L'argot dans l'oeuvre de votre choix (L'Assommoir, édition folio classique)
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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-Autrement dit, on en arrive à une deuxième fonction de l'argot, qui est non plus descriptive mais expressive.
Par lacréation d'un langage qui leur est propre, les ouvriers expriment leur goût pour la boisson.
La création de motsd'argot reflète ainsi les sentiments de ceux qui les créent : ainsi, parler de boîte pour désigner l'atelier a une valeurdépréciative, de même que parler de roussin pour les agents de l'ordre.
D'ailleurs, par extension, le terme sertd'insulte entre civils.-Les fonctions descriptives et expressives de l'argot nous intéressent dans l'optique naturaliste car elles permettentde reconstituer la vision du monde des ouvriers des années 1870.
L'argot constitue ici ce que l'on peut appeler unsignum social, au sens où il désigne les ouvriers par leur appartenance à un certain milieu social.1.3 : Au-delà de simples mots, c'est à travers un discours que les ouvriers se font entendre dans L'Assommoir.-Zola annonce dans sa préface qu'il a "coulé dans un moule très travaillé la langue du peuple".
En effet, l'auteurorchestre les voix individuelles par le biais d'un narrateur, qui apparaît comme un témoin objectif de la "simple vie deGervaise Macquart", selon le titre original de l'oeuvre.
Les premières phrases de l'incipit montrent ce ton neutre de lanarration (p.19).
Par ailleurs, Zola est soucieux de rendre les paroles des personnages dans leur intégralité et dansleur verdeur, ce qui le pousse à faire un usage du discours direct sans italiques.
Cela permet, à la différence deBalzac, de rendre le lexique de chaque personnage sans censure, et de donner à entendre au lecteur une voixauthentique (p.157).-Les choses se compliquent avec l'utilisation du discours indirect libre qui se caractérise par l'absence d'élémentsénonciatifs, mais aussi des éléments stylistiques qui renvoient au langage parlé, ce qui atténue la frontière entre lanarration et le dialogue.
Cela permet de faire entendre la langue du peuple sans la désigner comme telle.
p.232.
Ceglissement quasiment imperceptible entre le discours du narrateur et le discours indirect libre introduit insensiblementle lecteur dans la conscience des personnages.
TR : Mais par ce même procédé, la parole qui était autrefois désignée comme ouvrière et argotique se fond àprésent dans la toile narrative.
On en arrive donc à une voix populaire collective, p.100.
En abolissant lespersonnages qui sont les supports du discours argotique, on peut peut-être envisager que le texte donne àentendre la voix du roman.
Il n'est alors pas sûr que l'argot soit réellement au fondement d'une esthétique àvocation scientifique.
Son intrusion dans le roman permet peut-être à l'auteur de construire une nouvelle esthétiqueromanesque et une langue qui lui est propre.II- L'argot ouvre de nouveaux horizons à la littérature et n'est pas un matériau simple.
2.1 : L'utilisation de l'argot et d'une langue populaire pose la question suivante : a-t-on un roman qui parle ?-Les passages que je viens de citer sèment le trouble entre la narration et le discours des personnages car lepassage au discours indirect libre rend impossible la dissociation des voix qui s'expriment.
cf.
"moucharder" p.242.-En même temps, le va-et-vient entre le style oral et le style littéraire reste dominé par la fonction narrative.
Ce quiest intéressant ici c'est que Zola ne traduit pas les faits du récit en discours parlé, mais au contraire il arrive àfondre à l'intérieur du tissu romanesque un matériau d'origine orale : l'argot.
Ce faisant, il confère à ses personnagesune certaine épaisseur voire même une réalité.
Mais cette réalité, ce n'est pas un morceau de discours oral qu'onexhiberait, mais au contraire un langage fondu dans le tout romanesque.-On voit dès lors que l'utilisation de l'argot n'est pas un outil simple qui permettrait d'ancrer la fiction dans le réel,parce que ces éléments réalistes tendent à être absorbés par la fiction.2.2 : En fait, l'argot va produire une déréalisation de la fiction en lui accordant un caractère mythique et en créantune esthétique sombre voire tragique.-A propos de son texte, Zola s'exclamera : le langage de la rue "est un peu gros, sans doute, mais quelle verdeur,quelle force et quel imprévu d'images !" L'auteur utilise un discours imagé, pour souligner peut-être le caractère quel'argot donne à son roman.
En effet, il n'est pas seulement ce qui confère la force de la vérité au roman, mais aussice qui le tire du côté du mythe.
Tout d'abord le titre est nourri par l'argot dans la mesure où L'Assommoir désigne unétablissement où se réunissent les ouvriers pour boire une absinthe qui a la réputation d'assommer.
Symboliquement,il représente le fléau des ouvriers qui engloutissent leurs paies jusqu'à en mourir dans des verres de casse-poitrine,mais il désigne aussi la société dont Gervaise souhaite s'évader (p.68).
Il représente le mal et le piège qui vaconduire le personnage principal à sa mort misérable.
Les sonorités du mot assez dures avec le "r" final ne sontsûrement pas pour rien dans le construction d'un établissement-mythifié et presque personnifié dans certainesdescriptions, qui agit un peu comme le fatum dans une tragédie.
C'est lui qui mène Gervaise à travers les 13chapitres qui annoncent une mort inéluctable.-On pourrait peut-être parler de tonalité tragique dans l'oeuvre, ou au moins de caractère sombre, et l'argot n'estpas pour rien dans cette construction.
En effet, si le roman s'ouvre sur la voix neutre du narrateur, elle se clot(p.518) sur les paroles du père Bazouge, le croque-mort, alias Bibi-la-Gaieté dans un vocabulaire argotique.
Lasimplicité du langage qu'il utilise produit un choc sur le lecteur, qui n'est jamais rassuré par le retour à la voix dunarrateur initial.
Le narrateur n'est pas ici un médiat entre la dureté de l'histoire et la sensibilité du lecteur : celui-cise trouve à son tour assommé par un argot qui semble trop près de lui.2.3 : Finalement, on peut envisager que l'utilisation de l'argot comme matériau pour construire le roman participed'un renouvellement de la littérature.-L'idée est que la richesse de la littérature est conditionnée par la richesse de la langue utilisée par l'auteur.
Sanselle, pas de littérature possible.
Dans L'Assommoir, l'argot peut fleurir et enrichir le matériau que travail l'auteur dansla mesure où l'action se situe à Paris, c'est-à-dire dans la ville de France qui concentre le plus grand nombre de voixsociales, mais aussi d'origines géographiques (et donc de dialectes) différentes.-Par ailleurs, si l'argot consiste essentiellement en un relâchement du vocabulaire, ce relâchement peut contaminerl'ensemble du discours, c'est-à-dire les structures grammaticales et verbales.
Utiliser l'argot pour un Zola, c'estpeut-être ouvrir la voie à la modernité littéraire, en contestant les règles du bien écrire.
On assisterait dansL'Assommoir, à travers l'utilisation de l'argot, à la construction d'une langue propre à l'auteur, ce que l'on peut.
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