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Le meurtre d'Égisthe et de Clytemnestre - Electre de Giraudoux

Publié le 04/08/2014

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clytemnestre

Le meurtre d'Égisthe et de Clytemnestre

Acte II, scène 9, Livre de poche (Grasset) pp. 124-125

Dans la scène précédente, Clytemnestre a enfin avoué qu'elle haïssait son mari, et

plus aucun doute ne subsiste sur sa culpabilité, conjointe avec celle d 'fgisthe, dans

l'assassinat d 'Agamemnon. Le Mendiant vient de rappeler les circonstances de cette

mort, tandis qu 'Oreste, libéré par une foule de miséreux, entre l'épée en main. La

vengeance est sur le point de s'accomplir : le Mendiant en fait le récit, durant le

temps même de son déroulement.

LA FEMME NARSÈS. Si tu racontais, toi! Tout sera fini que nous ne saurons rien!

LE MENDIANT. Une minute. Il les cherche. Voilà! Il les rejoint!

LA FEMME NARSÈS. Oh! Moi, je peux attendre. C'est doux de la toucher, cette

petite Électre. Je n'ai que des garçons, des bandits. Heureuses les mères qui

5 ont des filles!

ÉLECTRE. Oui ... Heureuses ... On a crié, cette fois!

LA FEMME NARsf:s. Oui, ma fille.

LE MENDIANT. Alors voici la fin. La femme Narsès et les mendiants délièrent

Oreste. Il se précipita à travers la cour. Il ne toucha même pas, il n'embrassa

10 même pas Électre. Il a eu tort. Il ne la touchera jamais plus. Et il atteignit les

assassins comme ils parlementaient avec l'émeute, de la niche en marbre. Et

comme Égisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien, et que tout

désormais irait bien, il entendit crier dans son dos une bête qu'on saignait.

Et ce n'était pas une bête qui criait, c'était Clytemnestre. Mais on la saignait.

15 Son fils la saignait. Il avait frappé au hasard sur le couple, en fermant les

yeux. Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. Et elle

n'appelait ni Électre, ni Oreste, mais sa dernière fille Chrysothémis, si bien

qu'Oreste avait l'impression que c'était une autre mère, une mère innocente

qu'il tuait. Et elle se cramponnait au bras droit d'Égisthe. Elle avait raison,

20 c'était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir un peu debout. Mais

elle empêchait Égisthe de dégainer. Il la secouait pour reprendre son bras,

rien à faire. Et elle était trop lourde aussi pour servir de bouclier. Et il y avait

encore, cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l'attaquait du bec.

Alors il lutta. Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit

25 avec colliers et pendentifs, désespéré de mourir en criminel quand tout de

lui était devenu pur et sacré, de combattre pour un crime qui n'était plus le

sien et, dans tant de loyauté et d'innocence, de se trouver l'infâme en face

de ce parricide, il lutta de sa main que l'épée découpait peu à peu, mais le

lacet de sa cuirasse se prit dans une agrafe de Clytemnestre, et elle s'ouvrit.

30 Alors il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l'on sentait que

s'il voulait maintenant se débarrasser de la reine, ce n'était plus pour combattre

seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de

Clytemnestre. Et il n'y est pas parvenu. Et il y a pour l'éternité un couple

Clytemnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas.

35 La voix d'ÉGISTHE, au-dehors. Électre ...

LE MENDIANT. J'ai raconté trop vite. Il me rattrape.

clytemnestre

« LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX (COMMENTAIRE) Enjeu du texte : une matérialisation du destin (ou fatum) Le texte commence par évoquer les auditeurs du Mendiant, témoins indi­ rects du meurtre : la femme Narsès, Électre.

Puis le Mendiant raconte la scène: Oreste frappe d'abord sa mère, comme un animal qu'on égorge.

Il attaque ensuite Égisthe qui lutte jusqu'au dernier souffle.

Le récit est déjà achevé quand on entend le dernier cri d'Égisthe: le Mendiant a «raconté trop vite"· Le récit du Mendiant, qui résulte d'une vision surnaturelle (il raconte quelque chose qui a lieu ailleurs), rend sensible la toute-puissance du des­ tin: Giraudoux, en écrivain précieux qui pratique l'allusion savante, nous rappelle ici que le destin se dit fatum, en latin, mot dont la signification première est:« ce qui est dit».

Ainsi, en racontant la fin de l'histoire avant qu'elle soit advenue réellement, le Mendiant devient la voix du destin : Oreste se borne à faire «ce qui est (déjà) dit>>, à obéir au fatum.

Les jeux d'anticipation Giraudoux dénonce la puissance de l'illusion théâtrale en créant un déca­ lage audacieux entre la parole (du Mendiant) et l'action (d'Oreste).

L'action et la parole.

Le récit du Mendiant, par son caractère vision­ naire, réduit considérablement sa distance par rapport à la réalité décrite.

Les déictiques "Voilà», «voici» soulignent sa dimension spectaculaire : le récit donne effectivement à voir.

Dans l'atmosphère de confusion qui caractérise cette scène de dénouement, témoins, auditeurs, spectateurs et acteurs se mêlent : Narsès et Électre, qui veulent apprendre la suite des événements, sont dans la même position d'attente que le public.

La curio­ sité et l'impatience transparaissent à travers la multiplication des tour­ nures exclamatives, l'interjection «oh'" la brièveté nerveuse des phrases et le martèlement des dentales [d] et [t] («Si Ju raconJais, Joi! Iout [.

..

}C'est !Joux fie la Joucher celle peNe ÉlecJre ») .

Les chevauchements temporels.

Les temps se succèdent sans conti­ nuité logique.

Ainsi le futur antérieur («tout sera fini») côtoie le présent de la chose vue («Il les cherche'" "Il les rejoint») et le passé composé, directe­ ment lié au présent de la parole («On a crié cette fois!») : ceci traduit notam­ ment l'impatience contagieuse des deux femmes (répétitions «heureuses'" «oui»).

Dans le récit du mendiant, le mélange des temps met en valeur le débordement du commentaire sur le récit, puisque cette figure de la sagesse intemporelle est un peu en-dehors du temps.

Le mendiant montre autant qu'il raconte, passant du passé simple (éloignement temporel du. »

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