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LE MÉLODRAME (Histoire de la littérature)

Publié le 24/11/2018

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MÉLODRAME. « Bâtard de Melpomène » (Geoffroy), « fils dévoyé » du drame bourgeois (F. Gaiffe), le mélodrame n’a pas bonne presse. Pourtant son succès, tant auprès du public populaire du premier tiers du xixe siècle qu’auprès des jeunes écrivains romantiques — on se souvient de l’apostrophe de Musset : « Vive le mélodrame où Margot a pleuré! » —, traduit sa double fonction : idéologique « d’éducation » et littéraire « d’ouverture » aux formes nouvelles. Mais en même temps, l’espace réduit que le mélodrame occupe, aussi bien historique

 

ment que sociologiquement, pose le problème de sa théâtralité et de sa « représentabilité ».

 

Le mot et ses glissements

 

Emprunté à l'italien melodramma, où il désigne, au xviie siècle, un drame entièrement chanté, le terme apparaît en France au moment de la querelle des Bouffons, simple doublet d’opéra, ainsi qu’en témoigne l'équivalence posée par Delisle de Sales dans son Essai sur la tragédie (1772) : « le mélodrame ou l’opéra, tel que je l’ai défini, est donc vraiment dans la nature ».

 

Cependant, dans ses Fragments d'observations sur l'Alceste italien de M. le Chevalier Gluck (1766), Jean-Jacques Rousseau définissait ainsi son Pygmalion : « J’ai imaginé un genre de drame dans lequel les paroles et la musique, au lieu de marcher ensemble, se font successivement entendre, et où la phrase parlée est en quelque sorte annoncée et préparée par la phrase musicale »; et de nommer ce « genre de composition » mélodrame, tout en précisant qu’il pourrait « constituer le genre moyen entre la simple déclamation et le véritable mélodrame ».

Mais c’est un troisième sens qui a consacré l’existence et la pérennité du terme — et de son dérivé « mélodramatique » comme de l’apocope populaire et péjorative « mélo » — en tant que synonyme de « tragédie des Boulevards » (Geoffroy). Dans cet emploi, « mélodrame » a évincé diverses formules du type « drame en prose à grand spectacle », « pantomime dialoguée », « féeries mélodramatiques », etc. Pixérécourt lui-même ne l’emploie qu’en 1802 sous la forme «mélodrame» (la Femme à deux maris).

 

Tout bascule donc autour des années 1800, époque où, précisément, le genre naît et prolifère sur les scènes du boulevard du Crime.

Un genre daté

« Le règne de Louis XIV fut le règne de la poésie et de l’éloquence, le xvme celui de la philosophie et du raisonnement, le XIXe le triomphe de la chimie et du mélodrame » : en dépit de leur hostilité au genre, les trois auteurs qui se cachent sous la curieuse signature A!A!A! — Abel Hugo, Armand Malitourne et Jean Ader — auront prophétisé dans leur précoce Traité du mélodrame (1817) le durable succès d’une forme dramatique qui, de la Coelina de Pixérécourt (1800) aux Deux Gosses de Pierre Decourcelle ( 1896), en passant par les Deux Orphelines d’Adolphe Dennery, traverse de part en part le siècle. Mais il y a loin du mélodrame historique façon romantique au mélo « tranche de vie » naturaliste, et c’est à l’époque où il se constitue comme genre que le mélodrame trouve sa véritable signification : réaliser dans la pratique les souhaits de Le Chapelier, l’auteur du Rapport sur les spectacles (1791), en «épurant les mœurs, en donnant des leçons de civisme, en étant une école de patriotisme ». « Moralité de la Révolution » selon le mot de Nodier, le mélodrame ne pouvait donc naître en d’autres temps. Il prolonge sur la scène l’apparition dans la rue de « cet être réel, palpable, animé, passablement dramatique et cependant jusqu’à nous tout à fait oublié par les metteurs en œuvre de la scène, qui s’appelle le peuple » (Nodier, 1829). Mais en passant du rôle d’acteur à celui de spectateur le peuple cédait à d’autres l’initiative : et le mélodrame n’est en fait, dans le domaine littéraire, qu’une conscience populaire mythique façonnée par la bourgeoisie pour que le peuple soit peuple et reste peuple.

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« l'Église, se fait chaire de morale et, relayant l'autorité civile, devient tribune politique.

Et le très réactionnaire Spectateur français du XIX" siècle pouvait à juste titre noter dès 1806 que « le goOt des spectacles à grands sentiments>> trouvait sa justification dans les «troubles politiques [qui avaient sorti] les gens du peuple de l'état où la Providence et les lois les avaient placés ».

La Provi­ dence et les lois : tout le mélodrame s'inscrit sous ce double patronage oll se rejoignent les « héritiers » de 89 et les ultras.

Paradoxe plus apparent que réel, tant il est vrai que le remplacement des uns par les autres supposait toujours une hiérarchie et maintenait le peuple en bas de l'échelle, c'est-à-dire à sa place; et le mélodrame jouait alors pleinement son rôle en justifiant moralement le propos de Rousseau : « Les bonnes mœurs tiennent plus qu'on ne le pense à ce que chacun se plaise dans son état [ ...

) Tout va mal quand l'un aspire à l'emploi de l'autre » (Lettre à d'Alembert).

Ainsi s'explique la transposition, dans le mélodrame, des revendications d'égalité du plan social ou politique au plan éthique; et l'on verra nombre de grands seigneurs affirmer qu'« il est une noblesse plus vraie que celle de la naissance et des titres », une noblesse fondée sur le travail, le courage et la vertu, toutes qualités par lesquelles le peuple doit se définir en tant que tel.

