Le fantastique dans les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam
Publié le 06/10/2018
Extrait du document
«
Dans ce conte, l'intersigne émerge progresivement et infailliblement.
Avant qu'il ait un cauchemar
définitif, le héros de
L'Intersigne est surpris par des choses étranges.
La première chose, c'est la métamorphose du presbytère.
Lors de son arrivée, l'aspect champêtre
de cette maison lui inspire «des idées de recueillement, de santé et de paix profonde »7, mais
ce presbytère se transmue brusquement devant ses yeux.
«Était-ce bien la maison que j'avais vue tout à l'heure? Quelle ancienneté me dénonçaient,
maintenant, les longues lézardes, entre les feuilles pâles? — Cette bâtisse avait un air étranger;
les carreaux illuminés par les rayons d'agonie du soir brûlaient d'une lueur intense; le portail
hospitalier m'invitait avec ses trois marches; mais, en concentrant mon attention sur ces dalles
grises, je vis qu'elles venaient d'être polies, [...] et je vis bien qu'elles provenaient du cimetière
voisin, — dont les croix noires m'apparaissaient, à présent, de côté, à une centaine de pas.
Et la
Le Fantastique d'après les Contes cruels de Villiers de l'Isle-Adam
maison me sembla changée à donner le frisson, et les échos du lugubre coup du marteau, que je
laissai retomber, dans mon saisissement, retentirent, dans l'intérieur de cette demeure, comme
les vibrations d'un glas.
»8
Le deuxière étrange est la transfiguration de l'abbé Maucombe que nous avons déjà citée dans
le chapitre précédent : À la lumière de la bougie, l'abbé Maucombe, qui paraît « d'une santé
vigoureuse »9, se métamorphose en un agonisant.
Bien que curieuses, ces deux choses étranges peuvent être acceptées facilement
par le lecteur,
parce qu'il est possible d'avoir une expérience pareille dans la vie quotidienne et que l'on peut
trouver une explication rationnelle : Ce n'est qu'une hallucination, soit que le baron Xavier soit
très fatigué de voyager, soit que la lumière exerce une influence sur ses yeux.
Cependant, on a
déjà glissé vers le monde fantastique de Villiers.
Le baron Xavier rencontre la troisième chose étrange, c'est un affreux cauchemar.
Dans son
lit, le baron est réveillé en sursaut par « trois petits coups secs, impératifs »10, frappés à sa
porte.
Il est au milieu de la chambre où la lumière étrange de la lune domine.
Comme je m'approchais de la porte, une tache de braise, partie du trou de la serrure, vint
errer sur ma main et sur ma manche.
[...] C'était une lueur glacée, sanglante, n'éclairant pas.
— D'autre part, comment se faisait -il que je ne voyais aucune ligne de lumière sous la porte,
dans le corridor? — Mais en vérité, ce qui sortait ainsi du trou de la serrure me causait l'impression
du regard phosphorique d'un hibou! [...] La lueur s'éteignit : — j'allais m'approcher...
Mais la
porte s'ouvrit, largement, lentement, silencieusement.
En face de moi, dans le corridor, se tenait,
debout, une forme haute et noire, — un prêtre, le tricorne sur la tête.
La lune l'éclairait tout
entier, à l'exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient
avec une solennelle fixité.
[...] Tout à coup, le prêtre éleva le
bras, avec lenteur, vers moi.
Il
me présentait une chose lourde et vague.
C'était un manteau.
Un grand manteau noir, un manteau
de voyage.
Il me le tendait, comme pour me l'offrir!...
»11
Le baron est en proie à la peur intolérable.
« je repoussai la porte de mes deux mains crispées et étendues et je donnai un violent tour de
clef, frénétique et les cheveux dressés! »12
Ainsi l'étrange devient de plus en plus affreux, critique et extraordinaire.
Surtout cette troisième
scène impressionnante est capable de terrifier non seulement le héros mais encore le lecteur.
Naturellement, ils essaient de justifier le mystère et de dissiper l'angoisse en oscillant entre le
réel et l'irréel.
Toutefois ce fait cauchemardeux ne leur permet plus d'explication rationnelle :
Examinant la serrure de la porte, le baron constate « qu'un tour de clef avait été donné en
dedans, ce que je n'avais (il n'avait) point fait avant mon (son) sommeil ».
À leur insu, l'au-delà commence progressivement à envahir la terre dès le début du conte, si
bien que'ils arrivent à rencontrer ici une intrusion incontestable de l'irréel dans le réel.
Grâce à
la construction excellente, le fantastique est magnifiquement établi dans ce conte.
D'autre part, ces trois visions nous permettent l'interprétation suivante.
La première vision,
l'aspect morbide du presbytère, annonce vaguement la mort.
Ensuite la deuxième vision, la.
»
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