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LE DRAME DE L'AMOUR HUMAIN DANS MANON : PRÉDESTINATION OU FATALITÉ ?

Publié le 01/07/2011

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amour

« J'ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d'être I heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes,... qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter, qui les sent et qui en est accablé, sans profiter des remèdes qu'on lui offre sans cesse et qui peuvent à tous moments les finir ; enfin un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d'actions mauvaises «, dit l'Avis de l'Auteur des Mémoires d'un Homme de qualité au lecteur de Manon Lescaut. Exemple « terrible, de la force des passions «. Ce drame de l'amour humain, qui, mieux que Prévost, pouvait le redire ? Il savait trop bien par son expérience personnelle à quel point l'amour s'oppose à toute habitude, à toute autorité sociale, à toute règle morale même, le cas échéant, pour ne pas le peindre éloquemment sous l'empire de sa nouvelle passion. Retenu par ses convictions religieuses autant que par son caractère sentimental, il ne plaidera cependant jamais pour l'amour libre. Casuiste consommé, il en appellera hardiment à la Providence, dont l'homme ne saurait prétendre à déchiffrer les desseins insondables, et toute son œuvre romanesque oscillera entre la croyance à la prédestination divine et la conviction qu'une sorte de fatalité païenne régit souverainement notre existence. Si le réalisme de l'Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut transforme cette hésitation, déjà sensible dans les Mémoires d'un Homme de qualité, en un douloureux problème qui semble toucher chacun d'entre nous au plus profond de sa conscience, la forme ramassée de la nouvelle lui donne une puissance dramatique, supérieure même à celle de la Princesse de Clèves.

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« si Dieu avait sciemment, dès leur première rencontre, prédestiné les deux jeunes gens à servir d'exemple.

Unepassion aussi extraordinaire s'élève certainement bien au-dessus de la « simple concupiscence », fruit du péchéoriginel.

La Providence la permet-elle « pour des fins qui ne sont pas toujours connues mais qui sont toujours sansdoute dignes d'elle » ? On le croirait d'autant plus qu'une série de hasards semble parachever son œuvre.

PourquoiManon, la courtisane, apprend-elle la soutenance de thèse de des Grieux à la Sorbonne ? De là viendra son désird'entendre son ancien amant, puis de le revoir et de partir avec lui.

S'il est naturel, et presque inévitable, queManon et des Grieux se retrouvent ensuite face à face avec le garde du corps Lescaut, trop heureux d'exploiter àson profit leur situation irrégulière, pourquoi le feu prend-il à leur maison de Chaillot, précisément l'un des soirs où ilssont restés à Paris ? Leur argent disparu, ils seront obligés de chercher d'autres ressources : d'où le recours au jeu,d'abord ; et puis la tentation pour Manon, après la fuite de leurs domestiques, d'user à nouveau de ses charmes àl'instigation de son frère, le garde du corps.Est-ce crainte ou superstition ? Presque jamais le narrateur n'impliquera cependant la Providence dans le récit deses malheurs.

Dès la première rencontre avec Manon, ce sera « l'ascendant de [sa] destinée » qui l'entraînera verssa perte.

A Saint-Sulpice, il lira de nouveau « sa destinée » dans les beaux yeux de sa maîtresse.

Pour obtenir unsecours de Tiberge, il lui représente sa passion « comme un de ces coups particuliers du destin, qui s'attache à laruine d'un misérable, et dont il est aussi impossible à la vertu de se défendre qu'il l'a été à la sagesse de le prévoir ».Et devant la générosité de son ami, il déplore un moment « l'aveuglement d'un amour fatal », qui lui fait violer tousses devoirs.

Enfin, lorsqu'en dépit de ses efforts Manon cède aux suggestions de Lescaut qui lui a présenté le vieuxG.

de M., des Grieux, songeant à la maison de son père et à Saint-Sulpice où il a « vécu dans l'innocence », sedemande encore en soupirant : « Par quelle fatalité » suis-je devenu « si criminel » ?Nous avons entendu cette même interrogation angoissée dans l'Histoire de des Frans et de Sylvie.

« La vertu ne m'ajamais abandonnée, soupirait l'héroïne, et pourtant je suis criminelle...

Par quel charme se peut-il que toutes cescontrariétés soient effectivement en moi ?» Il s'agit, en effet, d'un véritable charme, du même philtre d'amour queburent autrefois Tristan et Yseult.

Depuis le Moyen âge les romans n'ont cessé de broder sur ce thème, finementrenouvelé par l'Astrée.

Selon Sylvandre, quand le grand Dieu forma toutes nos âmes, il les toucha chacune avec unepierre d'aimant, puis il mit toutes ces pierres dans un lieu à part...

Quand il envoie les âmes dans les corps, il mèned'abord celles des femmes prendre chacune une des pierres d'aimant qui ont été touchées par les hommes, et lesâmes des hommes une des pierres touchées par les femmes.

