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LE BURLESQUE EN LITTERATURE

Publié le 21/11/2018

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La réécriture burlesque

 

Le burlesque est avant tout un art de la réécriture. Son principal représentant, Scarron, donna, outre son Recueil de quelques vers burlesques (1643) et son Typhon (1644), un Virgile travesty (parodie de l’Énéide), qui fut le modèle achevé du genre et que l’on imita même durant sa publication en 7 livres de 1648 à 1652. La réécriture ne s’y fait pas seulement par reprise du sujet, des personnages et de la trame narrative, mais en mêlant des tours familiers et des références précises à l’original. On y voit, par exemple, Didon, amoureuse d’Énée, devenir « rouge de honte qu’on l’estimât gouge », et, plus loin, ses célèbres imprécations contre son amant qui l’abandonne sont réécrites en (entre autres) :

 

Je te veux poursuivre, inhumain,

 

Une torche noire à la main,

 

Je t'en grillerai les moustaches. Homme le plus lâche des lâches.

 

(vers 1709-1712)

 

Le vers 1709 appartient au registre soutenu, le vers 1712 au registre « bas », et la « torche noire » est une reprise, avec changement de connotation, de l’image de la « torche funèbre » utilisée par Virgile. Pour le lecteur, cette présence sensible de l’original suscite un comique qui naît à la fois du contraste entre la dignité des héros et leurs propos « bas », et de la substitution au mythe héroïque d’une imagerie dérisoire.

 

Dans la même veine, qui eut un grand succès, citons : le Jugement de Paris (1648) et l'Ovide en belle humeur (1650) de D’Assoucy; les Murs de Troie (1653) des frères Perrault; le Lucain travesti de Brébeuf (1656).

 

Dans le courant burlesque du sens large, la verve parodique est aussi présente, mais selon des modalités différentes. Par exemple, le Poète crotté de Saint-Amant montre un personnage de plumitif gascon qui, rebuté par les déboires de sa carrière parisienne, quitte la capitale pour rentrer au pays. Au moment du départ, il adresse à Paris une longue harangue d’adieu, que Saint-Amant rédige en parodie des poèmes en style noble, et en réécriture de l'Adieu à Lyon de Marot.

BURLESQUE. Emprunté à 1’ italien, burlesque désigne, au xviie siècle, un mode d’écriture très en vogue vers 1650 : il a d’abord une connotation positive, mais prend rapidement dans l'usage courant une valeur péjorative («comique outré, trivial») qu’il a conservée de nos jours. Cependant il peut encore, au sens propre, comporter une référence laudative aux ressources poétiques du comique de fantaisie et de parodie (ainsi pour les « burlesques » au cinéma — Buster Keaton ou les Marx Brothers, par ex.).

 

« Le burlesque, qui est une espèce de ridicule, consiste dans la disconvenance de l'idée qu'on donne d'une chose avec son idée véritable (...). Or cette disconvenance se fait de deux manières, l'une en parlant bassement des choses les plus relevées, et l'autre en parlant magnifiquement des choses les plus basses. »

 

(Charles Perrault, Parallèles, III)

 

Il faut cependant prendre garde, en lisant ces lignes, au sens exact de certains termes. « Ridicule » signifie : qui vise à faire rire; « parler bassement » fait référence à la distinction de la rhétorique classique entre les trois degrés de style (noble, moyen et bas) et donc se rapporte à un langage familier et plaisant mais non pas ordurier; enfin, des deux sortes de « disconvenance » que Perrault prend soin de distinguer, seule la première correspond au burlesque (« parler bassement des choses les plus relevées »), tandis que l’autre (emploi d’un style noble pour des sujets bas) correspond à l’héroï-comique.

 

Cette définition, quoique minimale, a en outre le mérite de mettre en lumière la nature même du burlesque : il est avant tout une modalité d’écriture, un fait de style. L’expression courante de « genre burlesque » peut prêter à confusion : le burlesque s’est manifesté tant en prose qu’en vers (mais avec une nette prédilection pour ceux-ci), et dans les genres littéraires les plus divers, longs (épopées) ou brefs (rondeau, sonnet...). Il n’a pas été non plus une école ou un courant de pensée, et les auteurs qui le pratiquaient recouraient aussi à d’autres formes et registres d’expression. Enfin, au xvne siècle, comme aujourd’hui, l’adjectif « burlesque » a été appliqué à des choses diverses.

