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"Le Chêne et le Roseau", La Fontaine

Publié le 12/04/2013

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Explication de texte Fables, La Fontaine « Le Chêne et le Roseau «, XXII, Livre Premier Nous nous situons à la fable XXII qui clôt le Livre Premier du recueil. Notre apologue est précédé par « Les Frelons et les Mouches à Miel « et est suivi de la première fable ouvrant le Livre Deuxième : « Contre ceux qui ont le goût difficile « dont on tentera plus tard de comprendre le lien avec notre texte. Dernière conversation du Livre Premier entre deux personnages végétaux à qui La Fontaine donne vie, l'apologue fait aussi écho à « La Cigale et la Fourmi «, la première fable du livre et du recueil, non seulement donc par sa situation dans l'?uvre mais aussi par le fait qu'elle ferme le Livre Premier sur le vent du Nord quand le premier apologue l'ouvrait sur la « bise «. S'inscrivant dans la veine du fabuliste grec Esope, La Fontaine présente sa fable sous les modes du dialogue et de la narration qui ne laissent apparaître la morale que de manière implicite. Ayant pour projet de « tracer en ces vers de légères peintures « (A Monseigneur le Dauphin), le « papillon du Parnasse « prend la plume de la légèreté et du naturel, faisant de l'hétérométrie et de l'enjambement un moyen pour y parvenir, un moyen d'imprimer son sceau dans le cercle littéraire de son temps. L'apologue, marqué par la devise du poète, déploie clairement ici cette devise de diversité en opposant deux personnages, deux modes d'expression et deux systèmes de pensée divergeant en particulier sur le rapport au temps, pensé puis subi. Notre apologue est constitué de 32 vers alternant octosyllabes et alexandrins, légèreté et sérieux, naturel et solennité, acceptant toutefois l'intrusion au v.20 d'un décasyllabe. La continuité dans la discontinuité s'exprime aussi à travers l'emploi des rimes, à la fois plates/suivies (AABB), croisées (ABAB) ou embrassées (ABBA), soit pauvres, suffisantes, riches voire très riches, isolant cependant quelques vers ne dialoguant qu'avec eux-mêmes. Ces vers se divisent en plusieurs moments : Le premier vers (v.1 au v.16), narratif, introduit tout d'abord la longue prise de parole du chêne, représentatif par ses dimensions physiques, son « statut social « au sein même de la nature et sa copia verbale, d'une classe forte et puissante qu'il est difficile de contester. Grand parleur au style ampoulé voire précieux, il s'adresse au roseau, inférieur sur l'échelle naturelle, le plaignant d'être aussi chétif et donc si peu résistant aux vents quand lui, par sa bonne naissance, bénéficie d'atouts qui le rendent inébranlable et solide. Ce quasi monologue au registre épique exprime nettement la condescendance du personnage pour son interlocuteur, pas encore invité à s'exprimer, et expose clairement une vision nobiliaire du monde. Se dessine une pensée sociale que le poète associe à un système de pensée littéraire et qu'il reprend à son compte pour la déstabiliser sur le plan poétique. La deuxième partie (v.17 au v. 24) donne la parole à celui que le nom même dégrade par sa petitesse et sa fragilité : le roseau, plus concis dans ses propos et moins pompeux, dont le discours s'oppose au langage figuré et aux tours allusifs de son interlocuteur. Il semble représenter un certain calme, une sérénité dus à une prudence et à une bonne connaissance de lui-même et de ses capacités qui font que sa parole, parsemée de pointes ironiques, met en doute la position de toute puissance du chêne. La dernière partie de la fable met en scène la voix du narrateur : les deux personnages, face à la tempête, vont pouvoir enfin confronter les dons que la nature leur a faits et surtout la véracité de leurs propos, la lucidité sur leur condition. Mais, dans un propos final hyperbolique et (trop) poétique, la voix narratrice fait tomber les conventions. On peut donc se demander en quoi cet apologue, représentant en filigrane une société que le moraliste critique en suggérant des corrections, se présente comme un art poétique qui prône le mélange des voix et la diversité des tons et des tournures, permettant &agra...
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« leur a faits et surtout la véracité de leurs propos, la lucidité sur leur condition.