Une fois l'âme entrée dans son corps, dès qu'ellerencontre l'âme sœur qui possède l'aimant touché par elle, il lui est impossible qu'elle ne l'aime.

De là tous les effetsde l'amour.

Ingénieuse fiction romanesque à la mode scientifique du siècle, et qui bientôt cédera la place à unevision plus tragique de la destinée humaine.Les Nouvelles Françaises ou les Divertissements de la Princesse Aurélie, œuvre de Segrais, le précurseur direct 4eRobert Challes et le collaborateur et ami de Mme de la Fayette, donnent le ton nouveau dès 1656 dans un curieuxépisode intitulé Eugénie ou la force du Destin.

« Ah ! » se dit le jeune Aremberg qui plusieurs fois de suite rencontrela femme de son ami, le comte de Valmont, malgré tous les efforts tentés pour la fuir, « il faut que l'amour triomphepuisque le destin s'en mêle ! J'ai fui, j'ai combattu et j'avais peut-être vaincu.

Mais enfin si c'est un crime d'aimerl'objet du monde le plus aimable, l'amour me l'a proposé mais c'est le ciel ou le hasard qui l'achève.

» Nousretrouvons ici l'hésitation fondamentale de des Grieux.

Aremberg tuera finalement, malgré lui, son ami.

La comtessen'a pu s'empêcher d'aimer de son côté un ami d'enfance qu'elle n'épousera qu'après deux ans passés, tant elle a deremords d'avoir involontairement provoqué la mort de son mari.

La force du Destin a parlé.Elle parlera bien plus éloquemment encore dans la Princesse de Clèves.

Après 1656, Racine fait paraître en effet sestragédies.

A la grandeur d'âme des héros cornéliens, succède la force irrésistible d'une passion devenue l'instrumentde choix de ce destin.

Dorothy Dallas a montré 1 que celle-ci triomphera jusqu'à la fin du siècle dans toute une séried'histoires ou « nouvelles historiques » à la manière du Dont Carlos de Saint-Réal, où se reflète déjà la tristesse dela Princesse de Clèves.

Un certain équilibre entre la raison et la passion reste pourtant la marque propre de Mme deLa Fayette.

Le remords empêche Mme de Clèves de songer à épouser jamais le duc de Nemours, mais elle saitégalement les hommes infidèles et sa raison ne s'en laisse pas accroire.

A mesure que passeront les années, l'amourdeviendra de plus en plus ce poison redoutable qui corrompt insidieusement l'âme de Phèdre.

Ce sera « Vénus toutentière à sa proie attachée ».La fatalité païenne est entrée en scène avec les Dieux antiques.

Et le rayonnement spirituel du jansénisme lui donneune profondeur nouvelle.

Jamais l'homme privé de la grâce n'a paru plus faible, cette grâce que Dieu ne dispensequ'à bon escient, prédestinant telles âmes à leur salut ou à leur perte.

Vision pessimiste qui rejoint celle de l'hommeantique à la merci des Dieux.

Persécutés, affaiblis par leurs dissensions, courbés sous la volonté divine, dès le débutdu xvme siècle de nombreux jansénistes en sont venus à des pratiques superstitieuses, soutenues par une foiardente, nourrie d'un contact personnel de l'homme avec Dieu.

On croit de nouveau, comme au Moyen âge, auxsonges et aux présages, à l'astrologie et aux charmes.

Ainsi Robert Challes, exilé loin de Paris en 1713 pour avoirvivement critiqué la bulle Unigenitus, veut que la trompeuse Sylvie n'ait succombé devant son séducteur que sousl'effet d'une recette magique.

Et des Frans, l'amoureux ensorcelé de Sylvie, accuse avant tout sa « mauvaise étoile», comme des Grieux parlera en termes astrologiques de « l'ascendant » de sa destinée .Si les superstitions et la croyance à la sorcellerie, qui se manifestent dans l'Homme de qualité, ont disparu deManon, des Grieux croit aussi aux songes et aux présages.

Il entretient également avec Dieu des relationspersonnelles parfois étranges.

« Le Ciel me fit naître une idée qui arrêta mon désespoir » s'écrie-t-il lorsqu'il songe àtenter fortune au jeu : « La Providence [...] n'a-t-elle pas arrangé fort sagement les choses ? [...] La plupart desgrands et des riches sont des sots, [...] et de quelque façon qu'on le prenne, c'est un fonds excellent de revenupour les petits que la sottise des riches et des grands.

» Et il regarde comme un « effet de la protection du Ciel » des'être souvenu de Tiberge pour se procurer l'argent nécessaire à cette nouvelle expérience.

Cette faveur visible d'unDieu personnel, presque familier, lui sert de justification morale, en quelque sorte, et le soutient au cours desépreuves.

Il trouve quelque chose d'admirable, par exemple, dans « la manière dont la Providence enchaîne lesévénements » pour amener la mort de Lescaut, abattu par un compagnon de jeu.

Quoi qu'il advienne, il ne. »

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