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« Le Crapaud » - Les Amours Jaunes - Tristan Corbière - Explication de texte

Publié le 17/10/2011

Extrait du document

   -------------------------------------------------    -------------------------------------------------  Un chant dans une nuit sans air....  -------------------------------------------------  La lune plaque en métal clair  -------------------------------------------------  Les découpures du vent sombre.  -------------------------------------------------    -------------------------------------------------  ....Un chant ; comme un écho, tout vif  -------------------------------------------------  Enterré, là, sous le massif...  -------------------------------------------------  - Ça se tait : Viens, c'est là, dans l'ombre...  -------------------------------------------------    -------------------------------------------------  - Un crapaud ! - Pourquoi cette peur  -------------------------------------------------  Près de moi, ton soldat fidèle ?  -------------------------------------------------  Vois-le, poète tendu, sans aile,  -------------------------------------------------  Rossignol de la boue.... - Horreur !  -------------------------------------------------    -------------------------------------------------  - Il chante. - Horreur !! - Horreur pourquoi ?  -------------------------------------------------  Vois-tu pas son œil de lumière....  -------------------------------------------------  Non : il s'en va, froid, sous sa pierre.  -------------------------------------------------  ……………………………………..  -------------------------------------------------  Bonsoir - ce crapaud-là c'est moi.  -------------------------------------------------    -------------------------------------------------  « Le Crapaud « Les Amours jaunes Tristan Corbière  -------------------------------------------------      Poète maudit s’il en est, Corbière n’a jamais connu le succès de son vivant. Sorti de l’ombre dix ans après sa mort par Verlaine, puis redécouvert par Huysmans, le poète des Amours jaunes reste aujourd’hui peu connu du grand public.  Cet unique recueil, qu’on pourrait croire inscrit dans la tradition lyrique à cause de son titre qui évoque Ronsard, suit la voie d’une mutation poétique qu’ouvrit Rimbaud et que suivra Mallarmé. Corbière allie dans son recueil, et ce dès le titre, lyrisme et sarcasme.  Reprenant à son compte le thème du poème « Le Crapaud « de La Légende des siècles, Corbière s’attache à la dichotomie laideur et spiritualité. Mais contrairement à Hugo ce « Crapaud « là subvertit le lyrisme et annonce la mort de la poésie et du poète.  Chaque strophe est une avancée vers la révélation finale : la première strophe tisse le décor quand la deuxième attise la curiosité ; curiosité malsaine qui révèle l’horreur de la troisième strophe quand la dernière s’abat comme une sentence irrévocable.

« D'abord la disharmonie de la nature et de la poésie : contrairement à ce qu'on attend, la nature n'est pas favorableau poète, l'absence du vent, qui habituellement porte le chant, pour emporter le message du poète apparaît dans« nuit sans air ».

De plus la Lune est un astre néfaste et malin, connu pour aider les amants à se dissimuler maisn'apportant pas la protection et l'inspiration que le poète seul cherche d'ordinaire sous les rayons du Soleil.On note également une rupture dans le topos par l'insertion du « métal » : la Lune est habituelle associée à l'air etaux éléments aqueux.

La comparaison, ici, des ombres qu'elle projette à du métal ne fait que renforcer l'impressionhostile qui s'installe en introduisant la froideur et l'agressivité du matériau.Enfin la syntaxe elle-même va à l'encontre du mouvement lyrique de la pensée : cette première phrase perturbe àcause de l'antéposition du complément circonstanciel « en métal clair » par rapport à l'objet « les découpures duvert sombre.

» L'actualisation de ce mot rare de « découpures » renforce cette dysphorie car elle donne l'impressionqu'on est face à une forme fautive dont Corbière est par ailleurs familier. Le jeu d'ombre et de lumière mis en place par cette première strophe est à la fois intime et inquiétant.

La deuxièmestrophe commence également sous le signe de la contradiction : la comparaison du chant à un écho paraîtinappropriée, d'autant que l'écho est qualifié par « tout vif » alors que la loi physique fait de l'écho la répétition d'unson qui s'assourdit chaque fois plus.L'inquiétude tient encore de la source de ce chant, source mystérieuse, « enterré », « sous le massif », « dansl'ombre.

» La rêverie initiée par le poète à la première strophe tourne à la quête, l'enquête, et les points desuspension au vers 5 prennent une autre valeur, la curiosité mêlée d'hésitation.Cette quête est tournée vers un objet encore inconnu, qui ne sera découvert qu'à la strophe suivante.

L'incapacitéde catégoriser cet objet est marquée par l'utilisation de « ça », « ça se tait », le pronom neutre dénotel'impossibilité de déterminer la source du chant.La poésie lyrique classique fait souvent s'adresser le poète à la femme aimée : Corbière utilise ici aussi le discoursdirect mais il ne s'agit pas d'un monologue adressé à sa dame, plutôt d'un dialogue entre deux enfants que ce chantintrigue et effraie.

