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LE GOÛT DU NÉANT DE BAUDELAIRE (lecture analytique et commentaire composé)

Publié le 01/09/2011

Extrait du document

baudelaire

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle bute.
Résigne-toi, mon coeur ; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !
Le Printemps adorable a perdu son odeur !
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
Une poétique signifiante
(SLEEN ET IDÉAL)

Quelle rime ici suggère bien l'engloutissement, la chute inexorable dans
un gouffre vertigineux ? Relevez les assonances qui la reprennent en écho
tout au long du poème.


baudelaire

« Au carrefour des routes poétiques, héritier du Romantisme et précurseur du Symbolisme,Charles Baudelaire (1821-1867) fut vers le milieu du XIXe siècle le chef de file de la nouvellepoésie, véritable révélation pour la « poésie moderne ».

De sa vie nous retiendrons qu'elle futtout entière liée à deux sentiments contradictoires : l'extase de la vie et l'horreur de la vie.On peut véritablement affirmer que c'est cette dualité en Baudelaire qui nous a donné lepoète incomparable qu'il demeure. Le Goût du Néant est justement extrait des Fleurs du Mal, recueil poétique majeur deBaudelaire, paru en 1857, fruit de quinze ans de méditation, superbe tentative pour trouverla beauté dans le Mal et qui eut pour conséquence le procès que nous connaissons et dontBaudelaire ne sortit pas grandi en apparence, contrairement à Flaubert la même année.Le Goût du Néant fait partie de la section Spleen et Idéal et occupe une place remarquable,après les poèmes du Spleen, ce mal affreux entre tous qui provoque l'angoisse atroce, le sentiment pour l'homme d'être de trop sur terre, surnuméraire et souffrant atrocement, après le poème Obsessionqui est le centre de ce cercle infernal duquel le poète ne peut s'échapper, dans lequel il crie sa haine pour la natureentière qui lui révèle sa misère :Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amerDe l'homme vaincu...Le Goût du Néant est donc l'aboutissement de cette quête éperdue, désespérée du poète, la fin de tout espoir etmême de la moindre velléité de survie : Résigne-toi, mon coeur...Je tenterai donc de montrer comment Baudelaire, dépossédé du goût de vivre, se trouve aux prises avec le goût duNéant et s'y abandonne passivement. 1.

Perte du goût de vivre. En effet, la perte du goût de vivre est un des traits dominants de ce poème : le goût de vivre sans lequel la viedevient insupportable, insoutenable à l'homme.

Baudelaire l'a perdu irrémédiablement :Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte.On peut tout d'abord remarquer ici l'importance extrême accordée à l'esprit qui est cause de tout, bourreau de lui-même, comme Baudelaire a été victime et bourreau de lui-même.Baudelaire s'adresse donc à son esprit, à lui-même enquelque sorte.

L'adjectif morne, par sa signification et sa place, donne déjà le ton : c'est l'immobilité, c'est la défaiteirrémédiable présente dans tout le texte.

D'ailleurs le mot esprit est repris au début du deuxième quatrain : « Espritvaincu, fourbu! » ; les adjectifs, l'un abstrait, l'autre extrêmement concret (Baudelaire a l'habitude de lier ainsi leconcret et l'abstrait), expriment la défaite et l'abandon devant la vie.

Et c'est presque une allégorie qu'il emploiepour s'adresser à l'esprit par l'emploi de points d'exclamation : « Pour toi, vieux maraudeur...

», invocation soulignéepar sa place juste après la césure.

Et c'est le poète qui est cause de cette perte du goût de vivre, c'est-à-dire decet amour que pourtant Baudelaire a essayé toute sa vie de retenir en lui-même, par tous les moyens possiblesavec l'acharnement du désespéré.

Même si cet amour fut bien souvent artificiel et seulement le prétexte à seretrouver en lui, miroir de son âme avec Marie Daubrun et Madame Sabatier, mais pourtant si sincère et profondavec Jeanne Duval !Eh bien, l'amour n'est plus là, l'amour chanté par Catulle et Musset n'a plus de goût ! Expression qui soulignel'amertume de Baudelaire quand on sait quelle importance il accorde aux sens et à la synesthésie surtout.

Cetteperte du bonheur occupe un hémistiche tandis que la passivité va se préciser au vers suivant par la perte du goûtde la dispute ! Ce qui peut paraître stupide ; mais la discorde est tout de même signe de vie et d'ardeur.

Mais mêmece goût-là, Baudelaire ne l'a plus.

Dans ce vers, c'est donc la perte du goût, de la saveur de la vie qui est signalée.Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Baudelaire aborde ici les sensations auditives, le domaine de lamusique si cher aux poètes tel Verlaine : « De la musique avant toute chose...

» Il leur dit adieu : « Adieu donc »...et cet adieu s'impose à lui comme une conséquence de son état, mais aussi comme un déchirement atroce que l'onperçoit malgré lui dans ce petit mot en apparence insignifiant, ce donc : le rythme est bien de quatre pieds/huitpieds pour cet alexandrin.

Baudelaire nous révèle à qui cet adieu est lancé : chants et soupirs.

Aux chants ducuivre, triomphants et sonores, soupirs de la flûte, légers et quelque peu tristes.

C'est à l'univers musical dans satotalité qu'il adresse ici son adieu, de même qu'il évoque le monde des parfums dans Correspondances :Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Et d'autres, corrompus, lourds et triomphants...Enfin c'est le comblé de la perte du goût de vivre :Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur !Il refuse le tourment des plaisirs car le coeur (emploi très fréquent de ce mot chez Baudelaire et que l'on retrouvechez Mallarmé dans Brise marine) c'est bien sûr lui-même ! Il y a donc contraste évident entre plaisir et « coeursombre et boudeur » : encore deux qualificatifs rappelant le romantisme et qui me font songer à Nerval dans ElDesdichado :Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,mais revêtant une importance autrement plus tragique chez Baudelaire, puisqu'ils vont le mener au néant ! 2.

L'esprit en proie au goût du néant. Par cette perte du goût de vivre, par cette désolation' extrême, l'esprit va en effet être sacrifié au goût du néantpour ne faire plus qu'un avec lui.

Car ce « morne esprit », cet « esprit vaincu, fourbu » ne l'a pas toujours été.. »

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