Devoir de Philosophie

Le conte fantastique et le roman du mal

Publié le 20/01/2018

Extrait du document

conte

nombreuses ressemblances entre Vathek et Carathis, personnages du conte de Beckford, et les libertins du marquis de Sade : elles ne sont pas fondées seulement sur les affinités profondes de caractère entre les deux auteurs, mais sur une analogie de situation historique. Tous deux se révoltent contre la morale de leur temps et trouvent leur jouissance dans ce qu'elle réprouve, dans les méchancetés gratuites, la profanation du sacré, le meurtre, la souillure infligée aux êtres purs, la trahison, la laideur; tous deux imaginent des pouvoirs surhumains employés au mal ... Mais sur deux points capitaux Beckford difère de Sade : Beckford est doué d'une imagination poétique et crée un Orient de féerie, gracieux et hideux, tout à fait nouveau si on le compare à l'exotisme timide des Français; ce n'est plus un décor, c'est un lieu qu'une ressemblance intime unit aux âmes qui l'habitent, et dont l'étrangeté extérieure correspond à leur anomalie et à leur perversité; Sade au contraire écarte le merveileux et son imagination, tout aussi hardie dans le domaine psychologique et dans l'invention des mythes, se plie à une sécheresse réaliste du détail. L'autre diférence est que Beckford est inquiet tandis que Sade est systématique. On dirait que Beckford a éprouvé la vanité du vice, de la toute-puissance et de la science suprême : le châtiment de Vathek et de Nouronihar est d'obtenir ce qu'ils ont souhaité et d'y trouver le désespoir et la haine d'eux-mêmes. La mélancolie, sensible sous la poésie magique ou bouffonne et l'immoralisme du conte, finit par donner sa couleur sombre au dénouement; elle fait la beauté humaine de ce récit irréel, auprès duquel les romans de Sade, dont le théâtre est le monde réel, semblent inhumains et déclamatoires 

Le mal auquel Alvare réussit finalement à échapper ne tendait qu'à sa perte personnelle. Mais devant la puissance grandissante d'une bourgeoisie à l'esprit rationaliste et pratique, au cœur sensible et généreux, qui conciliait la vertu et la réussite, l'aristocratie réagit par l'affirmation de ses privilèges et se fit de l'égoïsme une loi. Menacés dans leurs droits et dans leur existence, les individus que leur naissance autorisait à se croire diférents du reste des hommes rêvèrent de faire servir les forces de libération matérielle et spirituelle à la destruction de ceux qui les avaient créées et qui les dirigeaient contre eux. Ils dénaturaient la philosophie des lumières, ils en renversaient le sens par un réflexe de vaincus. Le libertin de la fin du siècle aspire à un pouvoir absolu pour exercer une méchanceté absolue : cet immoralisme, qui passe quelquefois pour l'aboutissement logique des idées défendues par La Mettrie, Helvétius, d'Holbach ou Diderot, en est en réalité la caricature; c'est celui des personnages de Sade, évidemment, mais aussi de quelques personnages de Restif et de Laclos, du Vathek de Beckford, du baron d'Olnitz imaginé par Révéroni Saint-Cyr. Il revient à l'historien de la société et à l'historien des idées d'analyser les causes et les aspects de ce libertinage; il se manifeste, en littérature, par le fait que la méchanceté monstrueuse redevient un thème romanesque (comme au Moyen Age ou à l'époque des gueres de religion), auquel s'associent le thème de l'érotisme et souvent celui de la magie.

 

Pourquoi l'Anglais BECKFORD rédigea-t-il en français son conte original de Vathek (publié en 1786) et l'adaptation très libre de plusieurs contes des Mille et une Nuits? E Pour une raison esthétique que formule M. Milner : « seule la langue de Voltaire et de Rousseau lui parut capable de supporter à la fois la charge d'ironie, de douceur et de violence • nécessaire à l'expression de ses sentiments, et pour des raisons complexes que Beckford n'a pas précisées et qu'A. Parreaux suppose, influence de la tradition orientaliste française, désir de rendre hommage à l'Anglais Hamilton qui lui aussi avait déjà écrit des contes en français; « ou encore l'orien‑

conte

« et les interdits le domaine de la fantaisie sceptique 1; au cours du siècle, ils étaient devenus d'abord galants, puis moraux ; la traduction des Mille et une Nuits avait réduit le fantastique oriental aux proportions que l'esprit français pouvait admettre.

