"Le Chêne et le Roseau", La Fontaine
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
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leur a faits et surtout la véracité de leurs propos, la lucidité sur leur condition.
Mais,
dans un propos final hyperbolique et (trop) poétique, la voix narratrice fait tomber les
conventions.
On peut donc se demander en quoi cet apologue, représentant en filigrane une société que
le moraliste critique en suggérant des corrections, se présente comme un art poétique qui
prône le mélange des voix et la diversité des tons et des tournures, permettant à l’auteur de
poser un regard clairvoyant sur la poésie.
Pour répondre à cette interrogation, nous pourrons nous appuyer sur trois pistes :
· La représentation d’un modèle social faisant écho au monde de La Fontaine
· Le mélange des voix
· L’esthétique de la diversité érigée en art poétique
La première partie de l’apologue, introduite par un vers narré, laisse le mot au chêne qui
s’exprime à travers un quasi monologue et monopolise donc largement la parole, en toute
légitimité semble-t-il puisqu’il représente traditionnellement symbole la justice et la sagesse
(Saint Louis), la stabilité et la longévité, une incarnation du divin (chez les Romains), la force
et la virilité.
Ainsi, le chêne tient a priori une position de dominant dans la fable.
Mais cette
position, bien que véridique, est en fait revisitée par le fabuliste qui fait de son personnage un
dominateur à cause de l’idée qu’il se fait de lui-même.
S’adressant au roseau, il prend un ton
compassionnel quand il évoque la condition de celui-ci, ton se révélant condescendant.
Grandiloquent, le chêne traite bien son interlocuteur en « excrément de la terre », lui qui ne
peut même pas supporter le poids d’un « roitelet », lui qui à la moindre bise subit une
déformation.
Le propos du grand chêne se fait bien sentir : l’emploi de la personnification qui
rend la nature vivante (v.5), la synecdoque hyperbolique « mon front » désignant sa cime, le
registre épique (« arrêter les rayons du soleil », « brave l’effort de la tempête », « je vous
défendrais de l’orage ») et le champ lexical de la puissance placent le locuteur dans une
utilisation précieuse et prétentieuse de la langue qui cherche à impressionner par son
apparence plaisante.
Le langage ici semble être à l’image de celui qui l’utilise et permet
finalement de tirer un portrait en creux du beau parleur.
D’emblée, deux mondes se dessinent :
l’antithèse le montre bien, d’un côté se dresse celui de la médiocrité et d’un autre côté, celui
de la force.
L’antithèse se fonde d’abord dans ces vers sur l’équilibre rythmique : trois vers
consacrés au roseau puis trois au chêne ; un hémistiche pour le roseau (« tout vous est
Aquilon »), l’autre pour le chêne (« tout me semble Zéphyr »).
Cette antithèse est d’ailleurs
marquée explicitement par la conjonction « cependant ».
De manière plus sous-jacente, on
note que le roseau est traité de manière passive : c’est le vent qui est le sujet de la phrase, il
est dominant ; le roseau est objet (« vous oblige »), il est dominé.
Au contraire, le chêne est
sujet, et plus encore, c’est son « front » qui domine, opposé en une comparaison dédaigneuse
à la simple « tête » du roseau.
La force décrite n’est qu’une partie de la puissance entière de
l’arbre.
De même, le fabuliste emploie le procédé de la reprise (la même tournure de phrase
est répétée deux fois) au v.10 pour marquer l’antithèse : on remarque ici aussi que
l’opposition est clairement marquée non seulement par le choix des vents (Aquilon pour l’un,
Zéphyr pour l’autre) mais aussi par le choix des verbes : le verbe « être » renforce la position
passive du roseau et donc sa faiblesse ; le verbe « sembler » affirme la maîtrise et la force du
chêne.
Sous sa prétendue compassion, le chêne exprime en fait toute la force dont il est
capable en puissance (mais pas encore en acte si on se limite à la fable même).
Se dresse alors
devant le lecteur une position sociale claire et une vision nobiliaire du monde que ne peut
décrier l’emploi des verbes « naissiez » (v.11) et « naissez » (v.15) : le chêne étale devant le
roseau la condition de celui-ci, que la nature n’a pas choisi puisqu’il naît dans les marécages
2.
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