Et quelle meilleure démonstration proposer au public faubourien que cette princesse détrônée qui se fait peuple le temps d'un acte et en incarne les vertus laborieuses : « Faudra-t-il me nourrir du pain de la pitié? 0 Dieu!.

..

Non, je veux le gagner par le travail [ ...

)J'irai chez quelque laboureur : mes bras ne sont pas robustes, mais le ciel soutiendra mon courage>> (Caigniez, la Forêt d'Hermanstadt, 1805).

Un genre codé Défini historiquement, le mélodrame peut-il l'être « poétiquement >>? Gautier répondait par la négative en regrettant « qu'aucun Aristote n'ait tracé de préceptes pour ce genre de composition; l'esthétique et l'architec­ tonique n'en sont fixées nulle part» (Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, 1859).

Paul Lacroix, présentant Coelina dans le Théâtre choisi de Pixérécourt ( 1841 ), faisait de l'auteur non seulement le «créateur» du mélodrame (encore que l'on puisse voir en Loaisel de Tréogate 1' « inventeur » du genre [voir LOAISEL DE TRÉOGATE.)) mais surtout le « fondateur des règles de ce genre>>.

En fait, s'il n'existe pas à propre­ ment parler d'art poétique mélodramatique, les déclara­ tions d'intention des auteurs, les brochures hostiles et les pièces elles-mêmes permettent de déterminer une struc­ ture, des thèmes et des personnages types.

« Canevas type >> (A.

Ubersfeld), « graphique invaria­ ble>> (J.-M.

Thomasseau), «structure mélodramatique typique >> (P.

Brooks), tous les critiques ont été sensibles à 1' arti fiee structurel du genre dans lequel « la persécu­ tion apparaît comme l'axe de l'intrigue >> (Thomasseau), séparant un « avant » fondé sur un bonheur insouciant mais menacé et un« après >> s'appuyant sur le châtiment et la reconnaissance.

Structure qui détermine donc un univers manichéen ollles forces antagonistes (la vertu/le mal) s'incarnent dans des personnages schématiques : le héros, vertueux et persécuté, qu'aide un niais dont la présence comique permet de détendre l'atmosphère et qu'agresse un méchant, traître, fourbe ou intrigant.

Indif­ férent à la causalité (les méchants comme les bons le sont par essence), ignorant le temps (la fin n'est jamais qu'un rétablissement de l'idyllique bonheur initial) et, dans une certaine mesure, l'espace (toujours mimétique d'une nature réduite à un lieu clos -caverne, château, forêt, etc.

-investi par l'imaginaire), le mélodrame fonctionne comme un univers «infantile» (Ubersfeld), coupé du réel.

1568 Un genre visuel Il est vrai que le mélodrame n'est pas le lieu d'une analyse : il ne démontre rien mais cherche à tout montrer.

De là un langage emphatique et assertif- vide, en fait, puisqu'il ne fait que nommer les personnages, désigner les actions ou signifier les valeurs.

En éliminant toute possibilité de surprise, le discours mélodramatique s'in­ sère parfaitement dans le schéma d'une intrigue où tout repose sur le spectaculaire : d'où la prolifération des indications scéniques qui envahissent le texte au point de constituer à elles seules parfois toute une scène; d'où, aussi, 1' importance du « tableau >>, fixation momentanée de J'action qui convoque toutes les formes du visuel (décor, costumes, ballet, pantomime, etc.).

Rien d'éton­ nant, dès lors, que le concept de mise en scène soit apparu dans les premières années du x1xe siècle : Pixéré­ court et ses émules cumulaient d'ailleurs, au nom de l'unité du spectacle, les fonctions de dramaturge, décora­ teur, metteur en scène, etc.

Pourtant le mélodrame est démodé.

Est-ce parce que la prolifération des didascalies et la précision descriptive des dialogues ne laissent au metteur en scène d'au­ jourd'hui, essentiellement recréateur, que peu de champ pour s'exprimer? Le mélodrame reposant sur l'adéqua­ tion absolue de sa lettre et de son esprit, toute fidélité à l'un impose nécessairement un respect absolu de l'autre sous peine que les «ficelles» ne détruisent l'efficacité de 1 'ensemble.

Comme le note justement Louis Althus­ ser, « le mélodrame date : les mythes et les charités distribués au peuple sont autrement organisés aujour­ d'hui, et plus ingénieusement>>.

Et de fait, Je schéma mélodramatique s'est aujourd'hui réfugié dans l'opérette ou l'opéra, retrouvant ainsi ses sources étymologiques.

[Voir aussi ANTIER Benjamin, BOULEVARD DU CRIME, DRAME, PIXÉRÉCOURTj.

BfBLIOGRAPHIE Le travail de base est la lhèse de Jean-Marie Thomasseau, le Mélodrame sur les scènes parisiennes, Service de reproduction des thèses, université de Lille Ill, 1974; id ., le Mélodrame, coll.

«Que Sais-je?», 1984.

Tl peut être complété par l'ouvrage ancien_ de Paul Ginisty, le Mélodrame, Paris, Michaud, 1910, rééd.

Ed.

d'Aujourd'hui, 1983.

La Revue des sciences humaines et Europe ont consacré d'ex· cellents numéros au mélodrame (1976, n° 162, et 1987, n°'703- 704 ).

Enfin on trouvera de suggestives remarques dans l'article de Peter Brooks.

«Une esthétique de l'étonnement>>, Poétique, Paris, Le Seuil.

1974, n• 19, et l'ouvrage de Julia Przybos, l'En­ treprise mélodramatique, Corti, 1987.. »

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