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Le meilleur des mondes d'Huxley: Une anti-utopie

Publié le 24/01/2020

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Les effets d’un tel dogmatisme intellectuel sont absolument catastrophiques, on l’aura compris, dans le domaine des savoirs, des idées, de la culture. L’utopie, qui refuse l’évolution, se condamne au rejet de la pensée vivante, au ressassement infini d’un fonds culturel jamais renouvelé, à la stérilité, à la stagnation créatrice. Elle ne saurait avoir d’art authentique puisque ce dernier est par essence créateur, c’est-â-dire producteur de formes inédites et d’idées nouvelles. Ce n’est donc pas seulement en raison de son caractère matérialiste que le Meilleur des Mondes prohibe ce que Mustapha Menier lui-même appelle le «grand art» (p. 244) : c’est la structure même de l’utopie qui ne peut s’accommoder de la pratique artistique — laquelle, par définition, est mouvante, évolutive, imprévisible. Et il semble légitime de penser que même une utopie reposant sur des principes opposés à ceux du Meilleur des Mondes connaîtrait une comparable pauvreté artistique.

D’ailleurs, il est frappant de constater que l’univers hautement scientifique de l’État Mondial, où la foi dans les pouvoirs de la science a valeur de dogme, interdit en fait toute recherche véritable. C’est que la «science pure» se moque des idéologies et serait bien capable d’effectuer des découvertes dont les implications pourraient contredire les dogmes de l’utopie et dont les applications pourraient bouleverser son système social. Aussi, Menier précise-t-il très clairement au chapitre 16 : «La science est un danger public. Elle est aussi dangereuse qu’elle a été bienfaisante. Elle nous a donné l’équilibre le plus stable que l’histoire ait enregistré. [...] Mais nous ne pouvons pas permettre à la science de défaire le bon travail qu’elle a accompli» (p. 252). Il convient donc, pour les Administrateurs, de proscrire toute vraie science afin d’éviter que n’aient lieu d’intempestives découvertes, susceptibles de troubler l’ordre utopique.

C’est clair : si l’utopie ne peut s’accorder avec la liberté, elle ne fait pas meilleur ménage avec la vérité, avec l’amour du savoir, la recherche de la vérité. Elle rejette ainsi deux des plus importantes parmi les valeurs qu’a forgées l’histoire de l’humanité - les deux plus importantes peut-être.

La société imaginée par Huxley dans Le Meilleur des Mondes présente tous les caractères de l’utopie traditionnelle. Mais, ainsi que nous l’indiquions à la fin du chapitre 3, Huxley entend nous montrer, dans son récit, à quel point ces caractères fondamentaux de l’utopie sont, au-delà des illusions naïves sur une éventuelle société parfaite, lourds de dangers pour l’humanité et comment l’application dans les faits d’un projet utopique ne pourrait avoir que des conséquences désastreuses.

UTOPIE ET TOTALITARISME

L’utopie se définit d’abord, nous l’avons vu, comme un système d’une absolue cohérence que menace la modification du moindre de ses constituants. Il en résulte que toute société utopique, une fois mise en place, devra demeurer intangible sous peine de s’effondrer. Une utopie réalisée sera condamnée à la permanence, à une perpétuelle stabilité.

Et c’est bien ce qui se passe dans le Meilleur des Mondes. La «Stabilité» compte parmi les trois grands principes de base de cette civilisation. «Nous ne voulons pas changer, déclare Menier. Tout changement est une menace pour la stabilité» (p. 249), c’est-à-dire, en d’autres termes, une menace pour l’existence même de la société de l’Etat Mondial. Ce refus du changement, de la nouveauté, qui résulte de la nature propre de l’utopie, Huxley nous invite, à travers la fiction du Meilleur des Mondes, à en mesurer les conséquences.

L'utopie, ou la fin de la liberté

La plus terrible de ces conséquences est évidemment, pour les sujets de l’utopie, l’absence totale de liberté. Dans une société où tout doit rester immuable, il est hors de question que l’on puisse modifier les lois ou la forme

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