L'Art de Molière dans "Les Femmes Savantes"
Publié le 07/03/2011
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L'art de la composition. — Une composition régulière était ici chose assez malaisée. Il fallait associer et concilier trois éléments très divers : une satire, particulièrement violente, chargée de rancunes peu dissimulées, une thèse d'un caractère général (quelles limites faut-il fixer à l'instruction des femmes ?), enfin une action dramatique qui devait encadrer les deux autres parties et leur servir de support. On a vu que l'action, tout en se développant normalement, ne cesse pas d'éclairer la thèse en nous montrant en plusieurs tableaux les conséquences ridicules ou détestables d'une science mal comprise et d'une ambition démesurée. Le premier est la scène de famille du deuxième acte où l'on entend les plaintes de Chrysale, exaspéré par l'expulsion de Martine. Le second, qui remplit la plus grande partie du troisième acte, comprend, avec le triomphe de Trissotin, les confidences que lui font ses admiratrices sur leurs lectures philosophiques, sur leurs recherches scientifiques et sur leurs projets. Ce ne sont là du reste que les épisodes les plus importants d'une démonstration, qui se poursuit, d'une façon moins apparente, tout le long de la pièce. Nous avons remarqué à plusieurs reprises que ces interventions indirectes du moraliste sont amenées le plus naturellement du monde et qu'elles n'interrompent pas la progression de l'action dramatique.
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Dans le Tartuffe il y a, si l'on peut dire, un double dénouement : un dénouement normal (Tartuffe tombant, à deuxreprises, dans le piège que lui a tendu Elmire) ; un dénouement d'ordre matériel (l'arrestation de Tartuffe parl'Exempt), que Molière a voulu rendre nécessaire, probablement pour faire intervenir le roi, de quelque façon, dans sacomédie :
Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude...
Dans les Femmes Savantes il n'y a qu'un seul dénouement, celui que les circonstances imposaient.
La menace quipèse sur Henriette vient uniquement de l'erreur persistante de sa mère sur le compte de Trissotin : cette erreurdissipée, elle n'aura plus rien à craindre.
Pour démasquer ce triste personnage, le meilleur moyen est de lui tendre, àlui aussi, un piège.
C'est ce qu'a compris Ariste, le seul qui ait gardé son sang-froid : il dresse très bien son artifice,sans se confier à personne ; le drôle se laisse prendre et Philaminte rougit de son erreur.
La naïveté du traître qui tombe dans le panneau est beaucoup mieux expliquée dans le Tartufe : si Tartuffe, boncalculateur, s'est départi de sa prudence ordinaire et a rompu ainsi les fils patiemment ourdis de son intrigue, c'estqu'il est entraîné, bien malgré lui, par un caprice sensuel qui l'aveugle.
Trissotin, qui a un tempérament froid,insensible, comment peut-il se laisser attraper comme un enfant ? Il sait qu'il a des ennemis dans la maison : aumoment précis où va se signer le contrat qui l'enrichira, deux lettres arrivent, apportées par qui ? Par Ariste, qu'ilconnaît bien pour son adversaire le plus redoutable ; et qu'annoncent-elles ? Que la mère est à peu près ruinée parla perte d'un procès, que les deux banquiers du père se sont mis d'accord pour faire banqueroute le même jour.Quelle étrange coïncidence ! N'importe qui la jugerait suspecte, trouverait un prétexte pour reculer la signature dequelques heures et se donner le temps de prendre des informations.
Molière n'a pas pu ne pas voir ce qu'avait d'invraisemblable une telle naïveté chez un homme qui jusque-là n'avaitpas mal mené son affaire.
Mais l'on sait bien que dans les dernières scènes il ne s'inquiète plus de la vraisemblance.La pièce pour lui est terminée lorsqu'on n'a plus rien à apprendre sur les principaux caractères, Ses dénouements,généralement conventionnels, arrivent comme ils peuvent pour arranger les choses, au moment où elles vont le plusmal, puisqu'il est entendu, au XVIIe siècle, qu'une comédie doit bien finir.
Quoique celle-ci finisse d'une façon particulièrement satisfaisante, il est trop certain que ni les fausses lettres, ni lafuite de Trissotin, ni la réconciliation de Philaminte avec Clitandre n'ont pu guérir les femmes savantes de leurstravers.
La folie de Bélise se manifeste encore dans les derniers vers de la pièce.
Il y a peu de chances pour quel'humeur de Philaminte s'adoucisse.
Rien ne lui a démontré la vanité de ses prétentions scientifiques : elle n'a pas deraison d'y renoncer.
Son goût littéraire ne deviendrais plus sûr ; elle à perdu Trissotin, elle n'aura pas de mal à leremplacer.
Nous laissons Armande plus ulcérée et aigrie que jamais ; si elle ne se marie pas, ce qui est probable, ilest à craindre qu'elle ne devienne, avec les années, une prude médisante, dans le genre d'Arsinoé.
Quant àChrysale, nous ne pouvons guère espérer qu'il se corrigera de sa faiblesse N'est-ce pas naturel ? Les défauts, audegré où Molière les montre, ne sont-ils pas ancrés dans les cœurs ?
Il est naturel aussi que ces défauts, si on les représente selon la vérité, ne se montrent pas toujours sous unaspect réjouissant.
Certes, dans les Femmes Savantes l'intérêt est moins poignant que dans le Tartuffe.
Etcependant la rigueur impitoyable de Philaminte à l'égard de sa fille cadette, la fureur presque tragique d'Armande etsa soif de vengeance, la brutalité et l'ignominie du caractère de Trissotin se révélant à l'heure même où Henriette valui être livrée, est-ce que tout cela ne nous conduit pas assez près du drame ?
Heureusement Molière veille.
Pour maintenir ses pièces dans les limites du genre comique, il excelle à réprimer touteémotion un peu forte et à faire éclater le rire à l'instant précis où l'inquiétude pourrait tourner à l'angoisse.
Ladispute des deux auteurs nous fait oublier le danger d'Henriette ; Martine nous amuse au moment du contrat.
Nousavons noté que Bélise, inutile à l'action, n'y a été introduite que pour réveiller, quand il le faut, la gaieté.
Chrysalesuffirait seul à ramener la bonne humeur ; on a vu combien est inépuisable le comique qui vient de lui, combien sasource est naturelle.
Ainsi dans la solide et harmonieuse composition de cette pièce, non seulement les différentes parties sontétroitement liées, mais encore les divergences de ton se neutralisent et s'effacent.Il serait aisé de montrer qu'un talent non moins sûr a réglé le mouvement de chaque scène.
On pourrait citer, comme exemples particulièrement frappants, la première discussion entre les deux sœurs oùArmande, suivant un plan bien médité, tente de détourner Henriette d'abord du mariage en général, puis de Clitandreen particulier, où le ton s'aigrit, à mesure que l'objet se précise ; — ou encore la grande explication du quatrièmeacte entre Clitandre et Trissotin, commençant par des affirmations d'un caractère assez vague, continuant par desallusions blessantes, mais encore voilées (parce qu'il faut se contenir devant des dames), se terminant par unesortie violente contre la maudite espèce des pédants, qui vise très spécialement celui que Clitandre regarde dans lesyeux.
Si l'on étudiait à part et en détail les tirades un peu longues, on y remarquerait les mêmes qualités de composition.Dans la tirade de Clitandre sur la cour on admirerait l'ordre et la progression : c'est une véritable période oratoiresoutenue par une éloquence enflammée.
Les plus caractéristiques peut-être et les plus dramatiques sont celles quiont été construites pour amener, aux derniers vers, un contraste fort, d'un effet très comique ou saisissant : celle.
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