Le Barbier de Séville (acte I, scène 2): Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. Beaumarchais
Publié le 19/03/2020
Extrait du document
« le comte. — Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t’a fait quitter Madrid.
figaro. — C’est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s’attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d’argent; à la fin convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l’Estra-madure, la Sierra-Morena, l’Andalousie, accueilli dans une ville, emprisonné dans l’autre, et partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là; aidant au bon temps, supportant le mauvais; me moquant dés sots, bravant les méchants; riant de ma misère, et faisant la barbe à tout le mode, vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu’il lui plaira de m’ordonner.
le comte. — Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ? figaro. — L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer... » .
« Ah ! mon tuteur a raison : je suis bien loin d’avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion. Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l’innocence même. »
(acte II, scène 16)
«
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obstacle.
Devenu ensuite habile homme de théâtre, il
échoue dans cette carrière, victime d'une «cabale» ( coali
tion des adversaires-de sa pièce)
et se fait barbier.
Figaro
fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Destiné
à prévenir
les inévitables mauvais coups du destin, le rire apparaît,
dès lors, comme une mesure défensive, un excellent anti
dote contre l'adversité.
Si les réflexions que Figaro confie
au Comte ne sont pas exemptes d'âpreté, le parti pris de
se montrer
« supérieur aux événements» compose une es
pèce de vision personnelle du monde, une
«philosophie»
elllPreinte de sagesse, que le Comt~ loue Figaro d'adopter
pour faire échec
à «l'habitude du malheur»:
«LECOMTE.
- Ta joyeuse colère me réjouit.
Mais tu ne
me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.
FIGARO.
- C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître.
Voyant à Madrid que la république des lettres était celle
des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que,
livrés
au mépris où ce risible acharnement les conduit,
tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques,
les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires,
les censeurs,
et tout ce qui s'attache à la peau des
malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et
sucer
le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire,
ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et
léger d'argent; à la fin convaincu que l'utile revenu du
rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant
philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estra
madure, la Sierra-Morena, l'Andalousie, accueilli dans
une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur
aux événements; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là;
aidant au
bon temps, supportant le mauvais; me moquant
dès sots, bravant les méchants; riant de ma misère, et
faisant la barbe
à tout le mode, vous me voyez enfin établi
dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence
en tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner.
LE COMTE.
- Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? FIGARO.
- L'habitude du malheur.
Je me presse de
rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer ...
»
► Sous ce rapport, le rapprochement s'impose· entre
l'aventure personnelle de Figaro, telle qu'elle nous est.
»
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- Figaro dit, dans « le Barbier de Séville » : « Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. » Le rire de Figaro n'est-il pas celui de Beaumarchais ? En quoi diffère-t-il de celui de Molière? (De quoi l'un et l'autre rient-ils? Pourquoi et comment rient-ils ?)
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- « Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. » Beaumarchais, Le Barbier de Séville, I, 2. Commentez cette citation.
- Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Beaumarchais, Le Barbier de Séville, I, 2. Commentez cette citation.
- Dans Le Barbier de Séville (1775), Beaumarchais fait dire au personnage de Figaro : «Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.» En 1988, le comique Pierre Desproges meurt d'un cancer, mal qu'il a longtemps caricaturé dans ses sketches doux-amers. Pourquoi rit-on de situations graves, voire tragiques ? N'y a-t-il pas là une contradiction ? Comment l'expliquez-vous ? Vous répondrez dans un développement composé, illustré d'exemples précis tirés de vos lectures ma