L'autobiographie : miroir du monde ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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chacun pour « s'étudier ».
De même, le fil conducteur de L'Age d'homme , à savoir la découverte de la sexualité, contraint Leiris à des confessions, dont lui-même s'excuse.
Or, ce besoin de s'excuser garantit la sincérité despropos, de cette approche de soi à soi.
C'est cette même sincérité qui transforme la vie de celui qui s'écrit en un miroir où chacun peut s'étudier .
En effet, la sincérité des aveux permet de croire aux qualités et de comprendre, voire d'excuser les défauts de celui quise dénude.
Dès lors, le lecteur peut aisément chercher à comprendre celui qui s'écrit et par-là même chercher às'étudier dans le miroir qu'on lui propose.
L'autre apparaît alors au lecteur comme la vérité d'humain, parce qu'ilessaie d'être sincère.
D'où la nécessité d'un pacte : en garantissant la sincérité de ses propos, l'auteur propose unevérité sur la condition humaine.
Rousseau, dans son pacte de Neuchâtel, se propose d'être sincère par rapport à sonsentiment intérieur.
Il ne prend pas une instance divine à témoin, mais un lecteur imaginé, ce « on » auquel il prêtedoutes et objections.
En prenant à témoin ce lecteur imaginé, Rousseau veut établir une vérité, celle de sonsentiment intérieur, une vérité humaine.
Dès lors, la personnalité qui se découvre lorsqu'elle s'écrit n'a rien dechoquant puisqu'elle veut être vraie et authentique.
C'est ce souci de sincérité qui engendre un miroir où chacun peut s'étudier : toute forme d'écriture de soi est une vérité humaine.
On peut alors passer du particulier, singulier, au général.
En essayant d'être sincère, celui qui s'écrit garantit une vérité humaine : le moi peut alors devenir miroir du monde.
Dans les Mémoires d'Outre-tombe , Chateaubriand veut dépeindre en sa personne l'épopée de son temps .
Il mêle subtilement souvenirs personnels et histoire.
Son œuvre devient alors une articulation entre le public et le privé.
Le je de Chateaubriand évoque tout aussi bien sessouvenirs que les événements du monde dans lequel il a vécu.
Le moi de l'auteur devient alors porteur d'une véritépersonnelle, qui est également vérité humaine et vérité d'un monde, d'une époque.
On voit donc que l'écriture de soin'est pas tant une écriture personnelle, repliée sur le moi, qu'une écriture qui aspire au général, qui cherche à établirune vérité, même si celle-ci n'est qu'humaine.
Dès lors, celui qui s'écrit ne veut pas tant s'écrire en tant que moiparticulier, mais en tant qu'homme ; il cherche à offrir un miroir où chacun peut s'étudier .
Néanmoins, s'écrire pour offrir un miroir où chacun peut s'identifier n'est-il pas un désir contradictoire ? En effet, ce désir est avant tout une sublimation de soi : il s'agit de transformer l'intime en mythique.
Par ailleurs, dansVariétés II , Valéry démontre que vouloir s'écrire participe de deux choses contraires : d'une part, le désir d'être soi ; d'autre part, la vanité littéraire, le désir de plaire.
Or ces deux éléments sont incompatibles ; la vanité littéraire nepermet d'être soi.
Dès lors, la personnalité qui se dénude n'est pas sincère.
Peut-on alors s'écrire tout en restantfidèle à soi ? Dans la vie de Henry Brulard , Stendhal propose de se tenir au premier jet de l'écriture pour garantir la sincérité des propos.
Mais ce premier jet est dans l'immédiateté et non pas dans la construction.
On aboutit à unmoi informe, à proprement parler, il n'y a pas d'image, pas de vérité livrée.
Cependant, si l'écriture est travaillée, lasincérité semble disparaître, s'effacer.
Tout est comme si l'on ne pouvait se dire, s'écrire.
Prendre le moi pour objet, c'est déjà lui conférer un rôle : il n'y a pas de miroir sincère, toute image du moi qu'il renvoie est déformée.
Dès lors que l'on prend le moi comme objet, celui-ci est dans la comédie et non dans lasincérité : on lui donne des attributs qu'il n'a pas ; on le met en scène.
Il semble alors impossible de construire,d'écrire et de dire une personnalité vraie.
Au mieux, cette personnalité ne peut être que compartimentée.
Parexemple, dans ses Mémoires , Sint-Simon se livre uniquement en tant que noble et homme de cour.
On ne peut livrer un moi authentique.
En effet, en prenant le moi comme objet, on lui fait jouer un rôle.
Par ailleurs, ce moi n'est plusle moi de celui qui s'écrit.
Il semble alors bien difficile d'établir une vérité sur soi ainsi qu'un miroir où chacun peut s'étudier .
Vouloir s'écrire impose de mettre des mots sur un je passé.
Dès lors, comment être sincère ? Pourtant, seule une conscience présente est capable d'établir une vérité passée.
Toutefois, le je qui écrit n'est plus le je passé.
Il ya donc un décalage entre la « forme » et le « fond » qui rend toute sincérité impossible.
Dans La relation critique , Starobinski propose alors de concevoir le style non pas comme une « forme » jointe à un « fond », mai comme un« écart », écart entre le je passé et le je actuel.
Dès lors, à défaut d'une vérité passée, on obtient au moins unevérité actuelle : le passé est livré tel qu'il est vu par la conscience présente.
Ainsi, Rousseau ne livre pas le passé,les événements en eux-mêmes, mais leurs effets sur une âme .
Dans Les Rêveries du promeneur solitaire , l'évocation des souvenirs et du passé suit le rythme du marcheur, dépend de son allégresse.
C'est la conscienceprésente qui recrée le passé.
Ce passé devient une vérité actuelle, celle de ses effets sur le je présent..
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