 

C’est pourquoi il faut prêter attention à l’histoire même du mot. Il vient de l’italien hurlesco, construit sur hurla : raillerie, farce, mystification. Il a été introduit en France en 1643, par Sarasin, pour désigner un mode d’expression littéraire qui avait eu ses heures de gloire en Italie et qui était en plein essor en France. Il désigne alors, en son sens strict, une mode littéraire assez brève (1643-1653, dates repères), caractérisée par la disconvenance définie plus haut et, plus spécifiquement, par la parodie des grandes œuvres ou des grands mythes de l’Antiquité; les auteurs qui l’illustrèrent le mieux furent Scarron, d’Assoucy, Brébeuf.

 

Mais on rencontre quelques occurrences de ce terme dès le xvie siècle, en un sens plus étendu, désignant des choses « ridicules et basses ». Il semble être ensuite tombé quelque temps en désuétude. Il avait un quasi-synonyme dans l’un des sens seconds du mot « grotesque » (voir ce mot). Pellisson signale, dans son Histoire de l'Académie (1652), que Saint-Amant fut chargé, dans le projet initial du Dictionnaire, des « termes grotesques ou, comme nous parlerions aujourd’hui, burlesques ». Les hommes du xvnc siècle avaient donc conscience que la mode du burlesque proprement dite participait d’un courant de plus longue durée : le burlesque au sens large, que caractérisent un style bas et plaisant et un ton railleur ou satirique. Ce courant marque en partie, dans la première moitié du xviie siècle, les œuvres d’auteurs comme Saint-Amant, Tristan l’Hermite, Sarasin, Voiture. En partie seulement : phénomène diffus et notion imprécise, le burlesque, en son sens étendu, ne peut qu’indiquer une tendance, dans un ensemble d’œuvres aussi variées.

« ·��------------------------- ------ ------- ----- La réécriture burlesque Le burlesque est avant tout un art de la réécriture.

Son principal représentant, Scarron, donna, outre son Recueil de quelques vers burlesques (1643) eJ son Typhon (1644), un Virgile travesty (parodie de I'Enéide), qui fut le modèle achevé du genre et que l'on imita même durant sa publication en 7 livres de 1648 à 1652.

La réécriture ne s'y fait pas seulement par reprise du sujet, des person­ nages et de la trame narrative, mais en mêlant des tours familiers et des références précises à l'original.

On y voit, par exemple, Didon, amoureuse d'Énée, devenir «rouge de honte qu'on l'estimât gouge», et, plus loin, ses célèbres imprécations contre son amant qui 1' aban­ donne sont réécrites en (entre autres) : Je te veux poursuivre, inhumain, Une torche noire à la main, Je t'en grillerai les moustaches, Homme le plus lâche des lâches.

(vers 1709-1712) Le vers 1709 appartient au registre soutenu, le vers 1712 au registre « bas », et la « torche noire » est une reprise, avec changement de connotation, de l'image de la « torche funèbre » utilisée par Virgile.

Pour le lecteur, cette présence sensible de J'original suscite un comique qui naît à la fois du contraste entre la dignité des héros et leurs propos « bas », et de la substitution au mythe héroïque d'une imagerie dérisoire.

Dans la même veine, qui eut un grand succès, citons : le Jugement de Pâris (1648) et l'Ovide en belle humeur ( 1650) de D'Assoucy; les Murs de Troie (1653) des frè­ res Perrault; le Lucain travesti de Brébeuf ( 1656).

Dans le courant burlesque du sens large, la verve parodique est aussi présente, mais selon des modalités différentes.

Par exemple, le Poète crotté de Saint-Amant montre un personnage de plumitif gascon qui, rebuté par les déboires de sa carrière parisienne, quitte la capitale pour rentrer au pays.

Au moment du départ, il adresse à Paris une longue harangue d'adieu, que Saint-Amant rédige en parodie des poèmes en style noble, et en réécri­ ture de l'Adieu à Lyon de Marot.

Le même tour parodi­ que, sinon d'un texte précis, mais d'un type de texte, voire parfois d'un ton, est présent dans certaines poésies de Voiture et de Sarasin.

Parodie encore, aux frontières de la littérature, dans certains ballets qui relèvent du burlesque, et dont la vogue fut grande dans le premier tiers du xvn• siècle.

Des auteurs comme Guillaume Col­ letet ou Bordier en fournissaient les livrets : ils repre­ naient sur le mode dérisoire certains aspects des fêtes de cour, en même temps qu'ils faisaient la satire de l'actualité.

S'inscrivant dans une lignée qui remonte à Marot et Rabelais et, au-delà même, à Villon et aux fatrasies médiévales, les textes burlesques utilisent un vocabulaire abondant et di versifié, donnant volontiers dans 1' ar­ chaïsme et les termes techniques, usant parfois d'argot et de mots crus.

Souvent, ils jonglent avec des figures de rhétorique outrées à dessein.

La fantaisie s'y donne libre cours.

