Devoir de Philosophie

L'Assommoir - Emile Zola - Chapitre 2 : Les désirs de Gervaise (Commentaire composé)

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Et elle se leva. Coupeau, qui approuvait vivement ses souhaits, était déjà debout, s'inquiétant de l'heure. Mais ils ne sortirent pas tout de suite ; elle eut la curiosité d'aller regarder, au fond, derrière la barrière de chêne, le grand alambic de cuivre rouge, qui fonctionnait sous le vitrage clair de la petite cour ; et le zingueur, qui l'avait suivie, lui expliqua comment ça marchait, indiquant du doigt les différentes pièces de l'appareil, montrant l'énorme cornue d'où tombait un filet limpide d'alcool. L'alambic, avec ses récipients de forme étrange, ses enroulements sans fin de tuyaux, gardait une mine sombre ; pas une fumée ne s'échappait ; à peine entendait-on un souffle inté- rieur, un ronflement souterrain ; c'était comme une besogne de nuit faite en plein jour, par un travailleur morne, puissant et muet. Cependant, Mes-Bottes, accompagné de ses deux camarades, était venu s'accouder sur la barrière, en attendant qu'un coin du comptoir fût libre. Il avait un rire de poulie mal graissée, hochant la tête, les yeux attendris, fixés sur la machine à soûler. Tonnerre de Dieu ! elle était bien gentille ! Il y avait, dans ce gros bedon de cuivre, de quoi se tenir le gosier au frais pendant huit jours. Lui, aurait voulu qu'on lui soudât le bout du serpentin entre les dents, pour sentir le vitriol encore chaud l'emplir, lui descendre jusqu'aux talons, toujours, toujours, comme un petit ruisseau. Dame ! il ne se serait plus dérangé, ça aurait joliment remplacé les dés à coudre de ce roussin de père Colombe ! Et les camarades ricanaient, disaient que cet animal de Mes-Bottes avait un fichu grelot, tout de même. L'alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d'alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d'un frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant : — C'est bête, ça me fait froid, cette machine… La boisson me fait froid…

« connecteur d'opposition « Mais » (« Mais ils ne sortirent pas tout de suite », l.

2) trahit la fascination des deuxpremiers pour « la machine à soûler » (l.

14-15).

Alors qu'ils « s'inquiét[aient] de l'heure » (1.

2), ils s'attardentdevant l'alambic, incapables de s'en détacher.

Cette description, située au début du roman, annonce donc déjàla chute du couple formé par Gervaise et Coupeau, que le « vitriol » (l.

18) finira par détruire. La condamnation d'un fléau social] B. Le romancier va plus loin et suggère que l'alambic ne menace pas seulement ses personnages mais lepeuple tout entier.

En effet, la description quitte le registre réaliste pour devenir fantastique.

Lespersonnifications se multiplient pour métamorphoser l'alambic en un personnage inquiétant (« minesombre », l.

9, « un souffle intérieur », l.

10, « un ronflement », l.

10, « un travailleur morne, puissant etmuet », l.

11).

Les hyperboles (« énorme », l.

7, « sans fin », l.

8) et les négations (« pas une fumée », l.

9, « sans une flamme, sans une gaieté », l.

23) en font un être à part, à nul autre pareil.

[alambic prend donc levisage d'un monstre de feu.

Le pouvoir de cet être monstrueux sur ceux qui l'entourent est d'autant plusnet qu'alors que les personnifications lui donnent vie, des métaphores transforment Mes-Bottes, celui quiest déjà sous sa coupe, en une machine (« Il avait un rire de poulie mal graissée », l.

14).

La gradationfinale, rythmée par un rythme ternaire (« qui devait envahir la salle, se répandre sur les boulevardsextérieurs, inonder le trou immense de Paris », l.

25-26), dit explicitement le danger qu'il représente.L'emploi du modalisateur de certitude « devait » souligne que le mal est inéluctable. [Conclusion partielle] La description de l'alambic joue donc un rôle fondamental dans l'économie du roman car elle permet de présenter les personnages et annonce la suite de l'intrigue.

Elle permet également à Zola de dénoncer les méfaitsde l'alcoolisme sur le monde ouvrier parisien. [Conclusion] Cet extrait apparaît comme très représentatif de l'esthétique naturaliste : le romancier y peint le réel avec exactitude maissans asservissement.

Il en donne une vision personnelle et exprime son point de vue : en effet, la peinture de l'alambic dupère Colombe permet au romancier de donner à voir au lecteur, concrètement, l'un des fléaux du monde ouvrier.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles