, maître ici, valet là selon qu'il plaît a :a fortune ; ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, niais paresseux... avec délices ! orateur selon le dan¬ger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées, j'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite, et, trop désabusé... Désabusé !... Suzon, Suzon,

Suzon ! que tu me donnes de tourments ! (ACTE V, scène 3)

n    Lectures attentives du passage

4      Bien évidemment vous devez relire le texte plusieurs fois.

4      Dans le cas d'une pièce de théâtre aussi populaire que Le Mariage de Figaro, il peut être utile de replacer le texte que l'on vous donne à analy­ser dans le contexte d'ensemble de la comédie. Les indications qui accom­pagnent l'extrait proposé nous fournissent ici un guide précieux pour en aborder le commentaire :

·  le monologue relève d'une convention théâtrale bien précise ; il s'agit de permettre à un personnage d'énoncer et de résoudre un conflit, de faire le point sur une situation, et cela sans se figer à l'intérieur d'une situation de parole (un acteur seul sur scène) qui n'est pas à proprement parler naturelle ;

·  en ce sens, il conviendra d'analyser ici comment Beaumarchais, par .a technique de l'écriture, intègre harmonieusement ce discours difficile au fonctionnement vivant de la dramaturgie ;

·  nous sommes dans l'acte V, soit celui de la résorption heureuse des ten­sions, de la résolution harmonieuse des conflits. A nous d'analyser en ce sens le monologue du début de l'acte final : enrichit-il l'action ? Contribue-t-il à l'élaboration de l'épilogue ?

·  enfin, Figaro est le héros de ce monologue qui illustre l'évolution de son personnage. Le monologue se confond alors avec le discours d'une crise intérieure.

 

Notons bien ces différents éléments : nous pourrons tout à fait les utili­ser pour rédiger éventuellement l'introduction de notre commentaire ou organiser notre plan de devoir.

Cependant, au-delà de la satire sociale, somme toute conventionnelle, se construit une réflexion plus nouvelle sur le hasard et l'intuition d'une forme d'instabilité favorable à la revendication populaire ou bourgeoise. En réorganisant les évé­nements de sa vie Figaro insiste ici beaucoup sur l'imprévu, sous la forme heureuse d'un « Dieu bienfaisant «, ou plus implicitement dans l'évo­cation des faits présentés comme fortuits : « un grand seigneur passe à Séville «, par exemple. Reste que ce hasard qui risque de conduire à la catastrophe — « prêt à tomber dans un abîme, au moment d'épouser ma mère « — demeure providentiel : la reconnaissance a bien lieu, et la roue de la fortune peut distribuer chance et malchance à tous, ainsi que le souligne l'expres­sion : « maître ici, valet là «, et brouiller les iden­tités sociales. En faisant de son passé une « bizarre suite d'événements «, Figaro donne l'impression d'un monde dominé par l'incerti­tude, le mouvement, l'imprévisible et autorise une sorte d'anticipation sur le cours lui-même imprévisible de l'histoire.

figaro

« SUJET TRAITÉ LE MONOLOGUE DE FIGARO Le désespoir m'allait saisir; on pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint.

Il ne me restait plus qu'à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur mai­ son, en retenant pour elles les trois quarts du profit.

J'aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir.

Mais, comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore.

Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer lorsqu'un Dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état.

Je reprends ma trousse et mon cuir anglais; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nour­ rissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci.

Un grand seigneur passe à Séville; il me reconnaît, je le marie; et pour prix d'avoir eu par mes soins son épouse, il veut inter­ cepter la mienne ! Intrigue, orage à ce sujet.

Prêt à tomber dans un abîme au moment d'épouser ma mère, mes parents m'arri­ vent à la file.

(Il se lève en s'échauffant.) On se débat; c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi; non ce n'est pas nous: eh! mais qui donc? (Il retombe assis.) 0 bizarre suite d'événements! Comment cela m'est-il arrivé? Pourquoi ces choses et non pas d'autres? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaieté me l'a permis; encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni quel est ce moi dont je m'occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre, maître ici, valet là selon qu'il plaît a :a ~ortune ; ambitieux par vanité, laborieux par néce::.sité, mais paresseux ...

avec délices ! orateur selon le dan­ ger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées, j'ai tout vu, tout fait, tout usé.

Puis l'illusion s'est détruite, et, trop désabusé ...

Désabusé! ...

Suzon, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments ! (ACTE v, scène 3) 69. »

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