Le dialogue apparaît par la succession de tirets et par les verbes à l'impératif « viens », « vois.»Le lecteur s'imagine aisément deux enfants, un garçon et une fille, l'un, téméraire et curieux, qui entraîne l'autre,apeuré, à la découverte de la source de ce chant.

Cette hiérarchie entre les deux enfants apparaît également dansla strophe 3 : le premier interlocuteur, le téméraire, qui a attiré son ou sa camarade jusqu'au massif, se placecomme protecteur « ton soldat fidèle » et c'est d'ailleurs cette relation qui laisse envisager qu'il s'agit d'un petitgarçon et d'une petite fille le courage étant l'apparat des hommes et la peur attribuée d'ordinaire aux femmes.

Cedialogue se construit par des phrases courtes et simples, voire nominales.Ce sont les structures syntaxiques simplifiées qui laissent envisager que les interlocuteurs sont des enfants :l'absence de subordination vers 7 et 8 au profit d'une juxtaposition de phrases nominales ou encore la négationpartielle élidant ne vers 12. Si Corbière joue avec les traditions lyriques, il le fait tout autant avec la forme du sonnet : si on a bien l'alternancedes rimes féminines et masculines, le schéma abba cddc pour les quatrains et eef ggf pour les tercets donne 6 rimesdifférentes là où on en attend que 4.

On a déjà constaté que l'auteur subvertit le sonnet en présentant d'aborddeux tercets puis deux quatrains, mais respecte la structure : on peut en effet voir dans l'exclamation révélatrice duvers 7 « un crapaud ! » ce que les classiques définissaient comme la volta : en disjoint les deux parties du poème enretournant la situation, le début du poème est un questionnement, la deuxième partie est la constatation de ladécouverte.

Le sonnet classique se devait également d'avoir une chute et c'est ce qu'on peut retrouver avec levers 14, déjà détaché typographiquement du corps du sonnet mais syntaxique avec le changement d'énonciation :le poète quitte la narration pour le discours « Bonsoir – ce crapaud là c'est moi.

»La volta qu'on vient de souligner est l'occasion de dévoiler la source du chant : un crapaud.

La comparaison queCorbière met en place dans cette troisième strophe entre le crapaud et la poète peut paraître surprenante maiss'explique : l'analogie se fait par le chant.

Le coassement du crapaud était, dès le premier vers, donné comme unchant ; aussi peut-on comprendre que le chant du poète est identique au coassement du crapaud : grinçant,disgracieux presque macabre.

Le crapaud aspire au statut de poète qu'il ne peut atteindre « poète tondu, sansaile » il ne peut s'élever, le lyrisme auquel il aspire lui est inaccessible.L'oxymore « rossignol de la boue » oppose l'aspiration du crapaud à sa situation concrète : créature terrestreengluée et accrochée à la terre, il aspire pourtant à l'élévation lyrique voire amoureuse dont le rossignol est l'image.L'œil brillant de l'animal « œil de lumière » est un regard d'envie et d'espoir, c'est l'étincelle lyrique mais qui ne suffitpas à transformer le crapaud en poète. « Horreur ! » Cette interjection qu'on trouve à deux reprises se pose en réponse à plusieurs choses.

La premièreoccurrence est floue : l'effroi tient-il à la découverte de l'identité de la bête ou plus symboliquement à l'échecpoétique auquel le crapaud-poète doit faire face ? L'ambigüité est posée et ne s'éclaircit pas avec la deuxièmeoccurrence qui répond pourtant plus précisément « … Il chante.

– Horreur !! » C'est le fait que le crapaud puisse,tente de chanter qui horrifie un des locuteurs quand l'autre s'offusque de la réaction du premier.

Pour le locuteurhorrifié le fait que cette créature dégoutante, boueuse, repoussante puisse chanter est inconcevable.

« Non » laréponse est catégorique et met fin au dialogue : malgré les deux points qui suivent on sent le retour au récit.Cet avant-dernier vers peut se comprendre sous un éclairage réaliste : l'amphibien à sang froid a été dérangé parles deux locuteurs et va se cacher sous une pierre.

Mais à la lecture de l'ensemble du poème on peut aussi donnerune interprétation symbolique à ce vers : le froid serait celui de la mort, la pierre celle d'une tombe.

Le feu lyrique aabandonné le poète qui n'a plus qu'à mourir puisqu'il ne peut plus chanter.Le dernier vers ne fait que soutenir cette interprétation symbolique : le poète confirme la métaphore sous-jacentedans l'ensemble du poème.

Le crapaud n'est que l'image que Corbière a de lui-même, un être laid et repoussant,mais surtout une créature incapable de poésie.. »

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