L'octosyllabe y est le mètre le plus employé; il en vint, d'ailleurs, à être nommé « vers burlesque>> (par opposition au «vers héroïque», l'alexandrin), ce qui fit considérer comme burlesques des textes qui n'en ont que l'apparence formelle, tant la vogue de la dénomination fut grande.

Art du divertissement ou littérature non conformiste? li n'est pas aisé d'interpréter les significations du bur­ lesque.

Le burlesque italien au XVIe siècle (Berni) et au début du XVIIe siècle (Tassoni) avait été en partie inspiré par la volonté de ridiculiser non pas les Anciens, mais les poètes modernes pédants et emphatiques, maladroits imitateurs d'Homère ou de Virgile.

Il y a de cela dans le burlesque français : une des pièces liminaires du Virgile travesty affirme cette intention, et la préface du second chant des Murs de Troie l'érige en doctrine (mais on ignore la date de rédaction de ce texte, resté manuscrit, et qui est peut-être une interprétation post rem).

Par la suite, des historiens de la littérature ont voulu voir dans le burlesque une réaction contre la préciosité (Sainte-Beuve) : thèse difficile à admettre, la pleine vogue de la préciosité commençant quand la mode du burlesque est déjà passée.

Il est également difficile d'y voir, comme on le fait souvent, une réaction contre l'esthétique classique.

Certes, le style burlesque allait à rebours de la régularité et du purisme malherbiens.

Mais Balzac, le plus illustre représentant de la tradition mal­ herbienne, a consacré au burlesque un Entretien ( 1644 ), où il l'estime recevable.

Enfin, on le rattache parfois à une lignée réaliste.

Le burlesque, il est vrai, a le goût du concret.

Mais les personnages qu'il esquisse ne sont pas des types sociaux; au mieux, des stéréotypes.

Et s'il emploie un vocabulaire familier ou technique, c'est dans le cadre d'un jeu de style, et non pour peindre des mœurs ou des réalités du quotidien.

Quelques textes de ce cou­ rant manifestent une visée réaliste -tels le Tracas de Paris (1663) de F.

Colletet, d'un burlesque de bon ton.

Mais, en fait, il ne reste guère là que les dehors de ce style.

Mieux vaut, pour le comprendre, replacer l'écriture burlesque dans le milieu où elle s'exerce et tenir compte de son évolution.

Dans son principe -tous les auteurs y insistent -, le burlesque est un divertissement d'« honnêtes hommes», et non un mode d'expression populaire.

Il est un jeu culturel entre gens capables d'évaluer le degré exact de discordance entre le sujet et l'expression et de saisir les allusions et références dont les textes abondent.

L'horizon d'attente qui le fonde sup­ pose des lectures et une maîtrise de la poétique que seul le public cultivé possédait.

Pour celui-ci, aucun des trois degrés de style n'est condamnable, à condition de rester dans le wn : le registre bas a ses charmes et la parodie ses plaisirs.

Tel fut le burlesque proprement dit.

Mais la vogue du burlesque coïncide de façon frap­ pante avec la crise de la Régence et de la Fronde.

La verve railleuse de cette écriture trouvait dans ce temps de troubles un climat favorable.

De la dérision de l'Olym­ pe et des héros à celle de la Co ur, il n'y avait qu'un pas, princes et grands étant assimilés dans la tradition épidictique aux demi-dieux.

En 1649-1650, lorsque les nobles et bourgeois cultivés qui en constituaient le public furent engagés dans la crise politique, il apparut, à côté du burlesque de divertissement, un usage polémique de cette écriture.

Les mazarinades (dont Scarron écrivit la plus célèbre) en mettent largement à profit les ressources [voir MAZARINADES].

Cette facette du burlesque n'offre plus seulement l'aspect d'un jeu mesuré; elle est souvent agressive, violente, voire ordurière.

Fondée sur la déri­ sion, la fantaisie, la liberté, elle était propice à l'ex­ pression d'opinions non conformistes, en politique mais aussi en religion : ainsi parut, en 1649, une Passion de N.-S.

en vers burlesques; on sait aussi que d'Assoucy, l'« empereur du burlesque >>, était un libertin avéré.

Cer­ tes, la crise politique n'éclaire qu'un aspect partiel du burlesque, et la coïncidence de celui-ci avec le mouve­ ment libertin ne fut que ponctuelle.

Il reste néanmoins qu'il manifestait là des virtualités d'écriture libératrice et de contestation qu'il portait en lui.

Les représentants du burlesque de divertissement, ceux qui n'y voyaient qu'un jeu culturel, dénoncèrent ce qui leur apparaissait comme une dégénérescence.

Scar­ ron fut un des premiers à le renier.

Le retour à l'ordre politique desservit le burlesque et suscita 1 'essor d'autres. »

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