Le Horla Seconde Version Complète
Publié le 12/11/2012
Extrait du document


«
ONDOLIVRES
Le Horla
8 mai.
Quelle journée admirable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme
platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entière.
J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes
racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui
l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux
intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-même.
J'aime ma maison où j'ai grandi.
De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la
route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques.
Ils sont
innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent
dans l'air bleu des belles matinées, jetant jusqu'à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant
d'airain que la brise m'apporte, tantôt plus fort et tantôt plus affaibli, suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit.
Comme il faisait bon ce matin !
Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de
peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.
Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mâts brésilien,
tout blanc, admirablement propre et luisant.
Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.
12 mai.
- J'ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste.
D'où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en
détresse ? On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les
voisinages mystérieux.
Je m'éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge.
- Pourquoi ? - Je
descends le long de l'eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur
m'attendait chez moi.
- Pourquoi ? - Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et
assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui,
passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le
regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous
rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même,
des effets rapides, surprenants et inexplicables.
Comme il est profond, ce mystère de l'Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos
yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d'une
étoile, ni les habitants d'une goutte d'eau...
avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les
vibrations de l'air en notes sonores.
Elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce mouvement et
par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui rend chantante l'agitation muette de la nature...
avec
notre odorat, plus faible que celui du chien...
avec notre goût, qui peut à peine discerner l'âge d'un vin !
Ah ! si nous avions d'autres organes qui accompliraient en notre faveur d'autres miracles, que de choses nous
pourrions découvrir encore autour de nous !
16 mai.
- Je suis malade, décidément ! Je me portais si bien le mois dernier ! J'ai la fièvre, une fièvre atroce, ou
plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps ! J'ai sans cesse cette sensation
affreuse d'un danger menaçant, cette appréhension d'un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce
pressentiment qui est sans doute l'atteinte d'un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.
18 mai.
- Je viens d'aller consulter un médecin, car je ne pouvais plus dormir.
Il m'a trouvé le pouls rapide, l'oeil
dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant.
Je dois me soumettre aux douches et boire du
bromure de potassium.
25 mai.
- Aucun changement ! Mon état, vraiment, est bizarre.
A mesure qu'approche le soir, une inquiétude
incompréhensible m'envahit, comme si la nuit cachait pour moi une menace terrible.
Je dîne vite, puis j'essaie de
lire ; mais je ne comprends pas les mots ; je distingue à peine les lettres.
Je marche alors dans mon salon de long
en large, sous l'oppression d'une crainte confuse et irrésistible, la crainte du sommeil et la crainte du lit.
Vers dix heures, je monte dans ma chambre.
A peine entré, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous ;
j'ai peur...
de quoi ?...
Je ne redoutais rien jusqu'ici...
j'ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j'écoute...
j'écoute...
quoi ?...
Est-ce étrange qu'un simple malaise, un trouble de la circulation peut-être, l'irritation d'un filet
nerveux, un peu de congestion, une toute petite perturbation dans le fonctionnement si imparfait et si délicat de
notre machine vivante, puisse faire un mélancolique du plus joyeux des hommes, et un poltron du plus brave ?
Puis, je me couche, et j'attends le sommeil comme on attendrait le bourreau.
Je l'attends avec l'épouvante de sa
venue, et mon coeur bat, et mes jambes frémissent ; et tout mon corps tressaille dans la chaleur des draps,
jusqu'au moment où je tombe tout à coup dans le repos, comme on tomberait pour s'y noyer, dans un gouffre d'eau
stagnante.
Je ne le sens pas venir, comme autrefois, ce sommeil perfide, caché près de moi, qui me guette, qui va
me saisir par la tête, me fermer les yeux, m'anéantir.
CLPAV Le Horla de Guy de Maupassant Page 2 sur 20.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Improvisation XXVIII [seconde version, Wassily Kandinsky] - étude du tableau.
- L'information est une maladie moderne qui provient évidemment de la rapidité des moyens de transmission. On sait que les agences de presse du monde se battent pour transmettre une nouvelle trente ou quarante seconde avant leurs concurrentes. On juge d'un bon ou d'un mauvais correspondant sur les différences d'une minute. Dans les faits un tel esprit de compétition se conçoit. En valeur absolue cela paraît d'une absurdité complète : c'est le jeu de cache-tampon, il faut trouver le premi
- Le 4 mars 1965, une seconde version de ce rapport, légèrement retouchée, est déposée au bureau du premier ministre. Pierre Duchesne, Jacques Parizeau, tome 1, Québec Amérique
- Thème 1 - Fragilités des démocraties, totalitarisme et Seconde Guerre Mondiale
- L'histoire complète du Titanic