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Le chant du rossignol - Une partie de campagne de Maupassant

Publié le 14/09/2018

Extrait du document

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La jeune fille pleurait toujours, pénétrée de sensations très douces, la peau chaude et piquée partout de chatouillements inconnus. La tête de Henri était sur son épaule ; et, brusquement, il la baisa sur les lèvres. Elle eut une révolte furieuse et, pour l'éviter, se rejeta sur le dos. Mais il s'abattit sur elle, la couvrant de tout son corps. Il poursuivit longtemps cette bouche qui le fuyait, puis, la joignant, y attacha la sienne. Alors, affolée par un désir formidable, elle lui rendit son baiser en l'étreignant sur sa poitrine, et toute sa résistance tomba comme écrasée par un poids trop lourd. Tout était calme aux environs. L'oiseau se mit à chanter. Il jeta d'abord trois notes pénétrantes qui semblaient un appel d'amour, puis, après un silence d'un moment, il commença d'une voix affaiblie des modulations très lentes. Une brise molle glissa, soulevant un murmure de feuilles, et dans la profondeur des branches passaient deux soupirs ardents qui se mêlaient au chant du rossignol et au souffle léger du bois. Une ivresse envahissait l'oiseau, et sa voix s'accélérant peu à peu comme un incendie qui s'allume ou une passion qui grandit, semblait accompagner sous l'arbre un crépitement de baisers. Puis le délire de son gosier se déchaînait éperdument. Il avait des pâmoisons prolongées sur un trait, de grands spasmes mélodieux. Quelquefois il se reposait un peu, filant seulement deux ou trois sons légers qu'il terminait soudain par une note suraiguë. Ou bien il partait d'une course affolée, avec des jaillissements de gammes, des frémissements, des saccades, comme un chant d'amour furieux, suivi par des cris de triomphe. Mais il se tut, écoutant sous lui un gémissement tellement profond qu'on l'eût pris pour l'adieu d'une âme. Le bruit s'en prolongea quelque temps et s'acheva dans un sanglot.

Écriture : humour et poésie

 

Quand Maupassant entreprend, après Boccace, de faire ainsi chanter le rossignol, il n'ignore pas que son public aime ce genre de sous-entendus aimablement grivois. De cet intérêt de l'époque pour la sexualité, sous les dehors d'un puritanisme sourcilleux, Bel-Ami donne une bonne illustration dans la scène du cabinet particulier : les deux couples, échauffés par la bonne chère, se mettent à parler d'amour et la conversation entre dans << le jardin fleuri des polissonneries distinguées. / Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes [ ... ] >> (l, 5).

 

Comme ses personnages, Maupassant pratique en maître l’^rt de l’équivoque. La description détaillée du chant du rossignol vaut évidemment pour l'évocation de l'étreinte amoureuse : le texte mêle les champs lexicaux de la musique (<< notes, modulations, mélodieux, gammes») et de l'amour («ivresse, passion, délire, pâmoisons, spasmes»), certains termes (<< pénétrantes, se reposait, jaillissement, frémissement, saccades, cris >>) convenant aux deux actions. Le procédé est filé de manière systématique. Pour qu'aucun lecteur ne puisse se méprendre, le dernier paragraphe et, auparavant, deux expres

Commentaire de << La jeune fille >> à << dans un sanglot >> .

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« héros et des pays annes, dans Jacques le Fa taliste, enfreint un code tacite , et Diderot éprouve le besoin de se justifier en se réclamant de Montaigne.

Généralement, les romanciers, même les réalistes, ont recours à l' ellipse* : > (Balzac, Illusions per­ due s) .

Dans Bel-Ami, Maupassant pratique aussi l'ellip se: « Elle [Mme de Marelle 1 jeta un cri, un petit cri, voulut se dres­ ser, se débattre , le repousser, puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.

1 Mais la voiture s' étant arrêtée bientôt devant la maison qu'elle habitait, Duroy, surpris, n'eut point à chercher des paroles passionnées pour la remerci er>> 0, 5); ou le sommaire* : «C e fut [ ...

1 une brusque et folle étreinte, une courte lutte essoufflée, un accouplement violent et maladroit >> (Il, 1).

Dans Madame Bovary, Flaubert choisit la solution de la transpositio n, humoristique ou poétique.

Humoristique, dans la fam euse scène du fiac re, où la voiture est animée par une « fureur de locomotion >> qui suggère la frénésie amoureuse d'Emma et Léon, à l'intérieur (III, 1); poétique (et discrète­ ment humoristique) dans le récit de la première chute d'Emma : « [ ...

1 défa illante , tout en pleurs, avec un long frémissement et se cachant la figure, elle s'abandonna.

1 Les ombres du soir descendaient ; le soleil horizontal , passant entre les bra nches, lui éblouissait les yeux.

Çà et là, tout autour d'elle, dans les feuil les ou par terre, des taches lumineuses tremblaient, comme si des colibris, en volant, eussent éparpillé leurs plumes.

Le silence était partout ; quelque chose de doux semblait sortir des arbres [ ...

1 >> (Il, 9).

Notre passage peut être lu comme une réécriture de cette scène, autant que de celle de Boccace déjà évoquée : le rossi­ gnol réel remplace les colibris métaphoriques (et comme eux il apporte au texte une note comique du seul fait de l'associa­ tion entre l'amour et l'oiseau) , le «sanglot >> final semble un écho du « cri vague et prolongé >> qu'Emma « écout [ e 1 silen­ cieusement, se mêlant comme une musique aux dernières vibra­ tions de ses nerfs émus >>.. »

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