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Le Chat, la Belette et le Petit Lapin. (LA FONTAINE, livre VII, fable 16)

Publié le 01/05/2011

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Du palais d'un jeune Lapin Dame Belette, un beau matin, S'empara : c'est une rusée. Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Elle porta chez lui ses pénates, un jour 5 Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour Parmi le thym et la rosée. Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours. La Belette avait mis le nez à la fenêtre. 10 « O Dieux hospitaliers! que vois-je ici paraître? Dit l'animal chassé du paternel logis. Holà ! Madame la Belette, Que l'on déloge sans trompette, Ou je vais avertir tous les rats du pays. « 15 La dame au nez pointu répondit que la terre Était au premier occupant. « C'était un beau sujet de guerre, Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant ! Et quand ce serait un royaume, 20 Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi En a pour toujours fait l'octroi A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi. « Jean Lapin allégua la coutume et l'usage : 25 « Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils, L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis. « « Le premier occupant, est-ce une loi plus sage? Or bien, sans crier davantage, 30 Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. « C'était un chat vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite, Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Arbitre expert sur tous les cas. 35 Jean Lapin pour juge l'agrée. Les voilà tous deux arrivés Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez, Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. « 40 L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestants, Grippeminaud, le bon apôtre, Jetant des deux côtés la griffe en même temps Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre. 45 Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois Les petits souverains se rapportant aux rois.

I. — L'ensemble. — 1° Nature du morceau : une fable. On appelle fable ou apologue, un petit récit, en prose ou en vers, destiné à démontrer par l'expérience ou par l'exemple, un précepte de morale. — Ce genre a été connu et pratiqué dès la plus haute antiquité, en Orient, en Égypte, en Grèce, en Italie. La littérature française du moyen âge nous offre un très grand nombre de recueils appelés Ysopets (du nom d'Ésope, fabuliste grec), et l'on peut dire aussi que le fameux Roman du Renard n'est qu'une suite de fables. — Dans la fable, on fait le plus souvent agir et parler des animaux, qui symbolisent les vertus ou les vices de l'humanité. Le meilleur fabuliste est celui qui, tout en incarnant chez le renard, le loup, le lion, etc., des caractères humains, sait cependant conserver à ces animaux les traits essentiels et les mœurs de leur espèce. Nul n'y a mieux réussi que La Fontaine.   

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« a su, comme nous le disions au début, concilier le symbolisme et la vérité, c'est-à-dire représenter une intrigante,un tout jeune homme un peu étourdi et naïf, et un hypocrite, tout en évoquant le souvenir précis d'une belette,d'un lapin et d'un chat. 1° La belette.

— a) Peu de traits descriptifs, mais bien choisis, et propres à l'animal : — dame Belette : ce titre aquelque chose d'ironique et de comique; il semble annoncer les prétentions, la vanité, l'humeur processive de labelette (cf.

fable 17 du livre III : demoiselle Belette).

Le lapin, quand il interpelle l'usurpatrice, la nomme madame laBelette : il la connaît de réputation.

Au vers 16, c'est la dame au nez pointu; et là, il faut admirer avec quelle sûretéLa Fontaine sait choisir le détail caractéristique.

Dans la fable 17 du livre III, il avait dit : demoiselle Belette au corpslong et fluet', mais le nez pointu est peut-être plus spécial encore à la belette, c'est ce qui frappe tout de suite l'œilde l'observateur et surtout celui du lapin qui aperçoit ce nez pointu à la fenêtre de son terrier.b) Les actions et discours de la belette sont en parfaite conformité avec l'image évoquée par la description.

Lafaçon dont elle s'empare du terrier de Jeannot Lapin, le matin, en son absence, prouvé bien que c'est une rusée.

Ellemet le nez à la fenêtre, pourquoi ? afin, sans doute, d'éviter toute surprise, et surtout pour épouvanter le jeunelapin : elle espère bien que celui-ci, frappé de terreur, s'enfuira sans discussion.

Mais le lapin ayant protesté, dameBelette, rompue à la chicane, comme une vraie Comtesse de Pimbesche, cherche aussitôt à prouver que c'est lelapin qui est dans son tort Voyez plutôt : 1° La terre est au premier occupant (v.

16-17), ce qui veut dire : « Dequel droit me contestez-vous la possession d'un terrier où vous vous étiez bien permis de vous installer avant moi,et que j'ai trouvé vide? » — 2° Beau sujet de guerre qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant (v.

18-19).Ne semble-t-elle pas ici lui reprocher l'état de ce logis? Un mot de plus, et elle exigera des « réparations locatives! »— 3° Je voudrais bien savoir quelle loi...

(v.

21-24).

Ici le ton devient plus sévère.