Mais le cosmopolitisme et le progrès de la philosophie expérimentale permettaient d'accepter comme naturel ce que le rationalisme classique aurait condamné ou nié.

Si la publication du Cabinet des fées ou collection choisie des contes de fées et autres contes meroeilleux, à partir de 1785, ne témoigne pas d'un grand changement dans la compréhension de la mythologie populaire, Restif, qui inséra des contes de fées dans son Nouvel Abeilard (1778), aime non seulement leur symbolisme naïf mais leur étrangeté poétique.

Les formes irrationnelles de connaissance sont prises au sérieux, visions, extases, songes, folie; à la veille de la Révolution, un puissant mouvement de pensée ésotérique se répand dans l'Europe entière; sans être forcé­ ment illuministes ou martinistes ni attacher toujours une valeur de révélation mystique à l'irrationnel, les romanciers s'intéressent aux personnages anormaux et aux histoires extraordinaires ; le fou n'est plus l'être ridicule qu'il était dans La fausse Clélie ou dans Pharsamon 2• La floraison du conte fantastique date en France du XIXe siècle, mais le pré­ curseur du genre, selon son historien P.G.

Castex 3, est jACQUES CAZOTTE, auteur du Diable amoureux (1772).

Les épisodes magiques qui se trouvent déjà dans le roman poétique d'Olivier, publié par Cazotte en 1763, rappellent seulement les bizarreries des Contes d'Hamilton.

La nouveauté du fantastique, dans Le Diable amoureux, vient de ce qu'il est en rapport avec le goût du mal inhérent à l'âme humaine.

L'apparition d'une horrible tête de chameau, d'abord par une fenêtre éblouiss ante dans la grotte où Alvare a récité la conjuration diabolique, ensuite dans la chambre soudain illuminée par des escargots phosphorescents, y est plus effrayante que l'histoire des têtes coupées qui vont se recoller sur d'autres corps, dans Olivier, non par le réalisme visionnaire des détails, mais par les circonstances qui l'entourent.

Alvare risque sa propre destruction par esprit de révolte, par orgueil.

La tentation de posséder des pouvoirs surnaturels est secondaire, l'ennui, inspirateur de tant de pactes avec le démon, n'apparaît que plus tard, le désir charnel n'est véritablement fort que dans les dernières pages, comme le fait remar­ quer M.

Milner 4 : le mobile premier est l'abus de la liberté, le vertige de commettre le mal parce qu'on a le pouvoir de le commettre.

Qu'il contienne ou non l'écho de doctrines secrètes 11, Le Diable amoureux montre que le principe de notre chute 1.

Voir supra, pp.

295-296.

2.

On a vu plus haut la folie de Faubl as; à la fin de L'Emi gré, la comtesse de Loewenstein meurt folle; un recueil de 1786, Les Folies sentimentales, réunissait plusieurs histoires de divers auteurs ayant pour héros des fous ; Le Neveu de Rameau est un dialogue de Diderot avec un extravagant ; le narrateur du Libertin devenu vertueux rend compte des entretiens qu'il a eus à l'asile d'aliénés de Londres avec un fou misanthrope.

3· P.G.

CASTEX, Le Conte fantastique en France, de Nodier à Mau passant, Paris, 1951.

4· Max MILNER, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire, Paris, 19 60, t.

I, pp.

93 sqq.

5· La critique penche pour la négative : voir P.G.

GASTEX, op.

cit., et la préface d'Etiemble au tome second des Romanciers du XV JIIe siècle, Paris, 1965 (le texte du conte figure dans ce recueil).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles