LE LION ET LE MOUCHERON (FABLES DE LA FONTAINE) - COMMENTAIRE

« Mais La Fontaine s'égaie aussi aux dépens de son héros lors du brusque retournement de situation qui se produit à lafin de la fable; il ne prend pas du tout cette fin au tragique; et ce n'est pas sans une certaine malice qu'il assiste,en spectateur amusé, à ce juste retour des choses, comme le montre le passage des pompeux alexandrins de lavictoire (v.

31-32) aux piteux octosyllabes d'une fin lamentable (v.

33-34), avec la répétition intentionnelle derencontre qui souligne la concomitance comique de l'hymne triomphal et de l'embuscade où se fera prendre lemoucheron, victime de sa propre vantardise. D L'originalité de la moralitéLa moralité n'est pas donnée d'avance, elle ne s'impose même pas avec une évidence irrécusable à l'issue du récit :elle se cherche, et La Fontaine nous associe à cette recherche, il engage le débat avec son lecteur en le faisantparticiper à l'élaboration de la leçon morale de la fable.

En proposant son commentaire personnel de l'aventure duMoucheron et en suggérant plusieurs interprétations possibles, il quitte la situation privilégiée de l'auteur omniscientet tout-puissant pour se mettre au même niveau que ses lecteurs, il devient un spectateur parmi d'autres, uncommentateur comme un autre, qui ne jouit d'aucune exclusivité, d'aucun droit de priorité, comme le souligne avecraison Simone Blavier-Paquot dans ses Vues sur l'art du moraliste dans les Fables de 1668 (Belles Lettres, 1961).Il y a un mouvement tout à fait comparable à la fin d'une fable du dernier recueil, Le Chat et les deux Moineaux (XII,2): Quelle morale puis-je inférer de ce fait?Sans cela toute fable est un oeuvre imparfait.J'en crois voir quelques traits... Mais alors que dans cette dernière fable La Fontaine finalement se dérobe et s'esquive sur une pirouette, ici ildégage avec force et netteté les deux leçons qui s'imposent : moralité double, selon qu'on l'envisage du point devue du Lion ou dans la perspective du Moucheron. E Le Lion et le Moucheron et le Lion et le Rat : « un suggestif contrepoint » Document « La comparaison de ces deux fables fait apparaître un suggestif contrepoint : ici colère du lion impatienté; là,clémence nonchalante; guerre funeste, en fin de compte, au vainqueur comme au vaincu d'une part; et de l'autre,concorde pacifique, échange de bons procédés, utiles également au bienfaiteur et à l'obligé.

Surtout, lerapprochement met en évidence la différence dans le traitement du récit lorsque la fable reste isolée comme Le Lionet le Moucheron ou forme diptyque avec une autre, comme Le Lion et le Rat.

Dans le premier cas, le récit sedéveloppe, pittoresque, dramatique, brillant, mouvementé; dans le second, il court, pressé, réduit à ses lignesessentielles, sans effets trop appuyés, car il ne doit pas trop attirer sur soi seul l'attention; il ne prend toute savaleur et tout son sens que par les multiples rapports qu'il entretient avec celui dont il est complémentaire.

Il y a làcomme deux esthétiques distinctes de la fable : l'une qui joue sur les contrastes internes qu'elle aiguise enantagonismes dramatiques; l'autre qui, plus subtilement, et plus artificiellement, repose sur des correspondancesexternes entre deux versions analogues ou deux apologues voisins.

» (J.-P.

COLLINET, Le Monde littéraire de LaFontaine, pp.

189-190).. »