Le voleur réclame au volé sestitres de propriété; que celui-ci prenne bien garde : il y a des lois! — 4° Et, après la dernière réplique du lapin,admirez le ton de dame Belette : ...

Sans crier davantage!...

(v.

30).

Et qui donc crie, si ce n'est elle? — 5° Enfin,cette belette qui a usurpé le logis du lapin, consent à un arbitrage, elle que le lapin devrait faire simplement traînerpar les gendarmes devant les juges! 2° Le lapin.

— a) Dans le titre de la fable, La Fontaine nous annonce un petit lapin, et dès le IER vers il nous parled'un jeune lapin.

Ce trait est essentiel.

En effet, d'une part, la belette n'eût point osé peut-être s'emparer du logisd'un lapin vigoureux, capable de l'expulser; d'autre part, il faut que Jeannot lapin soit bien jeune pour accepter dediscuter les impudents sophismes de dame Belette, et pour se résigner à soumettre à un arbitrage son droitincontestable de propriétaire.

Les vers 5 à 9 sont un charmant tableau des évolutions de cet insouciant animal; etle vers 8 est tout particulièrement heureux : Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours....

La Fontaine, dansla fable 14 du livre X, nous parle aussi des lapins...

qui, sur la bruyère, L'œil éveillé, l'oreille au guet, S'égayaient et de thym parfumaient leur banquet.b) Les discours de Jeannot Lapin sont, comme ceux de la belette, en parfait accord avec son caractère.

A la vue dece nez pointu, il invoque les dieux hospitaliers (v.

11), mouvement bien naturel chez un être jeune, imbu des leçonsmaternelles, et cherchant d'instinct des protecteurs tout-puissants.

Puis il passe à la menace; mais il ne dit pas : «Je vais vous chasser d'ici...! » Il se sent trop faible; il parle d'avertir tous les rats du pays (v.

15).

Les rats sont eneffet les ennemis des belettes, comme on peut le voir dans la fable 6 du livre IV, le Combat des Rats et desBelettes.

Dans sa naïveté, Jeannot Lapin croit faire peur à la belette, en la menaçant de tous les rats....

Il y a làquelque chose d'enfantin, et qui est très bien observé.

— Remarquez ensuite comme le lapin discute avec la dameau nez pointu; sa réponse n'est pas un argument d'avocat, mais l'énoncé simple et loyal d'un fait : il a hérité de sonpère, lequel avait lui-même hérité de son grand-père....

—Enfin, il agrée pour juge le chat (v.

36) ; dernier trait denaïveté et d'inexpérience, car, encore une fois, le vol ne relève pas de l'arbitrage, et le lapin devait plutôt allerchercher main-forte pour expulser l'intruse. 3° Le chat.

— Ce troisième personnage est celui où nous devons le plus admirer l'union du symbole et de la vérité.Les épithètes : bien fourré, gros et gras (v.

34), évoquent l'aspect physique du chat; les expressions : dévotermite, chattemite, saint homme (v.

32-34), révèlent un « caractère » qui est lui-même suggéré par la tenue,l'expression et les gestes du chat.

Rabelais appelait }es magistrats chats-fourrés, à cause de leur manteaud'hermine et de leur physionomie cauteleuse; mais ce n'était là qu'un jeu de mots.

La Fontaine sait à la fois peindreet analyser', son Raminagrobis est un vrai chat, et en même temps il personnifie l'hypocrite; toute sa psychologieest tirée de son physique.

Qui a lu ce portrait et aperçoit un gros chat ne dormant que d'un œil, songe aussitôt àTartuffe et se défie.

Ce chat agit et parle, lui aussi, d'accord avec ce que nous soupçonnons.

Sa personne inspire laconfiance, et son ton est paternel; il dit : Mes enfants...

(v.

39).

Et quel intérêt il semble prendre à leur affaire! Iln'est pas de ces juges qui prononcent, sans avoir scrupuleusement entendu les parties...a Approchez....

» Mais lelapin et la belette ne sont pas encore à portée.

Aussi répète-t-il :« Approchez....

» Et il explique que la chose estnécessaire : «...

je suis sourd, les ans en sont la cause.

» Le pauvre homme! III.

— Le style.

— Tout en analysant l'action, et surtout les caractères, nous avons déjà signalé les qualitésessentielles de ce style : la propriété (d'où naît la variété), le pittoresque et Y esprit.

— a) Il y a propriété, quand lepoète emploie pour désigner un objet, une personne ou un sentiment, un terme à la fois si juste et si simple, qu'onne saurait, sans altérer le fond des choses, remplacer ce terme par un autre : ainsi les épithètes dont use LaFontaine pour caractériser ses trois personnages.

— b) Le style est pittoresque (d'un mot italien qui signifiepeinture), chaque fois que le mot évoque pour l'œil (et aussi pour l'ouïe et pour le toucher) une image ou une. »

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