Mais, dans un propos final hyperbolique et (trop) poétique, la voix narratrice fait tomber les conventions. On peut donc se demander en quoi cet apologue, représentant en filigrane une société que le moraliste critique en suggérant des corrections, se présente comme un art poétique qui prône le mélange des voix et la diversité des tons et des tournures, permettant à l’auteur de poser un regard clairvoyant sur la poésie. Pour répondre à cette interrogation, nous pourrons nous appuyer sur trois pistes : · La représentation d’un modèle social faisant écho au monde de La Fontaine · Le mélange des voix · L’esthétique de la diversité érigée en art poétique La première partie de l’apologue, introduite par un vers narré, laisse le mot au chêne qui s’exprime à travers un quasi monologue et monopolise donc largement la parole, en toute légitimité semble-t-il puisqu’il représente traditionnellement symbole la justice et la sagesse (Saint Louis), la stabilité et la longévité, une incarnation du divin (chez les Romains), la force et la virilité.

Ainsi, le chêne tient a priori une position de dominant dans la fable.

Mais cette position, bien que véridique, est en fait revisitée par le fabuliste qui fait de son personnage un dominateur à cause de l’idée qu’il se fait de lui-même.

S’adressant au roseau, il prend un ton compassionnel quand il évoque la condition de celui-ci, ton se révélant condescendant.

Grandiloquent, le chêne traite bien son interlocuteur en « excrément de la terre », lui qui ne peut même pas supporter le poids d’un « roitelet », lui qui à la moindre bise subit une déformation.

Le propos du grand chêne se fait bien sentir : l’emploi de la personnification qui rend la nature vivante (v.5), la synecdoque hyperbolique « mon front » désignant sa cime, le registre épique (« arrêter les rayons du soleil », « brave l’effort de la tempête », « je vous défendrais de l’orage ») et le champ lexical de la puissance placent le locuteur dans une utilisation précieuse et prétentieuse de la langue qui cherche à impressionner par son apparence plaisante.

Le langage ici semble être à l’image de celui qui l’utilise et permet finalement de tirer un portrait en creux du beau parleur.

D’emblée, deux mondes se dessinent : l’antithèse le montre bien, d’un côté se dresse celui de la médiocrité et d’un autre côté, celui de la force.

L’antithèse se fonde d’abord dans ces vers sur l’équilibre rythmique : trois vers consacrés au roseau puis trois au chêne ; un hémistiche pour le roseau (« tout vous est Aquilon »), l’autre pour le chêne (« tout me semble Zéphyr »).

Cette antithèse est d’ailleurs marquée explicitement par la conjonction « cependant ».

De manière plus sous-jacente, on note que le roseau est traité de manière passive : c’est le vent qui est le sujet de la phrase, il est dominant ; le roseau est objet (« vous oblige »), il est dominé.

Au contraire, le chêne est sujet, et plus encore, c’est son « front » qui domine, opposé en une comparaison dédaigneuse à la simple « tête » du roseau.

La force décrite n’est qu’une partie de la puissance entière de l’arbre.

De même, le fabuliste emploie le procédé de la reprise (la même tournure de phrase est répétée deux fois) au v.10 pour marquer l’antithèse : on remarque ici aussi que l’opposition est clairement marquée non seulement par le choix des vents (Aquilon pour l’un, Zéphyr pour l’autre) mais aussi par le choix des verbes : le verbe « être » renforce la position passive du roseau et donc sa faiblesse ; le verbe « sembler » affirme la maîtrise et la force du chêne.

Sous sa prétendue compassion, le chêne exprime en fait toute la force dont il est capable en puissance (mais pas encore en acte si on se limite à la fable même).

Se dresse alors devant le lecteur une position sociale claire et une vision nobiliaire du monde que ne peut décrier l’emploi des verbes « naissiez » (v.11) et « naissez » (v.15) : le chêne étale devant le roseau la condition de celui-ci, que la nature n’a pas choisi puisqu’il naît dans les marécages 2. »

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