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LE CHAT ET UN VIEUX RAT (FABLES DE LA FONTAINE) - COMMENTAIRE

Publié le 06/05/2011

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fontaine

A Les éléments pittoresques

Cette fable illustre d'une façon très précise le genre de pittoresque qui appartient en propre aux récits de La Fontaine. C'est d'abord un pittoresque de la vie quotidienne observée dans ses détails les plus infimes; le problème dont il s'agit ici est la lutte contre rats et souris que livraient quotidiennement nos ancêtres du XVIIe siècle avec leurs greniers, leurs fruitiers, leurs celliers et leurs caves toujours bien munis de provisions pour toute la maisonnée : c'était une époque où chaque maison, même en ville, vivait encore en économie relativement fermée, où l'on entassait à l'automne les réserves pour tout l'hiver, où à Paris même toute maison bourgeoise avait sa provision de blé dans laquelle on puisait pour faire le pain. Dans une telle économie domestique, on comprend que la lutte contre les souris ait été un souci de chaque jour, et La Fontaine cite en passant tout l'arsenal dont on disposait : les pièges à bascule (v. 9), la mort-aux-rats, les souricières, sans parler du chat, commensal indispensable, qui est le héros de cette fable.

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« routier qui n'en est plus à sa première campagne : même il avait perdu sa queue à la bataille, note en s'amusant lefabuliste.

Ce vieux soldat a l'expérience de tous les stratagèmes, il flaire une nouvelle ruse devant ce bloc enfarinéet se tient prudemment à distance pour narguer de loin le général des chats; on sent en lui cette sagesse pratiquequi est la grande leçon proposée par le premier recueil, sagesse faite d'expérience, de méfiance, sagesse d'un «ancien » que la vie a dressé et qui n'en est plus à se faire attraper comme un « bleu ».

On peut dire que chez lesprédécesseurs de La Fontaine ces animaux n'étaient que des instruments au service d'une démonstration morale;chez lui ils vivent de leur vie propre, ce sont des caractères. 3 Ce sentiment que nous avons d'une vie réelle des personnagesde la fable ne tient pas seulement à l'art de la description ou à la vérité psychologique des attitudes : il provientaussi du dialogue.

Le dialogue était très restreint dans les deux apologues dont s'est inspiré La Fontaine : unephrase dans laquelle les souris se concertent chez Ésope, une phrase du Rat sur laquelle se termine le récit dans lesdeux fables antiques.

La Fontaine n'a pas jugé utile de transcrire au style direct le conciliabule des souris préalable àla ruse du Chat : il suffisait de dire qu'elles n'osaient plus se montrer pour expliquer le stratagème imaginé par leurennemi, et c'est ce que fait La Fontaine aux v.

12-14; en revanche, il imagine après le succès complet de sapremière ruse une fanfaronnade du Chat qui est psychologiquement très bien vue, et d'autant plus amusante pour lelecteur qu'elle sera immédiatement suivie d'un demi-échec quand le vieux Rat se permettra de braver ouvertement lefléau des rats à la fin de la fable : autre discours, beaucoup plus développé chez La Fontaine que chez sesdevanciers, qui achève de caractériser la personnalité du Rat et de nous en brosser un véritable portrait. C Le comique de cette fable 1 Il y a d'abord ici un comique de situation dû au retournementqui se produit au désavantage du héros présomptueux et sûr de lui : c'est si l'on veut le comique de Guignol,fréquent dans les Fables : comique de La Belette entrée dans un grenier, du Renard et la Cigogne, des Voleurs etl'Ane, de toutes les fables qui reposent sur un brusque revirement, de toutes celles où le trompeur finit par êtretrompé ou par échouer.Ce qui fait tout le sel de ce comique ici, c'est le style familier et le ton amusé du narrateur : Mais voici bien une autre fêteLe pendu ressuscite; et, sur ses pieds tombant,Attrape les plus paresseuses. L'expression en elle-même fait rire : d'abord par l'antiphrase ironique une autre fête, puis par l'alliance de motscocasse le pendu ressuscite, enfin par la conséquence inattendue qui en découle : et sur ses piedstombant/Attrape les plus paresseuses.

Incontestablement La Fontaine s'amuse tout le premier de la situation, et lanaïveté de son regard nous entraîne à en rire à notre tour. 2 Mais il y a au début et à la fin de la fable un comique d'un autre type : c'est un comique d'essence burlesque.Comparer, dans un vers volontairement pompeux, un chat à Alexandre, puis à Attila, le qualifier d'exterminateur,comme l'Ange du Jugement dernier, puis de Cerbère, c'est introduire entre la réalité et sa traduction littéraire undécalage qui caractérise une certaine sorte de burlesque.

Ce style héroï-comique, dont Boileau revendiquera lapaternité dans Le Lutrin en 1674, est déjà constant dans les Fables.

Jusqu'en 1660, le burlesque (illustré notammentpar Scarron dans son Virgile travesti de 1648 à 1659) consistait essentiellement à employer une langue familière, etmême volontiers grossière, en traitant de nobles sujets : le comique naissait du décalage entre la noblesse de lamatière (par exemple la légende d'Énée) et la vulgarité de l'expression.

Ici le décalage se fait exactement en senscontraire (langage pompeux appliqué à une humble réalité familière), mais il relève évidemment du même registreburlesque.

C'est une forme de comique qui connut une grande fortune au XVIIe siècle et à laquelle La Fontaine étaitpersonnellement sensible : on en trouve mainte trace dans les trois recueils de ses Fables.. »

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