LE CREPUSCULE. La Maison du berger. Alfred de Vigny
Publié le 01/07/2011
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Commenter ces vers d'Alfred de Vigny : La nature t'attend dans un silence austère-, L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs, Et le soupir d'adieu du soleil à la terre Balance les beaux lis comme des encensoirs. La forêt a voilé ses colonnes profondes, La montagne se cache, et sur les pâles ondes Le saule a suspendu ses chastes reposoirs. Le crépuscule ami s'endort dans la vallée Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon, Sous les timides joncs de la source isolée Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon, Se balance en fuyant dans les grappes sauvages, Jette son manteau gris sur le bord des rivages, Et des fleurs de la nuit entr'ouvre la prison.
(La Maison du berger.)
Faites comprendre, en faisant entrer dans votre commentaire l'explication des termes en italique, l'impression de recueillement, de douceur et d'élévation morale qui se dégage de ce crépuscule.
Commencez par localiser le morceau immédiatement, vous verrez devant vous se poser un problème, que vous devrez résoudre. La Maison du Berger est un poème que suffirait à rendre célèbre l'apostrophe passionnée à la nature, marâtre insensible et cruelle, qui broie l'homme impitoyablement. Y a-t-il contradiction entre ce passage et celui que vous avez sous les yeux ? Dans tous les cas, tâchez d'expliquer comment le même poète qui maudit si éloquemment la nature, se montre, dans le même poème, si profondément touché par le divin spectacle qu'elle offre quand tombe la nuit. Vous serez frappés aussi de la différence qu'il y a entre ces deux strophes. Il y a unité, mais aussi diversité. Ne vous semble-t-il pas, dès la première lecture, que la première est presque religieuse, et même chrétienne, tandis que la seconde est presque mythologique, et profane? D'une part, gravité, dévotion; de l'autre, fantaisie, noble volupté ! Mais l'impression de « recueillement « est une. Distinguer le sentiment de pieuse adoration et celui de jouissance exquise, telle est votre tâche, et aussi montrer comment ils se sont traduits l'un et l'autre par ces deux images : la Nature est un temple, qui a ses cérémonies sacrées ; le Crépuscule est un jeune dieu, capricieux et ailé, qui se joue dans l'ombre quand le jour s'enfuit.
«
demandent à la Nature de douces et d'enivrantes consolations.
Cette tendre mère, dans le sein de laquelle lesautres vont chercher l'oubli, le calme du cœur, Vigny montre qu'elle est une tombe ; et il la craint et il la déteste, etil crie sa haine et son effroi.Or, le passage que j'ai sous les yeux est un hymne de pieuse adoration envers la Nature, bienfaitrice éternelle qui,dans le silence des soirs, apaise l'âme endolorie.
Contradiction qu'il serait trop facile d'expliquer en rappelant laméthode de travail adoptée par Vigny.
Poète de courte haleine, il décrit successivement, et parfois à de longsintervalles, tel tableau ou telle scène.
Puis, quand arrive l'instant de composer l'ensemble, il relie tant bien que malces morceaux préparés à l'avance, et traités chacun comme un tout.
De là, des contradictions dans la pensée, deslacunes dans la composition, des points de suture qui se laissent voir, etc.
Explication insuffisante.
L'hostilité deVigny contre la Nature est certes amère et superbe ; mais elle est « volontaire », et il n'y est arrivé ni du premiercoup ni sans effort.
Elle est appuyée par toute une philosophie qui peu à peu règne en souveraine, mais dont ladomination n'est pas immédiate et ne reste pas ininterrompue.
Vigny s'est plus d'une fois laissé séduire par lescharmes de la sirène, si enveloppante surtout aux heures silencieuses de la nuit.
Il la maudit d'autant plus âprementqu'il l'a aimée avec une dévotion plus profonde ; il exècre d'autant plus ses splendeurs qu'il les a plus religieusementadmirées.
C'est par un acte de volonté, énergique, tenace, qu'il rompt le charme.
Mais le charme triomphe à certainsmoments délicieux et inoubliés.
Dans cette retraite du Maine- Giraud qu'il nous a magnifiquement, tropmagnifiquement décrite, sous les allées des chênes et des ormeaux, au milieu des bois et des rochers, il a goûté labeauté des soirs mélancoliques, dont le calme était si doux après le tumulte des cités serviles.
