LE CRITIQUE ÉCRIVAIN Roland Barthes
Publié le 28/03/2015
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Quelles conclusions tirer, pour le critique, de cette nature spécifique de l'oeuvre littéraire ? Puisque le texte ne se résume pas en une signification unique, le critique doit renoncer au rêve vain de dire la vérité de l'oeuvre dans la mesure où celle-ci, par définition, est introuvable, impossible à cerner, à localiser. A l'éternelle question du texte, le critique doit accepter de n'apporter que sa réponse. Il lui faut confronter au silence de l'oeuvre son propre langage, celui de son temps. Barthes s'en explique là encore dans les premières pages de Sur Racine :
«Allusion et assertion, silence de l'oeuvre qui parle et parole de l'homme qui écoute, tel est le souffle infini de la littérature dans le monde et dans l'histoire. Et c'est parce que Racine a honoré parfaitement le principe allusif de l'oeuvre littéraire, qu'il nous engage pleinement à jouer pleinement notre rôle assertif. Affirmons donc sans retenue, chacun pour le compte de sa propre histoire et de sa propre liberté, la vérité historique, ou psychologique, ou psychanalytique, ou poétique de Racine ; essayons sur Racine, en vertu de son silence même, tous les langages que notre siècle nous suggère ; notre réponse ne sera jamais qu'éphémère, et c'est pour cela qu'elle peut être entière...«
«
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IB .
le critique écrivain I 357
toujours été le cas.
Le changement est beaucoup plus radi
cal.
L'œuvre moderne, en effet, -poème ou roman -se
prend elle-même, d'une manière ou d'une autre, comme
sujet.
On pourrait avancer que, depuis la fin du XIXe siècle,
le texte réfléchit sur le texte et réfléchit le texte.
Il est à la
fois
«réflexion» de lui-même et réflexion sur lui-même.
L'exemple de Proust -que cite Barthes -est sans doute à
cet égard
Je plus convaincant.
A la recherche du temps
perdu
peut en effet être résumé comme étant l'histoire d'un
individu qui prend conscience progressivement de la néces
sité pour lui d'écrire un roman qui, sans doute, sera
A la
recherche
du temps perdu.
Le roman raconte en quelque
sorte ] 'histoire de sa propre genèse.
Du coup, le cycle prous
tien dans sa totalité -mais tout particulièrement le dernier
volume intitulé
Le Temps retrouvé - fait place en lui
même
à des considérations générales sur !'art et la littéra
ture : la fiction se mêle à la théorie, le récit romanesque
devient indissociable du discours critique.
L'écrivain se fait
donc critique.
Or, poursuit Barthes :
« .
• • voici que, par un mouvement complémentaire, le
critique devient à son tour écrivain.
Bien entendu, se
vouloir écrivain n'est pas une prétention de statut, mais
une intention d'être.
Que nous importe s'il est plus glo
rieux
d'être romancier, poète, essayiste ou chroni
queur? L'écrivain ne peut se définir en termes de rôle
ou de valeur, mais seulement
par une certaine con
science de parole.
Est écrivain celui pour qui le langage
fait problème, qui en éprouve la profondeur, non l'ins
trumentalité ou la
beauté.»
Cette définition mérite d'être précisée.
Et il n'est possible
de le faire qu'en évoquant ce que fut la querelle de la
«nou
velle critique».
Barthes souligne d'ailleurs dans les lignes
qui suivent que cette transformation du critique en écrivain
est la seule définition que l'on puisse proposer de ce que
l'on a nommé la.
»
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