Le cheminement même de l’écriture. Claude Simon
Publié le 12/09/2015
Extrait du document
Si je ne peux accorder crédit à ce deus ex machina qui fait trop opportunément se rencontrer ou se manquer les personnages du récit, en revanche il m’apparaît tout à fait crédible, parce que dans l'ordre sensible des choses, que Proust soit soudain transporté de la cour de l’hôtel de Guermantes sur le parvis de Saint-Marc à Venise par la sensation de deux pavés sous son pied, crédible aussi que Molly Bloom soit entraînée dans des rêveries érotiques par l’évocation des fruits juteux qu’elle se propose d’acheter le lendemain au marché, crédible encore que le malheureux Benjy de Faulkner hurle de souffrance lorsqu’il entend crier le mot « caddie », et tout cela parce qu’entre ces choses, ces réminiscences, ces sensations, existe une évidente communauté de qualités, autrement dit une certaine harmonie, qui, dans ces exemples, est le fait d’associations, d’assonances, mais peut aussi résulter, comme en peinture ou en musique, de contrastes, d’oppositions ou de dissonances. »
C’est à la construction d’une telle harmonie que s’emploie l’écriture analogique, délaissant les conventions du roman réaliste pour tracer, au cœur du langage, un chemin dans lequel les mots s’enchaînent et se font écho.
«
texte.
Pour lui, le roman ne naît pas d'un projet qui le
précède et qu'il s'agirait de traduire par l'écriture.
Tout
à l'inverse, le texte naît de l'écriture elle-même.
Autre
ment dit,
le romancier ne part pas d'une histoire qu'il
voudrait raconter.
Il commence
à écrire et, les mots
s'enchaînant d'eux-mêmes, s'appelant
les uns les
autres, une histoire se construit par le simple -ou
complexe -jeu du langage romanesque :
« Avant que je me mette à tracer des signes sur le papier
il n'y a rien, sauf un magma informe de sensations plus
ou moins confuses, de souvenirs plus ou moins précis
accumulés,
et un vague -très vague -projet.
C'est seulement en écrivant que quelque chose
se pro
duit, dans tous les sens du terme.
Ce qu'il y a pour moi
de fascinant, c'est que
ce quelque chose est toujours
infiniment plus riche que
ce que je me proposais de
faire.»
Comment cet espèce d'engendrement du roman par lui
même se produit-il?
«Chaque mot en suscite (ou en commande) plusieurs
autres, non seulement par la force des images qu'il
attire à lui comme un aimant, mais parfois aussi
par
sa seule morphologie, de simples assonances qui, de
même que les nécessités formelles de la syntaxe, du
rythme et de la composition, se révèlent souvent aussi
fécondes que ses multiples significations.
»
Pour comprendre la nature de ce mécanisme par lequel
le texte semble naître de lui-même, des échos et des
résonances que chacun de
ses mots produit, le plus sim
ple est encore d'emprunter un exemple à l'un des
romans
de Claude Simon.
Histoire est sans doute, à cet égard, l'un des ouvrages
les plus caractéristiques de son auteur.
A la manière de
l'Ulysse de Joyce, il se présente comme le récit d'une
journée complète vécue et relatée par
le narrateur.
Mais
en permanence
le texte s'écarte de cette journée qu'il.
»
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