Ainsi, ces deuxstrophes constituent, il est vrai, un morceau à part, et dont la beauté se suffirait à elle-même ; mais leur valeuresthétique et morale est bien plus grande lorsqu'on pense qu'elles vont être suivies d'une protestation passionnéecontre cette Nature altière, l'ennemie dédaigneuse qui prend nos morts sans entendre nos plaintes et se rit de noshommages comme de nos pleurs.
II
Le stoïcisme du poète, qui lui révéla la beauté morale de la sérénité du cœur humain, lui révèle donc ici la beautémorale de la sérénité de la Nature ; plus encore : sa tendresse chaste et grave.
Et sans doute ce n'est pas l'aurore(1), avec la fête de ses couleurs et de ses bruits, qui offrira un asile à nos désenchantements.
Ce sont les soirs,avec leur grâce fuyante et attristée.
Ce qu'il y a de recueillement, de douceur et d'élévation morale dans cessilences mystérieux, dans ces chants voilés qui montent vers les nues, dans ces attitudes lassées et exquises desêtres et des choses, tout cela est noté par le solitaire, ravi de sentir se calmer ses douleurs et amollir sa fierté.Quelque chose répond, autour de lui, à ce besoin de tendresse et de dévouement, qui est au fond de son hautainpessimisme.
Vigny est le poète des crépuscules, parce qu'ils font la détresse moins amère et le stoïcisme moinsinhumain.Et il y a dans ce passage un mélange de sereine mélancolie et de noble volupté qui nous séduit.
Les sens sontcaressés très discrètement, en même temps que l'âme est calmée.
Des impressions visuelles, avant tout, mais aussides parfums et des harmonies qui flattent l'odorat et l'oreille.
Vigny n'a pas seulement l'art d'évoquer les lointains,fuyants et vagues, mais aussi il sait choisir dans un paysage les traits essentiels qui, mis au premier plan, nousfrappent par leur vérité et leur précision.Dans ce silence qui enveloppe la nature, voici la brume qui s'élève et la brise qui vient ; puis, c'est la forêt quis'enfonce dans l'ombre, la montagne qui s'estompe, et, sur la plaine où coule le fleuve, le saule qui se tait.
Si ladeuxième strophe renferme des détails moins exacts, si, contemplant la vallée qui se déroule dans l'obscuriténaissante, le peintre veut nous donner surtout la sensation de l'étendue et du lointain, il y a cependant tel détail,comme celui des fleurs qui s'épanouissent au crépuscule ou « belles de nuit », qui est justement observé.Par-dessus tout, Vigny excelle à organiser une image, à nous la suggérer en subordonnant à ce dessein les moindrestraits de sa description.
Si Vigny s'arrête à tel détail évocateur, c'est qu'il ajoute quelque chose à l'impressiond'ensemble qu'il a lui-même éprouvée et qu'il veut nous faire éprouver.
Nous l'avons vu, il est, malgré sa philosophiestoïcienne et pessimiste, gagné et apaisé par la beauté sereine du crépuscule, et, d'autre part, il est bercé par lagrâce voluptueuse et mélancolique du soir.
Le premier sentiment s'exprime par cette image : la Nature est untemple; elle a, quand le jour fuit, des cérémonies sacrées qui s'accomplissent dans un décor religieux.
Le seconds'exprime par cette figure : le crépuscule est un jeune homme divin, ailé, svelte, qui frôle les plantes et les fleurs,rapide, gracieux, et s'endort, sa tâche terminée.
Tout l'effort de l'artiste va consister à « organiser » ces deuximages : la première strophe devient un cantique où tout célèbre le caractère religieux du crépuscule ; le second,un développement à moitié allégorique, où tout est personnifié pour produire un effet gracieux, indécis.
III
La nature ? attend, comme le sanctuaire « attend » le fidèle qui vient offrir à Dieu son cœur meurtri ; dans unsilence austère : impression de gravité, de recueillement ; la Nature se tait, non pas « sévèrement » (on est sévèrepour les autres, et austère pour soi), mais son silence est imposant et commande l'adoration ; l'herbe élève :personnification plus discrète que dans la strophe qui suit, mais c'est, au milieu du vaste temple, un hommage renduà la sainteté que ce nuage des soirs, cette brume qui monte du gazon ; la périphrase est ramassée, et évoque l'idéedu nuage embaumé qui monte vers les voûtes de l'église.
Et le soupir d'adieu...
personnification plus discrète encore; si la brume est sanctifiée dans le vers qui précède, que dire de cette brise qui devient le soupir d'adieu du soleil àla terre? Comme des encensoirs, la comparaison est attendue, mais elle nous saisit par sa magnificence symbolique ;.
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